Kouyak total-tu vas voir où les écrevisses passent l'hiver

Vladimir Tchernine

« Kouyak total,

-

Tu vas voir où les écrevisses passent l’hiver ! »

 

Une comédie en trois actes avec happy end… quoique

 

 

Distribution

 

Anouchka - 35-38 ans de visu, en pleine forme sans intervention plastique, n’y pense pas encore. Heureuse en mariage depuis 13 ans, c’est-à-dire depuis qu’elle s’est mariée à Moscou avec Olivier.

 

Olivier - n’apparaît pas sur scène, juste la voix off. - son mari, la petite quarantaine, un commercial des jeux en plein air. FDS (Français de souche) assumé. A séjourné à Moscou 3 ans en tant que représentant de « Boules en or », une entreprise qui produit des boules de pétanque.

Nadège – la meilleure copine d’Anouchka, une intellectuelle teintée féministe, en quête permanente de l’âme sœur. Un peu sévère envers la gent masculine.

Anton Enculchtein - dit Anton (Pavlovitch) Tchekhov - un émigré russe qui vit depuis 30 ans en France, parle couramment français mais toujours avec un fort accent. Propriétaire du salon de beauté « Kouyak total » avec, en sous-sol, une espèce d’une clinique semi clandestine pour les alcooliques affranchis (zapoï) en provenance de toute l’ex URSS. Sa clientèle est composée d’oligarques et de députés de la Douma.

Maryvonne Desgrippes – la nouvelle compagne d’Olivier, belle plante de 25 balais, esthéticienne de son état. N’apparaît pas sur scène et pas de voix off, non plus.

 

Ivan (Vanucha) - Moscovite africain, masseur, infirmier, l’homme de main de Tchekhov. Costaud au dessus de la moyenne.

Trois ou quatre visiteurs de Krasnoïarsk (Sibérie) : le PDG de « Krasnogaz » en état de « zapoï », son homme à tout faire Petika Bond et un ou deux gardes du corps.

Trois femmes (en option, selon les profondeurs de la crise) - dans la quarantaine, clientes du « Kouyak total », groupies de Tchekhov.

Un jeune affairiste d’origine indéterminée, mais de grande taille - de passage au salon.

Un chien, Tousik - sans pedigree

Deux « bienheureux »les fous du roi apparaissent sur scène avec des pancartes de traduction, quand les comédiens parlent russe. Ce n’est pas une simple figuration, mais un rôle à part entière, sans texte.

 

 

 

ACTE I

SCENE UNE

Un pavillon dans une zone résidentielle. A travers les vitres du salon on voit un jardin. Anouchka fait de la marche sportive sur un engin prévu à cet effet (ou plus simplement chevauche un vélo de chambre). Un petit ou un grand chien « Tousik » somnole à côté.

Anouchka (le portable suspendu à son cou sonne. Elle saisit l’appareil, regarde qui l’appelle et répond avec un sourire radieux :

Zdravstvouï, Olivouchka ! Kak dela, moï korol solnichko ? 

Un(e) comédien(e), un mime apparaît d’un côté de l’avant-scène, avec une pancarte en mimant le contenu des phrases qui y sont  inscrites : « Bonjour, mon petit Olivier ! Comment ça va, mon doux Roi-Soleil ? ». Il (elle) mime le contenu et s’en va aussitôt.

Olivier

Kharacho… Quoique…

Deuxième comédien (un mime) sort de l’autre côté de la scène, sur sa pancarte : « Ca va bien… Quoique… », Il s’en va.

Anouchka (vraiment inquiète)

Tu n’es pas malade au moins !?

Olivier (nous entendons la musique, un vieux tube soviétique des années 70, « Nadejda ». Cette musique va accompagner l’action tout au long du spectacle.

Non c’est pas ça, enfin si. Mais ce n’est pas physique, c’est plutôt le moral… et la conscience qui sont en berne, je ne sais pas comment te dire… Mais il faut que je le dise quand même, au moins au téléphone, en face je ne pourrais pas.

Anouchka (dont le visage se décompose à fur et à mesure de son monologue)

Tu me quittes ?

Olivier (profond silence pendant 3 secondes)

Da !

Le comédien sort la pancarte et la tête sur scène. Pancarte « Oui ».

Anouchka (descend de son engin bras ballants, regard absent, le téléphone pend sur son cou)

Olivier (moins fort, mais on entend bien)

Je te laisse tout et ne t’inquiète pas au sujet de la pension, je te demande juste de me laisser la maison et Tousik, j’en suis vraiment très attaché… Nous… moi et ma compagne… Maryvonne…  elle s’appelle  Maryvonne… nous allons rentrer à la fin de la semaine… ça te laisse le temps… de te retourner…

Anouchka (avec la voix morte)

Tousik (le chien lève la tête et s’approche, on verra si c’est possible)

Ton maître est très attaché à toi… Et ta nouvelle maîtresse s’appelle Maryvonne.

La musique continue plus fort.

Les 2 mimes très joyeux s’approchent de deux côtés d’Anouchka avec des pancartes, sur l’une est écrit « Kouyak total » - comédie burlesque avec fond musical pas soûlant du tout », sur l’autre «Tu va voir où les écrevisses  passent l’hiver  - tu vas voir de quel bois je me chauffe». Ils jettent des confettis qui tombent en pluie à côté de la tête tragique d’ Anouchka.

