Joyeux Nöel

Dominique Capo

A Tous...

On dit souvent que les fêtes de fin d'année sont un moment de réjouissances et de retrouvailles familiales. On dit que c'est un moment où on oublie tous nos soucis, toutes nos épreuves, toutes nos difficultés. On dit que c'est un moment ou personne n'est mis de coté, abandonné, délaissé ; un moment où chacun à le droit a sa petite part de bonheur et d'attention.

Quelle naïveté de supposer que tout à coup, par un coup de baguette magique, tout le monde devient-il est beau, il est gentil". Les guerres s'arrêtent-elles pendant cette période ? Les plus modestes, les plus fragiles, les plus malades, les plus malmenés ou éprouvés par l'existence le sont-ils moins pour autant ? Que ce soit dans notre pays, ou n'importe où ailleurs sur notre planète ?

Évidemment que non. Tous les fléaux auxquels nous sommes confrontés le reste de l'année ne font pas une pause à cette occasion. Je ne crois plus au Père Noël depuis que je suis enfant. Et l'expérience m'a apprise que cette soi-disant trêve n'empêchait pas les plus abandonnés, de l'être tout autant ; les plus désespérés, de l'être tout autant ; les plus bousculés par les affres de la vie, de l'être tout autant ; les plus éprouvés, de l'être tout autant ; les plus malheureux, de l'être tout autant ; les plus blessés par ce qu'ils ont enduré, de l'être tout autant.

Qui, quand, où, cette fantasmagorie à laquelle chacun et chacune se plie sans état-d-âme, a-t-elle été décrétée. Qui, ou, quand, a-t-elle été gravée dans le marbre pour le reste de l'Éternité ? Est-ce une hallucination collective soudaine à laquelle chacun et chacune se soumet pour avoir la conscience tranquille ?

Cela, pour pouvoir se concentrer uniquement sur ses proches, en faisant mine d'oublier qu'à coté de chez soi, il y a des personnes qui n'auront pas les moyens de réveillonner ou d'offrir un cadeau à leurs enfants. Afin de faire semblant d'oublier le SDF au coin de sa rue qui dort dans le froid et la solitude, et qui risque d'en mourir à l'heure où les plus privilégiés d'entre nous ouvrirons leurs cadeaux auprès du sapin décoré et du feu de cheminée qui l'accompagne. Afin de tenter d'oublier ceux qui n'ont d'autre moyen de survivre que de se rendre au restos du cœur pour bénéficier du minimum vital. Afin de se détourner de nos plus anciens qui, que ce soit dans leurs maisons de retraites ou dans leurs habitations personnelles, ne voient jamais quiconque. Afin, enfin, de se désintéresser de tous ceux et de toutes celles qui sont différents sous une forme ou sous une autre de l'immense majorité.

Ce ne sont, bien entendu là que quelques exemples qui me viennent immédiatement à l'esprit.

Moi, je ne les oublie pas, toutes ces personnes qui ont besoin d'attention, de chaleur humaine, d'affection, d'écoute,ou de prévenance. En tout cas, bien plus que cette immense majorité de gens se gargarisant de profiter de ces instants "magiques" en famille, devant leur dinde de Noël et leurs montagnes de cadeaux. Je ne les oublie pas parce que même si j'ai une famille qui m'aime et sur laquelle je peux compter, je suis irrémédiablement seul ; même lorsque je suis en sa compagnie.

Chacun ou chacune est heureux et fier d'être là, entouré de ceux et celles qui lui sont chers. Les discussions des préoccupations et des centres d'intérêts vont bon train. Les verres trinquent, les assiettes se remplissent jusqu'à l'overdose, jusqu'à ce que ce repas, et les suivants, deviennent un supplice. Mais comme tous ces autres oubliés, délaissés, abandonnés, je demeure invisible. Nul se tourne vers moi, m'invite à m'exprimer, à aborder des thèmes ou des préoccupations qui, pour moi, sont importantes ou essentielles.

Alors, je me réfugie dans mes pensées, dans mes rêves où je ne serais pas qu'une potiche. J'écoute sans vraiment écouter, pour faire plaisir aux autres convives, même si que je sois là ou pas n'y change pas grand chose ; si ce n'est que je ne suis qu'un couvert supplémentaire à la table. Si ce n'est l'obligation d'entendre des échanges auxquels où je n'ai pas ma place. Si ce n'est, dès lors, que mon esprit vogue aux frontières de cette réalité afin de s'en évader. Comme tant d'autres le font en même temps que moi.

Donc, non, dans ces circonstances, je n'oublie pas ceux et celles qui voient en les fêtes de fin d'année une période ou la solitude, le désespoir, la tristesse, sont encore plus présentes qu'à l'habitude. Je n'oublie pas ceux et celles qui, blessés, abandonnés, perdus, fragiles, sont exclus de ces festivités que l'immense majorité des gens s'imaginent être un moment de convivialité, de partage, de dialogue, ou de communion.

Car tout ceci n'est qu'une illusion...

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