Un rêve

saurimonde

La femme est le mensonge du Rêve - Maupassant

L'endroit était légèrement humide car il avait plu durant la nuit, dans les airs se dégageait une forte odeur de pétrichor. Je me mis à courir au travers du parc labyrinthique, il était très grand mais il n'y avait personne. Il se dispersait aux alentours quelques fleurs diaprées, les ramages étaient feuillolés en de teintes virides et violacées, des pampres s'entrelaçaient venant se mélanger avec de nivéennes asphodèles ainsi que des lilas érubescents. Inopinément le calme se remplaça à mes oreilles par de faibles papillonnements, je tournai la tête à droite et une nuée de petits volatiles multicolores voltigeaient devant moi, j'ignorais de quel genre d'insectes il s'agissait mais ils étaient très beaux. Puis quand j'eus regardé au travers de cet essaim versicolore, il se dessina devant moi un tableau qui me remua si fort que mon cœur se détacha, c'était une toile pourtrant une vision kaléidoscopique : elle était au bas d'un coteau verdoyant, les pieds nus et assise dans une herbe poudroyante, qui avec la rosée ressemblait à un revêtement de coruscantes émeraudes. Sa silhouette était maigre, elle avait l'air d'une enfant. Sa peau était très pâle, presque opalescente, seules quelques parties de son corps semblaient avoir été la cible d'une tombée de poudre d'améthyste, parce que ses joues, ses lèvres et le bout de son nez, ainsi que le bout des ses doigts étaient empourprés par la froideur des vents du début d'automne.  Ses pieds étaient fins, d'un esthétisme harmonieux et paraissaient également avoir trempés dans une farine de rubis. Elle était coiffée d'un chignon assez haut, le lin de ses cheveux qui était d'une blondeur aveuglante reflétait tout l'ensoleillement — cela si bien  qu'on ne saurait dire si c'était le soleil ou la joie qui illuminait la clairière. Elle lisait un livre, elle ne me vit guère. Je sortis de la pénombre pour aller vers l'aura ensoleillée qui la ceignait. Alors que je m'approchais je distinguais ses vêtements qui étaient très modestes, elle portait un chemisier à la couleur du lys et une jupe bleue marine. Sa respiration était paisible, à la regarder j'avais instamment regagné toute tranquillité. Jusque là les physionomies que prenait son visage étaient très plaisantes, son visage était menu et si parfait qu'on aurait dit une poupée de cire. Cette accalmie en moi se métamorphosa en un terrible ouragan,  je m'approchais épouvanté comme quelqu'un s'approchant d'une bête gigantesque et féroce. Alors que pourtant je n'avais jamais rien vu d'aussi beau, ou bien même qu'au même moment les effluves de son parfum aux senteurs cerisées rassasiaient une soif qui devait avoir durée le temps d'un tourbillon d'éternités, formant ainsi un capiteux nuage édénique qui était l'arôme le plus extatique auquel je pus m'abreuver de toute ma vie, je n'eus jamais aussi peur. J'avais peur de sa réaction, de son regard, qu'elle repousse l'immonde personne que j'étais. Elle restait concentrée dans la lecture de son livre, je m'avançais sans ne rien dire. C'est seulement arrivé debout à son coté qu'elle m'aperçut, elle tressaillit et porta son regard à mon visage, l'expression de sa face changea drastiquement pour prodiguer la quiétude en une horreur mélangée au dégoût, comme si elle avait la mort ou bien pire au devant d'elle. Je me noyais, littéralement. L'impuissance face à cette répulsion m'asphyxiait, je voulus lui demander « je ne suis pas humain pour toi ? pourquoi tu me regardes comme ça ? » mais je restais étranglé, dans l'incapacité de dire quoique ce soit. Ses yeux céruléens me noyaient, ils étaient plus bleus que le bleu du ciel bleu,  et absurdement grands pour la ténuité de son portrait, ce qui exacerbait le remous océanique de son regard tumultueux à mon égard.  

Timidement le silence se brisa :

 — J'ai besoin que tu m'aides.

 — Pourquoi je t'aiderai ? Me répondit-elle déconcertée. 

 — Il n'y a que toi qui puisse m'aider.

 Elle me regarda quelques secondes, abasourdie, avant de me dire : 

 — Je ne veux pas t'aider, je m'en fiche de toi tu pourrais mourir que je m'en ficherais totalement. De plus tu es quelqu'un de dégoûtant et d'exécrable, tu me répugnes au plus haut point, je ne veux rien avoir à faire avec toi.

Je l'ai regardé dans les yeux et je l'ai étranglée, son cou était très fin et très froid. La nacre moirée de ses dents iridescentes scintillaient au soleil comme un arc-en-ciel. Une fois morte ses yeux regardaient le ciel marmoréen, des luisances y ondulaient. Derrière moi se trouvait un lac factice où ondoyaient des nénuphars aux couleurs des astres, je me suis levé, j'ai marché vers ce miroir nébuleux. Un silence d'une beauté sans pareille flottait dans l'atmosphère. Une marée de bourrasques déliées de fin d'été vinrent déposer de cotonneuses caresses sur l'écorce de mon âme,  ce qui était agréable. Arrivé devant le lac je me laissai tomber dedans, je tombai dans une profondeur bleue acier sans fin. J'ouvrais les yeux ; je vis une avalanche de choses qui pendaient et tournoyaient en ces fonds tout autour de moi, de nitescentes nébuleuses dansotaient, je ne pus apercevoir l'orée de ces tréfonds, ils étaient interminables, j'eus l'impression d'être au sein d'un cosmos magnifique, je me sentais bien en cet instant et mon corps léger voguait entre ces météores ainsi que ces étoiles. On dit que nos actes résonnent dans l'éternité, c'est vraiment triste. J'ai tellement peur. J'ai peur, j'ai si peur, non je n'ai jamais rien fait de toutes ces horreurs, ce n'était pas moi, je n'ai rien fait de tout ça. Ailleurs, sur une autre étoile on pourra enfin voir qui nous sommes tous réellement, je pourrais réparer toutes les erreurs. Tout me paraissait possible mais j'allais mourir. Et je pense à moi-même devant ces lueurs fantomatiques et ces nuages magellaniques nageant dans une immensité indicible que la mélancolie des hommes est tout aussi immense, car en réalité la tristesse et la misère humaine est aussi infinie que cet univers halluciné. S'il existe quelque part de l'amour,  de la compassion ou une lumière, mon dernier, mon seul vœu, est qu'elle les sauve tous. Je refermai les yeux, je me mis à pleurer. Dans cet abîme les sons étaient réprimés en une sourde vibration. Cette tranquillité onirique prit fin brutalement. D'un seul mouvement j'eus la sensation de remonter à la surface, mes sensations me revinrent, mes sanglots se mirent à m'être perceptibles, j'ouvris les yeux et je me trouvai précisément dans ma chambre.

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