Rideau.

                         SCÈNE DEUX

Avant le lever de rideau nous entendons une sonnerie insistante à la porte.  

Le rideau se lève.

Anouchka gît sur le sol devant un bar ouvert. Il y a des « cadavres » à côté d’elle. Elle se met péniblement à quatre pattes et part comme ça ouvrir la porte. Nadège rentre la première, Anouchka la suit et grimpe sur le canapé.

Nadège (en essayant de l’aider)

Je t’ai appelée toute la journée d’hier, ça ne répondait pas.  Qu’est ce que se passe ? C’est toi qui as bu tout ça ?

Anouchka – Mumm…

Nadège (elle trouve une bouteille de la vodka et de la tequila)

T’as bu de la vodka ! Et de la tequila !!! T’es en Zapoï ou quoi ?

Un mime sort avec une pancarte «Zapoï- crise d’ivrognerie qui se situe entre l’alcoolisme mondain et le delirium tremens ». La phrase est longue, donc il accompagne la lecture avec une baguette. Il s’attarde en mimant comment c’est dur le Zapoï. Nadège le chasse de la scène, le mime n’est pas content, mais s’en va quand même.

Nadège

Je t’ai vu une fois dans cet état il y a cinq ans, quand t’es revenue de Moscou après l’enterrement de ton père. Mais, alors qu’est ce qui est arrivé hier ?

Anouchka

Pareil… un enterrement… le mien… Olivier me quitte… c’est tout comme… je ne peux pas vivre sans lui…

Nadège (presque contente)

Tiens, j’ai toujours pensé que c’était un salaud, comme tous les autres d’ailleurs. Ils appellent ça la crise de la quarantaine. Remarque, ça peut aller jusqu’à 70, regarde DSK, notre rage de quéquette nationale… Je parie que ta remplaçante a quinze ans de moins.

Anouchka

Mmmmmmmme… Il m’appelait ma reine Anouchka de Kiev…

Nadège

T’es de Moscou…

Anouchka

Et moi je l’appelais mon roi de France…

Nadège

Le roi des boules oui ! Comment s’appelait déjà sa société ? « Les boules en or » ? Non, mais il fallait inventer ça, la pétanque chez les Popovs par moins 30°.

Anouchka

Oui, mais c’est grâce à ça qu’on s’est rencontrés et qu’on s’est jetés dans les  bras l’un et l’autre,  comme Anne de Kiev et Henri 1er, tu te souviens?

Nadège

Comme si j’y étais… en 1051 : La légende veut qu'au moment où elle descendit de son chariot, le roi, incapable de se maîtriser plus longtemps, se soit précipité sur elle pour l'embrasser avec une belle ferveur. La princesse n'ayant pas protesté contre cette ardeur un peu hâtive, la foule, dit-on, put contempler les fiancés, qui ne s'étaient jamais vus encore, serrés l'un contre l'autre comme des amants. On assure également que, lorsqu'ils eurent fini de s'embrasser, Anne se dégagea et dit à Henri, en rougissant un peu : « Je suppose que c'est vous, n'est-ce pas, qui êtes le roi? C’est un beau texte.

Anouchka

Ca s’est passé exactement comme ça…

Nadège

Et après les boules ont éclaté et vous êtes rentrés en France sans un kopek…

Anouchka

On a vécu 2 ans dans une chambre de bonne, 10 mètres carrés, toilettes sur le palier…

Nadège

Les haltères d’Olivier dans le frigo, sinon pas grand chose…

Anouchka

Il les aime toujours froides… Il n’a pas trouvé le boulot tout de suite…

Nadège

Tu donnais des cours de russe et de piano… De quoi payer la chambre…

Anouchka

Et puis Olivier a trouvé du boulot, c’est reparti et deux ans après nous avons acheté cette maison…

Nadège

Une vraie telenovela mexicaine votre histoire !

Anouchka

Et l’année dernière on a fini de la payer (elle commence à sangloter) et on a trouvé Tousik devant la porte… et maintenant il me chasse… j’ai trois jours pour dégager (elle tombe dans les bras de Nadège en sanglotant)

Nadège (essaye de la calmer)

Mais c’est un vrai ultimatum ! Il est pressé le monstre ! Il n’a pas droit de te jeter dehors même s’il fait beau. Appelle la police à la fin, nous ne sommes pas à Moscou ici. Tu ne vas pas partir sans bouger le petit doigt?

Anouchka

Si… et il le sait…

Nadège

Mais, bien sûr, on ne va pas s’abaisser, on a notre petite dignité… et bon, moi je te dis que c’est à cause de vous, les sans couilles dignes et fiers, que les salauds ont toujours le dessus !

Anouchka

T’as peut-être raison, je ne sais pas quoi faire. J’ai besoin d’un conseil, il faut que j’aille voir Tchekhov, il m’a toujours aidé.

Nadège

Tu ne vas pas aller chez ce mafioso d’esthéticien ? Je suis là moi. Et au fait, pourquoi tout le monde l’appelle Tchekhov ? Rappelle-moi son vrai nom, je veux dire celui qui est écrit dans son passeport russe !

