Je te revois encore

guegueette

Une nuit d'été

Je te revois encore, avec ton sac militaire posé à tes côtés, sous ce grand parvis d'immeuble à l'ambiance pesante. Je te revois encore, toi et ton air nonchalant, à attendre l'on ne sais quoi, le regard vrillé sur le sol et les mains jointes. Tu étais là, avec ton air préoccupé et grave, et j'étais en face, avec mon air désabusé et mes pleurs. Je me souviens encore avoir redressé le museau et t'avoir aperçu. L'on ne sait pourquoi je t'ai fais signe de la main, pour que tu vienne me rejoindre. Peut être étions nous deux paumés ayant besoin d'une présence réconfortante. Je me revois encore, te faire signe dans ce lieu, alors qu'une femme était passée me demandant gentiment si tout allait bien. Et je me revois, encore, lui dire que oui, des larmes pleins les joues. Et je revois encore ton regard d'incompréhension, alors que je te faisais signe de me rejoindre.


Tu t'es assis auprès de moi avec ton bagage et je ne savais pas quoi te dire. Tu m'a demandé ce que je faisais là, je n'en savais pas bien plus que toi pour te répondre. Je cherches encore la raison de ma présence à tes côtés. Mais j'étais là, et toi aussi. Présentations faites, nous avons discuté devant cette cigarette qui fait rigoler. Nos états n'étaient pas folichon, moi qui était en perdition, et toi qui sortait de prison. Mais nous étions là, et je nous ai trouvé beau. Rapidement, nous échangions sur nos vies, des parties intimes livrés à l'inconnu, et c'était franchement beau même si je ne me rappelle pas de tout.


Tu cherchais un lieu pour passer la nuit, un hôtel, et moi je ne savais pas ce que je cherchais. Je revois encore ce viel homme sage nous proposer un lieu pour dormir tandis que mon esprit était on ne sais où. Je revois encore ton regard dur d'homme, et tes mains de travailleur abîmées. Je ressens encore ta transpiration et revoit encore ce visage, si fermé qu'était le tien. Et ton tatouage, ce fichu tatouage qui t'ornait le dos et dont je ne me souviens pas du dessin, hélas. Ce tatouage, apposé sur ta peau qui était si chaude et que j'ai caressé pour en dessiner les contours. Je me rappelle bien de ce moment de silence, et de beauté. Nous avions l'air de deux jouvenceaux qui ne se connaissait à peine, et pourtant nous étions si proches. Ton corps dégageait tant de chaleur sous cette nuit d'été, et le miens cherchais ton réconfort. Je nous revois, encore, sur ces petites marches à fumer cigarette et à cracher nos tristesses. Oui, je me souviens encore de mon envie de t'embrasser. Tu étais si attractif à mes yeux. Tes bras étaient épais et musclés. Je revois encore cet air durcit, qui me faisait frissonner. Je ressens encore mon corps qui tremble sur tes genoux, et tes bras le retenant de vasciller, et ressent encore ton désir de me faire danser.


Te souviendrais-tu, si tu lisais ces quelques lignes, de nous en train de marcher près du port de cette si grande ville, sous ces étoiles et bercé par ces musiques de rues? Te souviendrais-tu que je marchais en te tenant le bras, et me sentais reine des lieux, comme si je me les appropriait? Je me souviens encore du moment ou tu t'es éclipsé, pour changer de chemise, et de mon envie de boire. Il faisait si chaud, et j'avais si soif. Mes souvenirs me remémorent cette cigarette que j'ai fumé, et de toi, silencieux à mes côtés. Que faisions-nous là, tels deux paumés? Qui le sait?


Et je nous revois encore, en mode survie pour la nuit, dans cette ruelle dangereuse ou nous avons passé notre temps à discuter. Je ressens encore mes mains à ton cou, le pressant lentement sous ton regard inquisiteur et sérieux. Oui, c'est comme si j'y étais, et mon corps brûle peu à peu à l'évocation de ce souvenir spécial, de cette nuit qui restera à jamais gravée. Nous étions au dehors, un peu caché, allongés pour un somme nocturne, dans les volutes de la drogue que nous avions consommé. Tes mains à mon ventre apposées semblent l'être toujours, et ton regard, ce regard... me hante et me perturbe encore, et toujours. L'envie de toi était si présente, ce n'était ni le lieu et nous étions pas en état, mais je m'en souviens de plus belle. Ton ventre te faisait souffrir, et moi, sadique que je suis ne m'en préoccupais pas alors que j'étais allongée sur toi. Dieu que j'avais envie de rester là pendant des heures, et des jours, à ne rien faire. Il était un peu comme si je passais mes derniers instants d'une partie de ma vie.


Je vois ces mouettes, volant dans le ciel à l'aube du petit jour, dans cette rue silencieuse. L'on pouvait presque sentir la brise de la mer à nos narines. C'était si spécial, cette ambiance, et je nous revois encore avec nos mines fatiguées, et moi à te montrer comment t'abreuver alors que je ne suis finalement pas une spécialiste de la survie. Tu étais là, et ne semblait finalement pas commode, mais j'étais toute en confiance, j'aurai pu te confier ma vie, à ce moment là, oui. Et les effets de la drogue dissipés, je n'étais plus la même.


Ma mémoire se remémore, encore, ton corps sur cette grande marche, près de ce que j'appelais le "casino", à attendre que je t'emporte avec moi, et moi, méchante et dans ma folie, te laisser là, ne pouvant t'emporter. "Je suis l'ange de la nuit." Si je regrette? Oui parfois, mais c'était déraisonnable, et tout encore plus au réveil de cette nuit d'été.


Que me restera-t-il de cette si particulière nuit dans la cité phocéenne? Qu'en reste-t-il de ton côté? Oh, je me le demande parfois, et même bien souvent. Je pense à toi, et me demande si toi aussi, il t'arrive parfois de repenser à tout cela, d'en chercher le sens, le but, et l'explication. Est-ce que toi aussi, tu manque parfois de moi?


Je te revois encore en face de moi, et moi sur ces petites marches, un soir de fête de la musique. Je te revois encore, toi et ton regard qui me manque, toi et ta peau chaude qui me manque. Me revois-tu encore, toi aussi?

Est-ce que toi aussi, tu pense parfois à aller m'attendre au même endroit? L'envie me prend de t'y attendre tous les ans, au même jour. Une envie déraisonnable, mais une envie tout de même, Vincent.



  • "Est-ce que toi aussi, tu pense parfois à aller m'attendre au même endroit? L'envie me prend de t'y attendre tous les ans, au même jour. Une envie déraisonnable, mais une envie tout de même, Vincent."

    J'aime bien l'idée

    · Il y a environ 6 ans ·
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    Marcus Volk

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