La beauté du paysage

nat28

Projet Bradbury - Semaine 19

                La douceur de la bise du mois de mai caresse mon visage, tandis que la route défile sous les roues. A chaque virage, c'est un nouvel enchantement : le paysage, sans cesse renouvelé, offre à mes yeux un spectacle merveilleux, mélange de roc et de végétation en ce début de printemps. La nature renait, et les ravages de la sécheresse et des feux de forêts n'ont pas encore laissé leurs marques cruelles et indélébiles sur l'Ile de Beauté.

 

                Nous en avons rêvé longtemps de ce voyage, alors quand mon fiancé m'a offert le billet de transbordeur reliant Toulon à Ajaccio, pour mon vingt-huitième anniversaire, je fus émue aux larmes. Ce morceau de papier n'était pas un simple titre de transport : c'était la promesse d'un merveilleux voyage et aussi un symbole, celui de cette liberté que nous nous refusions depuis que nous avions pris la décision d'acheter un appartement. Notre appartement.

 

                Nos deux petits salaires nous laissaient à peine de quoi vivre, une fois le crédit et les charges payées, et depuis que nous avions emménagé dans  notre trois pièces, nous avions renoncé à toute idée de voyage. "Cela ne durera pas", voilà ce que nous nous étions dit en signant le contrat de vente, mais malheureusement, les événements en avaient décidé autrement.

 

                Il y avait bien quelques séjours chez mes parents ou les siens, en Auvergne et en Bretagne, mais la promiscuité familiale ne s'apparentait que très rarement à de véritables vacances. Nous avions difficilement fait le deuil de nos envies d'évasions, conscients de nos nouvelles responsabilités financières.

 

                Et puis un soir, après que j'ai soufflé les bougies qu'il avait eu la délicatesse de planter sur un gâteau au chocolat confectionné par ses soins, le billet pour la Corse était apparu sous mes yeux incrédules.

 

                J'avais presque gâché cette belle surprise en émettant rapidement des doutes quand à la faisabilité de ce voyage. Etouffée par le pragmatisme, obsédée par notre situation pécuniaire plus que précaire, j'avais questionné mon fiancé pendant de longues minutes : comment nous déplacerions-nous, car nous n'avions pas de voiture et pas les moyens d'en louer une, où logerions-nous, qui s'occuperait de notre chat... Lui me souriait sans me répondre, amusé par l'absurdité croissante de mes interrogations. "Tu verras" avait-il fini par me répondre, avant de me prendre dans ses bras et de m'embrasser tendrement.    

 

                Deux mois plus tard, je bouclais un sac de voyage, sans savoir ce qui m'attendais. Et le matin du départ, quelle ne fut pas ma surprise d'entendre vrombir le moteur d'une moto sous mes fenêtres, alors que je m'éveillais à peine. Le conducteur de la machine rutilante n'était autre que mon fiancé, qui me tendis un casque et me lançant "monte !" avant même que je puisse réaliser ce qui se passait. "Le chat est déjà chez la voisine" ajouta-t-il pour me rassurer et pour me convaincre de prendre place derrière lui.

 

                Je ne pus percer le mystère de ce voyage en Corse et de l'apparition de la moto avant plusieurs heures et notre arrivée au port. Durant la traversée, mon fiancé consentit enfin à tout m'expliquer. Depuis plusieurs mois, il travaillait tout les samedis dans un garage spécialisé dans la réfection de deux roues motorisés. L'établissement appartenait à un de ses amis d'enfance, qui, en plus de lui donner ponctuellement du travail, l'avait aidé à remettre en marche une moto laissée là par un client. Ces heures de mécaniques avait non seulement permis de financer le voyage en Corse, mais également de nous fournir un moyen de locomotion peu couteux. Cette révélation fit pondre en moi un sentiment de culpabilité, car il m'était arrivée à plusieurs reprises de me plaindre de ses absences sabbatiques, croyant qu'il passait ses journées à jouer aux jeux vidéos tandis que j'effectuais les corvées nécessaires au bon entretien de notre logis.

 

                Mon fiancé me rassura et m'avoua que la perspective de mon bonheur lui avait fait oublier toutes mes remarques.  Il m'expliqua également qu'il avait préparé notre expédition pendant plusieurs mois, ce qu'il lui avait permis de nouer des contacts avec des autochtones prêts à nous héberger gracieusement. Une fois de plus, il dut composer avec mes larmes de joie, sur le pont du navire qui nous menait jusqu'à Ajaccio.

 

                Après quelques heures d'une calme traversée, nous avions posé le pied et les roues sur l'Ile de Beauté. Et une excursion de dix jours sur les routes corses nous attendait.

 

                Depuis le début du voyage, je rayonne de bonheur. Les petits villages et les spécialités locales sont tous plus délicieux les uns que les autres, nos hôtes d'un soir sont amicaux et chaleureux, et je suis plus amoureuse que jamais de l'homme qui a rendu tout cela possible. Enlaçant mon fiancé, qui conduit avec dextérité sa moto sur les sinueuses routes corses, je m'extasie à chaque instant sur la beauté du paysage. Mon émerveillement serait total si une douleur lancinante ne me ramenait pas sans cesse à la triste réalité : sur une sportive, la passagère est toujours mal installée. Et j'ai sacrément mal au fessier.   

 

                 

  • Merci ! Ce n'est pas évident de trouver l'inspiration chaque semaine (et parfois le temps !), les retours positifs sont donc très motivants !

    · Il y a presque 7 ans ·
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    nat28

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