Anouchka (un peu embarrassée)

Il y est écrit… Enculchtein…et alors ?

Nadège (triomphante)

C’est ça, j’ai failli oublier !!! Et pourquoi il n’a pas pris le nom de sa mère ?

Anouchka

C’est également un peu délicat en français…

Nadège

Dis toujours…

Anouchka

Kouyönovitch…

Nadège

Kouyönovitch ?…Kouyonovitch oui… il est cerné le gars ! Mais comment on peut vivre avec des noms pareils ?

Anouchka

Mais en russe Enculchtein ne veux rien dire, Enchtein-Epchtein-Enculchtein c’est kif-kif bourricot. Et Kouyönovitch est un nom biélorusse courant. Ici, évidemment, il a été obligé de changer de nom…

Nadège

Ca se comprend… Remarque, il ne s’est pas privé, ni Ivanov, ni Popov, mais carrément Tchekhov !

Anouchka

Tchekhov, parce qu’il utilise sa méthode pour soigner les alcooliques qui viennent de là-bas… (Elle fait un geste indéterminé avec la tête)

Nadège

Je savais qu’Anton Pavlovitch Tchekhov était un médecin avant de devenir écrivain, mais je ne savais pas qu’il soignait des ivrognes.

Anouchka

Non, ce n’était pas sa spécialité, il était généraliste. Par contre, il a écrit une nouvelle, très drôle d’ailleurs, où il décrit comment il faut sortir du zapoï, t’as pas lu?

Nadège

Non, comme tout le monde, je ne connais que ses pièces. Et ton Enculchtein de Tchekhov, d’abord, il a le droit de pratiquer, d’avoir une « clinique » ? Il a un diplôme ? Il paye des impôts ? Tchekhov ou pas, en France c’est réglementé. Où est ce qu’il se trouve, son honorable établissement ?

Anouchka

Au sous-sol du salon.

Nadège

Ah ! Tu vois ! Et les normes sanitaires ?

Anouchka

Je m’en fous, tu vas pas le dénoncer, quand même ! Moi, j’y vais ! Tu viens ? La dernière fois t’as miaulé quand il te faisait le massage facial !

Nadège

Bien sûr, je ne te laisserai pas, vu ton état ! Et après tout il est vrai qu’il a des doigts étonnants… mmmmm… il faut en profiter avant qu’on ne ferme son tripot.

Rideau

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Acte II

SCÈNE UNE

Salon de beauté « Kouyak    total ». Tchekhov est assis à table, Ivan se tient derrière sa chaise. Il y a encore deux chaises et un fauteuil autour de la table.

 

Tchekhov

Ils sont en retard, j’ouvre le salon dans une demi-heure…

Ivan

Son assistant m’a appelé, ils arrivent Anton Pavlovitch… (On entend le glin-glin de la porte) les voilà.

Trois (quatre) hommes font leur apparition. Le trio est composé de Petika, son comparse (ou deux) et de leur patron qui se trouve au milieu soutenu par les gardes du corps. Il est dans un état somnambulique.

Ivan et Petika se croisent le regard. C’est la joie d’une rencontre inattendue.

Ivan (en ouvrant largement les bras)

Petika, Petika Bond !!!

Petika (en laissant choir le mec du milieu, son (ses) coéquipier(s) le ramasse (nt) sur le sol et le prend (ennent) dans les bras)

Petika

Ivan Tsarévitch !!!

Ils s’enlacent en se tapant dans le dos, se séparent, font un saut en arrière, prennent des poses de combattants sur le ring et entament mi- combat, mi- danse sur l’avant scène. Les gardes du cors du « Krasnogaz » supportent Petika et Tchekhov supporte Ivan, tout ça avec des cries « Davaï, davaï » et autres « chaïbou ». Une version plus compliquée de cette séquence est possible, en imitant un vrai match avec un cercle de lumière tombant du haut, la voix off de l’annonceur et Tchekhov dans le rôle de referee. Le combat s’arrête aussi net qu’il a commencé.

Petika (tape gentiment sur l’épaule d’Ivan)

Tu te souviens de ce championnat de Moscou ?

Ivan

Tu m’as eu, salopard, au sixième round…

Petika

Oui, mais j’ai perdu en final contre cet ouzbek… comment s’appelait-il déjà ?

Tchekhov

On arrête cette rencontre de vieux combattants. (En s’adressant aux gars du corps). Posez-moi ça ici.

Les gars du corps installent le PDG inanimé sur la chaise en face de Tchekhov, Petika s’installe à côté et sort son Ipad qu’il allume.

Tchekhov

J’ai failli attendre, vous avez de la chance qu’il me reste une place… j’ai reçu vos courriels, mais donnez-moi quelques détails.

Petika

Voyez-vous, docteur, c’est Victor Pletnev en personne, le PDG de « Krasnogaz », dans dix jours il doit signer avec les Chinois…

Tchekhov

J’ai compris, depuis combien de temps dure le Zapoï ? Y avait-il des précédents ?

Petika

Un mois, quarante jours ce coup–ci, et ça lui arrive tous les deux ans, le stress, la vie…

Tchekhov

J’ai vu les infos sur une chaîne russe, on lui a tiré dessus ?

Petika

Pour la sixième fois…

Tchekhov

Bon, bon. Il faudra au moins une semaine.

