LA BAVETTE D'ALÈJANDRO

Philippe Larue

Allez, piques-le Descarte. G4H3O3, plus connu sous l'appellation GHB ou acide gammahydroxybutyrique pénétrait la veine d'Alèjandro Hillo.

Matador professionnel depuis deux années, Humilier l'avait ébranlé. Un taureau extrêmement puissant qui baissait la tête en signe de noblesse. Mais trop sur de lui, Alèjandro Hillo était plongé en sommeil sur la table d'opération. Descartes l'anesthésiste, enfonçait à présent le piston de la seringue alors que l'inconscience d'Alèjandro avait débuté, une heure auparavant. L'habit de lumières avait été ôté dans le camion de pompier, telle une humiliation. Certes, Humilier avait eu finalement les oreilles coupées mais sa corne était entrée profondément dans l'abdomen d'Alèjandro. Le scalpel du chirurgien incisait la peau éventrée d'une tranchée supplémentaire où les poilus avaient déserté. Ce n'était pas des petits soldats de plomb qui s'enfonçaient dans les entrailles d'Alèjandro, Humilier par un simple signe astrologique, mais les doigts du chirurgien. Une petite fiole de virus, des phages, était versée à l'intérieur du gouffre abdominale. Les phages baîllonneraient le risque d'une infection bactérienne, invisibles extraterrestres apparus avant les dinosaures et à l'intelligence incroyable.

Tandis que la main du chirurgien nettoyait la plaie d'Alèjandro Hillo, que l'esprit d'Humilier parvenait au harem du Nirvana, l'inconscience d'Alèjandro vagabondait entre les enfers d'Orphée et ceux d'Hippocrate. Les sons de l'électrocardiogramme pouvaient prétendre affirmer qu'Alèjandro vivait une expérience de mort imminente. Alors qu'une effervescence avait lieue dans le bloc chirurgical, à redémarrer le coeur soudainement stoppé, Alèjandro distinguait clairement Humilier, face à lui. Sous l'oeil de Véronique, où passer se protéger d'une attaque d'Humilier dans l'intemporel? L'âme était-elle une cape rouge? Point de piques ni de banderillas, et l'épée? Mais aucune violences régnaient aux alentours. D'ailleurs, comment serais-ce possible là où se trouvait Alèjandro? Un corps astral, plusieurs corps astraux dans un décor immatériel de l'immaculée conception Marie. Qu'as-tu fais Alèjandro, semblait questionner son miroir, Humilier? Je t'aimais trop et tu m'as transpercé le coeur à plusieurs reprises...

L'électrocardiogramme venait de repartir à quarante-cinq pulsations cardiaques. Alèjandro était enfin réanimé par un Descarte incrédule. En effet, la pointe d'une aiguille s'était enfoncée par inadvertance dans la cuisse suite à une erreur de mouvements du personnel médicale dans une pièce trop exiguë.

L'atmosphère était vivifiant dans ce square londonien. Alèjandro avait déambulé dans les couloirs de l'hôpital, longtemps. À présent, il expirait ses dernières souffrances à l'air libre. La solitude trop longue du banc accueillait un nouvel être. Pourtant, ceux aux alentours lui offrait une belle compagnie, mais un humain assis au pays des écureuils, c'était une opportunité. Jamais Alèjandro n'avait autant médité sur la vie. Chaque jour était envahi par cette EMI vécue à l'hôpital. Discrètement, Alèjandro pleurait les larmes des douleurs subites par Humilier. Dès sa sortie de l'hôpital, Alèjandro avait déserté les arènes et ses amis toreros, les corridas. Avant de partir pour Londres dans une durée indéterminée, Alèjandro s'était baladé dans les prés de Camargue sauvages. En observant les taureaux en semi-liberté, il les avaient imaginé le corps rempli de banderilles, les oreilles coupées et la pointe de l'épée entrant parmi la chair, jusqu'au coeur. Dans l'esprit d'Alèjandro, un je t'aimais résonnait et martelait son esprit. Dans sa mémoire, pas de tunnel ni d'êtres connus. Une rencontre invraisemblable, celle d'Humilier, le taureau qui l'avait encorné. La main sur le ventre, Alèjandro se disait qu'il avait de la chance d'être en vie. Du moins, à apprendre et dompter sa renaissance. Sa bibliothèque avait été complétée par des ouvrages concernant les EMI. À aucun moment, Alèjandro n'aurait pu s'imaginer vivre cette expérience. Vie/Mort...pas de différence sauf en sensations emplifiées au million. Les sensations humaines? Une utopie éphémère au service de l'âme.


- Mr Alèjandro Hillo, j'ai bien apprécié votre bavette mais je vous cerf quoi?

- Pas de Pathé aujourd'hui...à bientôt.

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