Petika (en sortant le chéquier)

Pas plus d’une semaine, docteur, s’il vous plait. Puis-je vous demander le prix de la question ?

Tchekhov prend son Ipad et tape une fois à droite du clavier et cinq fois à gauche la même touche, hésite un peu et tape une sixième fois.

Petika (Regarde)

Oups !!!

Tchekhov

Comment ???

Petika

Non, non, rien, rien…

Tchekhov

La moitié payée d’avance, le reste dans sept jours et je ne garantis rien, une semaine ça n’est pas assez… Que ça soit clair, je ne donne pas dans «satisfait ou remboursé ». Cette semaine, vous restez sur Paris ou vous rentrez ?

Petika

Non, non, nous avons loué un hôtel à côté. Puis-je vous demander une faveur, docteur ? C’est quand même, la deuxième fortune de la Russie, ne l’abîmez pas trop…

Tchekhov

Ha !!! Deuxième fortune ! Et alors ? (Il prend une photo encadrée sur le meuble et la montre à Petika et à ses compagnons, les autres la regardent et font des gueules incrédules et des commentaires méfiantes en russe).

Un mime sort des coulisses avec un grand poster sur sa pancarte et fait toute sorte de mimiques comme quoi l’encadré est trop petit, il montre à la salle la pancarte. C‘est une grande photo d’Eltsine avec Tchekhov.

Tchekhov

Vous vous souvenez qu’il avait disparu 10 jours en 1996 ? Personne ne savait où il était. Et oui, il était là (il montre avec le doigt le sous-sol), dans la chambre où vous allez mettre votre Président. Il va gerber dans la même cuvette et je ne vous prendrai pas un rouble de plus pour cet honneur, je ne suis pas un rat… Allez aider Ivan à l’emmener en bas, et vous pourrez y sortir, j’ouvre dans dix minutes. Ivan vous montrera.

Les troupes s’en vont. Tchekhov reste seul sur scène et fait un peu de rangement en chantonnant, il met sur l’avant-scène une table de toilette (de maquillage) sans miroir, juste avec le cadre et une chaise. On entend le glin-glin de la porte. Anouchka et Nadège entrent. Anouchka tombe dans les bras de Tchekhov.

Tchekhov (il mène le dialogue avec Nadège, pendent qu’Anouchka s’éponge sur son épaule)

Quel salopard quand même…

Nadège

Ignoble individu…

Tchekhov

Svolotche, predatel…

Mime sort juste la pancarte des coulisses :

«Enfoiré de traître !»

Nadège

Pardon ?

Tchekhov (lui montre la pancarte)

C’est ce que je dis, un enfoiré de traître…

Nadège

Comme toute la gent masculine !

Tchekhov  

Totalement d’accord avec vous Madame, c’est pour ça que je suis un féministe farouche depuis ma prime jeunesse. Dans le récit de la vie, vous êtes les substantifs dont nous ne sommes que des compléments d’objet directs.

Anouchka (elle arrête de pleurer et lâche Tchekhov)

Qu’est ce que je vais devenir ?

Tchekhov

Primo, Ivan va te faire un massage, regarde dans quel état tu es. Secundo, tout dépend de ce que veux, veux-tu te venger ou veux-tu qu’il revienne ?

Anouchka

Les deux.

Tchekhov

Aga ! Alors, à mon humble avis, cette affaire va demander une préparation minutieuse. Je veux y réfléchir cette nuit. Comme disait ma mère, «Le linge bien étalé est à moitié sec ».

Anouchka

Je veux qu’il reste comme avant, mais fidèle.

Tchekhov

La maison ne peut pas garantir la rééducation complète, mais nous allons lui donner une leçon, c’est sûr. Vanucha ! (Ivan apparaît illico). Tu vas faire le « Kouyak total » à Anouchka (il se retourne vers Anouchka.) Nothing else? Really? Juste un massage…?

Anouchka

Anton !!!

Tchekhov

Mais je ne sais pas, moi, comme tu veux te venger… j’ai pensé…

Anouchka

Anton !!!

Nadège

Vous arrêtez un peu vos insinuations !

Tchekhov

Bon, bon je voulais juste…

Anouchka et Nadège en concert

Anton !!! Monsieur Tchekhov !

Tchekhov (avec un grand sourire)

C’est bon les filles. Vanucha, ça sera donc un sauna russe avec les herbes de la Taïga. Un verre de vodka de 50 grammes issue de ma bouteille personnelle (en se tournant vers les filles), distillée à l’eau du lac Baïkal, s’il vous plaît, et ensuite une heure de massage. Je m’occuperais d’elle ensuite. Allez vous autres, ouste, ouste!

Anouchka et Ivan se sauvent et Tchekhov installe Nadège devant le cadre du miroir face à la salle.

Tchekhov Et vous, Nadège, vous voulez un petit verre de vodka ?

Nadège

Je ne bois jamais d’alcool ! 

Tchekhov (se met à côté de Nadège, prend sa tête et la tourne doucement).

Je trouve que vous avez l’air un peu fatiguée depuis la dernière fois.

Nadège (mollement, mais sans agressivité)

Dites carrément que j’ai vieilli…

Tchekhov (met un CD dans le lecteur, on entend la même mélodie qu’au début de la pièce, il commence à lui masser le visage)

Vous rappelez-vous de cette chanson ? C’est celle de votre dernière visite il y a deux mois. Depuis, je l’écoute chaque jour, puisque on y parle de vous.

Nadège (perd petit à petit tous ses moyens)

Vous m’avez dit que Nadège en russe se dit Nadejda… que ça veut dire l’espoir (on entend clairement le nom prononcé par la chanteuse)

Tchekhov

Avec les diminutifs et les suffixes en « ka » et en « chka », c’est encore mieux, ça donne Nadenika, Naducha, Nadulika…

Nadège commence à miauler.

Tchekhov Vous vous souvenez, dans « César et Rosalie », Romy Schneider dit à Yves Montand que sa belle maman, d’origine russe, la fait chier avec tous ces diminutifs ? Mais nous autres on ne peut pas s’en passer… La langue française à beau être la plus belle langue du monde, elle est peu affectueuse, reconnaissons-le… Et ça nous manque, à nous. Qu’est qu’ils vous disent vos amis, pour exprimer leur tendresse ?

Nadège (en ronronnant)

Ma petite Nadège…

Tchekhov

Et c’est tout ! A part ça, vous avez les éternels Lolo, Koko, Oliv et compagnie. Tandis que chez nous, pour chaque nom, pour chaque mot vous avez des diminutifs. Là, par exemple (il passe aux yeux), ce ne sont pas des yeux, ce sont mes glazonki, mes petits yeux, et là, autour, dans les endroits les plus fatigués, se ne sont pas des rides, mais mes mortchinochki, mes petites rides chéries.

Nadège les yeux fermés, miaule de plus en plus fort.

Anouchka (apparaît en peignoir et observe la scène)

Tiens, elle recommence, ça ronronne plein pot.

On entend le glin-glin de la porte et un jeune homme agité rentre d’une manière un peu fracassante sur scène.

Le jeune homme

Je peux parler au patron ?

Tchekhov (surpris et un peu agacé)

Et notre « bonjour », il est où ?

Le jeune homme

Madame, Monsieur, j’aimerais parler à Monsieur Tchekhov

Tchekhov

It’s me. It will be possible in half an hour.

Le jeune homme

C’est assez urgent…

Anouchka

Vas y, Anton, on va papoter…

Tchekhov (En s’adressant à Nadège)

Ce n’est que partie remise… (Il prend le jeune homme par le coude et le ramène vers l’autre côté de la scène). Qu’est ce qu’elle a, la jeunesse ?

Jeun homme

Je viens de la part de Monsieur Jlobinski.

Tchekhov

Tiens, il est de nouveau en activité celui-là ? Combien de temps s’est-il reposé aux frais du contribuable? Deux ans ? Trois ? C’était quoi, j’ai oublié, du proxénétisme ?

Jeun homme

Aujourd’hui, Monsieur Jlobinski possède trois agences matrimoniales…

Tchekhov

Spécialisées  dans les pays de l’Est, je parie !

 

Jeune homme

Pas seulement, on fait la Chine, le Brésil, bref, tous les pays émergents. Babouchka Europe a besoin du sang neuf.

Mime avec la pancarte : « Babouchka = Mamie »

Tchekhov

Voyons ! Vous avez des ambitions géostratégiques, ma parole.

Le jeune homme Au fait, Monsieur Jlobinsky vous demande si vous n’auriez pas, à Moscou ou ailleurs, un gars bien portant, mais on ne veut ni ouzbek, ni tadjik, bref, on ne veut pas d’Asie centrale… A la limite, un Polonais. Mais un vrai RDS, c’est mieux.

Tchekhov

Pardon ?

Jeun homme

Un RDS, un Russe de souche. Un RDS ça a plus de la gueule pour cavaler en justes noces avec notre cliente FDS, Française de souche, d’un âge, disons mûr, mais attention, très distinguée, la classe, quoi. Le prix de la question, 50 mille euros payés cash, mais en deux temps, la moitié à l’arrivée, tout de suite après le mariage, et l’autre, plus une carte de séjour, au bout d’un an, le temps de l’essai. Dites votre pourcentage.

Tchekhov commence à tourner autour du visiteur, les filles arrêtent leur papotage et suivent attentivement la scène.

Tchekhov

Ah, Jlobinsky, Jlobinsky on ne se refait pas. Un gigolo de plus pour la France, comme s’il n’y avait pas assez du cru. Votre cliente doit faire gaffe, cette histoire pourrait se finir en argent jeté par les fenêtres. Un Russkoff, ça peut être beau et costaud à la base, et, naturellement, enthousiaste pour partir en France, mais au bout de trois mois ça commencera à boire sérieusement. Ca arrêtera d’honorer sa petite dame sous un prétexte fallacieux, par exemple qu’elle a les fesses fripées, et il est fort possible qu’au bout d’un an, une fois la rançon payée, il la force à manger un tue-mouche en entier.

Nadège et Anouchka s’approchent et s’arrêtent à côté de deux hommes.

Le jeune homme (il commence à tourner en faisant un cercle dans le sens opposé à celui de Tchekhov)

Qu’est ce qu’on a foutre d’eux, on ne va pas étudier le pedigree du gars, s’il avait des parents alcooliques ou bolcheviques. Une fois payé, ils peuvent s’entre-tuer autant qu’ils veulent.

Tchekhov

Mais bien sûr, c’est ça la nouvelle mentalité qui dirige le monde, pas spécialement les Russes d’ailleurs, arracher son bout de gras, là, tout de suite, et après nous le déluge. C’est pas très écolo, tout ça. Mais si jamais votre affaire devient un fait divers, tous les medias se jetteront sur nous comme les mandavochkis sur le bas clergé normand…

Mime sort la pancarte : « Mandavochkis=morpions »

Tchekhov

Ils n’attendent que ça, dès qu’il s’agit des Russes là bas ou ici, ils se jettent dessus illico, presto, sur le champ. Ca fait trente ans que je me demande pourquoi ils nous aiment autant. Mais dans tous les cas de figures, ça nuit à notre réputation et par conséquent à quoi ?

Le jeune homme (avec irritation)

A quoi ?

Tchekhov

A notre business, jeune Werther, à notre business à long terme. Mais je comprends que la notion de durabilité ne fait pas partie du vocabulaire de ton maquereau de chef, maquereau il était, maquereau il crèvera. Et en ce qui te concerne, cette idée ne peut pas atteindre ton cerveau reptilien car la route est très longue. (Il mesure son vis-à-vis du regard)

Nadège

Bien envoyé Tchekhov.

Le jeune homme (ils décrivent le cercle tous les deux en se fixant du regard)

Oh, oh, toi, le pépé urgentiste du genre Zapoï, tourne trois fois la langue dans ton clapet puant avant de parler de mon patron. Lui, au moins, il a gardé son nom, lui. Pourquoi est-ce que cette mémé (Nadège sursaute indignée) t’appelle Tchekhov, t’est Enculschtein, toi ! (Il le pousse à l’épaule). Il y avait des écrivains feujes russes, pas terribles, mais il y en avait, comme Babel ou Mandelstam par exemple. Mais non, t’as pris le nom d’un des nôtres, d’un russe, un des plus célèbres en plus ! Tu veux que je te dise, vous êtes comme des taons qui sucent la culture et l’âme-même de l’humanité (il le pousse la deuxième fois).

Tchekhov

Il m’a poussé ! Tout le monde a vu, il m’a poussé ?

Nadège et Anouchka (en concert)

On a vu, on a vu !

Anouchka (en se détachant de Nadège elle court et disparaît dans les coulisses en criant)

Ivan, Vania, Vaniucha !!!

Le jeune homme

Poussé, poussé… tu mérites une bonne raclée toi…(il lui décoche un crochet, mais Tchekhov esquive, fait un feint et lui assigne un uppercut dans les parties. Le jeune homme se plie en deux avec un cri horrible)

Tchekhov (en ajustant ses manchettes et en s’adressant à Nadège)

On est affectueux, mais il ne faut pas pousser.

Nadège (en relevant sa jupe et en passant derrière le Jeune homme, lui met un coup de pied dans le postérieur, l’autre s’étale sur scène)

C’est de la part de la mémé…

Anouchka et Vania apparaissent sur scène en courant.

Tchekhov

Vania, jette-moi ça dehors… le plus loin possible…

Ivan (en chuchotant)

Dans la Seine ?

Tchekhov

Sous le pont.

Ivan prends le corps inanimé sur les épaules (s’il arrive) et l’emmène dans les coulisses.

Tchekov (s’approche de Nadège, lui prend la main, la musique joue doucement).

Mais vous êtes une vraie guerrière, Nadenika…

Nadège

C’est dans ma nature…

Anouchka (s’approche et soupire)

Ca va, vous ?

Tchekhov (tient toujours la main de Nadège)

Tenez, les filles, j’ai eu une idée brillante  et je la pense! Et si on dînait demain tous les trois chez toi, Anouchka ! T’achètes juste des écrevisses comme zakouski, à n’importe quel supermarché, je m’occupe du reste. Il va voir, ton Olivouchka, où « les écrevisses passent l’hiver ».

SCÈNE DEUX

Le salon de Tchekhov, tout petit éclairage, juste la table où est assis Tchekhov avec un livre et une bouteille de vodka. Il rajoute des ingrédients dans la bouteille, en consultant le livre.

Tchekhov (il regarde la couverture du livre)

Merci Anton Pavlovitch, qu’est ce que je ferais sans vous. (il ouvre le livre et lit le titre de la nouvelle) – « Remède contre les crises d’ivrognerie », en russe ça s’appelle « Remède contre le Zapoï», il n'y a pas de mot en français pour désigner ce stade d'alcoolisme, des alcooliques de type Zapoï existent, mais on les appelle des ivrognes, tandis que Zapoï c'est un cran au dessus, voire plus... mais bon. Alors, qu'est ce que nous mettons dedans (il prend des ingrédients sur la table et les met dans la bouteille avec les commentaires). Un morceau de savon, sale de préférence (après avoir mis le morceau, il secoue la bouteille), ensuite, un peu de salpêtre, de l'ammoniaque, alun, sulfate de soude, colophane et ça ira, bien que (en regardant le livre) il y ait plein d'autres choses à ajouter. Ivan, Vanucha monte s'il te plaît.

Ivan (sort des coulisses)

Je suis là.

Tchekhov

Comment il va ?

Ivan

Il se réveille, Anton Pavlovitch.

Tchekhov (en lui tendant la bouteille)

Parfait, dès qu'il ouvre l'œil, tu lui donnes ça à boire. Ca lui arrachera les tripes, il va gerber comme jamais de sa vie. Dès qu'il finit, tu le forces à boire encore et encore, comme d'hab, quoi. Ne le frappe pas à la tête, ni au foie, il est trop abîmé et peut éclater. Vas y mollo, il n'est pas très solide. Tu le surveilles jour et nuit, nous n'avons qu'une semaine. Dès la troisième journée, on arrête la mixture et on lui donne le triplé gagnant, Prozac, Equanil et Aotal avec beaucoup d’eau. Et nous allons essayer le Baclophène, c’est nouveau, on va voir. Ca va de soi, il va menacer, il va promettre de nous faire tous mourir dans les tortures qui avaient cours chez Ivan le Terrible, tu connais la chanson.

Ivan (souriant)

Comme d’hab’ et après, comme tous les autres, il nous dira merci et il m’invitera à Krasnoïarsk pour que je sois sous la main au cas où.

Tchekhov (en enlaçant Ivan)

Ca caille en Sibérie, par contre, dis-moi, Moscou te manque ?

Ivan

Un peu, j’aimerais bien aller voir mes vieux.

Tchekhov

Promis, juré ! On remet sur pied le « Krasnogaz » et t’auras dix jours de vacances. Au fait, Vanucha, nous sommes en quelque sorte les bienfaiteurs de l’humanité, toi et moi. Disons, d’une partie de l’humanité, mais quand même…

Ivan

Chouette !

Rideau.

Acte III

SCÈNE UNE

Le même décor qu’au premier acte. La table dînatoire avec des zakouski, une bouteille de champagne. Anouchka met les couverts. On sonne à la porte, elle court ouvrir. Tchekhov, une bouteille de vodka et une boite ronde dans les mains et Nadège, avec un bouquet de fleurs, rentrent tout souriants.

 

 

Anouchka

J’ai préparé le bortch comme plat de résistance, passez directement à table.

Tchekhov

Tu n’as pas oublié des écrevisses ?

Anouchka (montrant le plat)

Elles sont là, je ne savais pas que tu étais fan des écrevisses.

Tchekhov (en lui passant la vodka et la boîte)

Je les déteste, tiens la vodka, toujours à l’eau du lac Baïkal, et le caviar malosol, la pêche du mois dernier, directement de l’estuaire de la Volga.

Nadège

Je n’y jamais goûté de ma vie.

Tchekhov (il ouvre la boîte)

C’est parce que vous ne me connaissiez pas assez…

Les écrevisses, on en aura besoin tout à l’heure, mais buvons d’abord. (Il sert la vodka à tout le monde, prend des petits blini et les pose sur l’assiette d’Anouchka et de Nadège).

Nadenika, prenez un petit bline et tartinez-le avec le caviar, la couche de caviar doit être aussi épaisse que le bline lui-même, regardez comment nous faisons avec Anouchka (ils font la démonstration). Naducha, vous êtes, bien sûr, au courant que la vodka doit être fraîche et qu’elle se boit cul sec, vous vous versez une lichette, mais cul sec. Je sais, je sais, vous ne buvez pas d’alcool, mais justement, voilà une raison de plus pour faire vite, il ne  faut jamais la siroter. Vous prenez votre verre d’une main, votre bouchée de l’autre, vous trinquez, vous expirez et vous jetez le comestible dans la chaudière (il fait la démonstration). Vous expirez de nouveau et vous envoyez votre bouchée dans la même direction.

On entend un « mmmmmmm » de souffrance dans les coulisses et une pancarte apparaît: «  Salaud !!! C’est insupportable ».

Les filles boivent et  s’assoient.

Tchekhov (verse tout de suite le deuxième verre)

Между первой и второй перерывчик не большой!

On entend de nouveau le «mmmmmmmm» souffrant  et la pancarte apparaît « Entre le premier verre et le deuxième il n’y a pas de pause »

Nadège

Je vais être soûle.

Tchekhov

Et alors, une fois dans la vie on peut se le permettre. Anouchka, t’as un escabeau ?

Anouchka

Pourquoi faire ?

Tchekhov

Je vais vous expliquer, les filles. Apporte l’escabeau, s’il te plait.

Anouchka va chercher l’escabeau, Tchekhov verse encore un verre à Nadège et à lui-même.

Nadège

Je ne sens plus mes jambes au-dessous des genoux, mais j’ai des idées claires.

Tchekhov (en trinquant)

Tant mieux, on a du boulot. Allez Naducha, nous allons boire comme on le fait chez nous, en nous regardant dans les yeux, puisque c’est le moment de vérité.

(Ils boivent en se regardant dans les yeux et s’embrassent ensuite à la russe sans la langue)

Anouchka rapporte l’escabeau. Tchekhov l’installe sous la fenêtre, monte dessus, enlève la tringle, descend avec et s’assoit sur sa chaise. Il commence à dévisser le bouchon à l’extrémité de la tringle.

Anouchka Qu’est ce que tu veux faire, attention elles sont peut-être un peu poussiéreuses, je n’ai pas fait de ménage depuis longtemps.

Tchekhov

Tant mieux. Nous allons faire en sorte, que ta pire moitié t’appelle, dans trois semaines au plus tard, en te suppliant de rentrer. Passe-moi des écrevisses et du caviar.

Il prend une écrevisse, la tartine de caviar et la met à l’intérieur de la tringle.

Anouchka et Nadège (bouche bée)

Nadège

Les tartiner de caviar est obligatoire ?

Tchekhov

Ca va agir plus vite. Allez, Nadenika, tu continues ici, nous, nous allons dans la chambre. Anouchka, prends la moitié du matériel (de vengeance).

Anouchka

Comment ?

Tchekhov

Ah, je te dis de mettre dans ton assiette la moitié d’écrevisses et de caviar.

Anouchka (en s’exécutant)

Elle n’est pas propre…

Tchekhov

Pour ce qu’on va faire…

Il attrape l’escabeau et ils s’en vont avec Anouchka dans les coulisses.

Nadège est pompette à souhait. Elle a des petits hoquets. Elle prend une écrevisse, la regarde comme une ennemie du peuple et la trempe dans le pot de caviar. Elle la ressort toute couverte des petits grains, la regarde attentivement de nouveau, hoquette, regarde la salle et, en la tenant par la queue, commence à la lécher et ensuite à la sucer, afin d’enlever tout le caviar qui était dessus, tout ça avec une concentration maximale. On entend les voix de Tchekhov et d’Anouchka qui reviennent.

Anouchka (dans les coulisses)

J’apporte le bortch.

Nadège met en vitesse l’écrevisse toute nue dans la tringle. Autour de la bouche, il lui reste quelques grains de caviar.

Tchekhov (rentre et voit Nadège en train de se lécher précipitamment les babines, il enlève le dernier grain avec son doigt, le mange et tend une serviette à Nadège. La musique joue, Tchekhov commence à tourner en rythme avec Nadège)

Naducha, avec moi, tu vas manger le caviar avec une cuillère à pot.

Nadège (un hoquet)

Et les massages ?

Tchekhov

Tous les jours… Jusqu’à ce que la mort nous sépare…

Nadège (arrête de danser et regarde Tchekhov dans les yeux)

D’accord (encore un hoquet)… mais je garde Dedieu…

Tchekhov

Sorryyy ? Qui ça ?

Nadège (un hoquet)

Lui… Mon nom… Dedieu… je reste Dedieu même en qualité de Madame…

Tchekhov

Un nom pareil, ça ne se change pas… Mais on ira, quand même, à Piter, j’ai de la famille là-bas…

Nadège

Où ça ?

Tchekhov

A Saint-Pétersbourg, Piter c’est un diminutif, Saint Pet si tu veux…

Nadège

Va pour Saint Pet, j’ai toujours rêvé d’aller voir la Venise du Nord.

Ils commencent à tourner plus vite, Anouchka rapporte la soupière et danse avec.

Rideau

 

Final avec et la sortie collective de la troupe.

La lumière tamisée dans la salle, la scène est noire sauf un cône de lumière qui tombe du haut et éclaire le lit au milieu de la scène. Anne dort dedans, le portable à côté de son oreiller. Le téléphone sonne deux fois. Anouchka se réveille et attrape le téléphone.

Anouchka (ensommeillée)

Oui… je vous écoute (silence), c’est toi Olivier ?

Olivier

Oui, excuse–moi, il est 2 heures du mat,  je t’ai réveillée ?

Anouchka

Ce n’est pas grave, comment ça va ? D’où m’appelles-tu ?

Olivier

Nous sommes dehors, moi et Tousik, dans le jardin (on entend le hurlement du chien).

Anouchka

Rentrez, il fait froid dehors, vous allez attraper la crève.

Olivier

On ne veut pas, la maison pue, elle empeste… elle pue la trahison… la mienne…  ça pue encore même si j’ai jeté les tringles.

Anouchka (après un silence)

T’as tout compris ?

Olivier

Pas tout de suite, le nettoyage à fond de tous les endroits suspects n’a rien donné, la dératisation et le changement de moquettes, non plus. C’est Tousik qui m’a montré d’où ça venait, tout de suite après le départ de Maryvonne, qui a dit, préalablement, tout ce qu’elle pensait de nous et notre maison nauséabonde.  Qu’est ce qu’il est intelligent ce chien (on entend le hurlement) ! Il s’est mis à sauter sous la tringle du salon, dès qu’elle est partie, en aboyant et en me montrant par tous ses moyens de chien où il fallait chercher.

Anouchka

Tu m’en veux ?

Olivier

Moi !!! ??? Quand j’ai découvert ces foutus crustacés, je me suis souvenu, que tu me répétais souvent ce dicton incongru  avant qu’on fasse l’amour. Et, alors, j’ai compris la chose principale : je ne saurais jamais « où elles passent l’hiver » avec qu’un d’autre. Rentre s’il te plaît, nous n’en pouvons plus (hurlement de Tousik), rentre et ne nous quitte plus jamais.

La scène s’allume et les musiciens (les instruments à vent) sortent de deux côtés de la scène, en jouant « Nadejda », et se mettent de deux côtés du lit. Toute la troupe apparaît. Standing ovation du public en délire.

 

 

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