« La concierge est dans l’escalier ! »

Hervé Lénervé

On est revenu un peu en arrière, disons, les années soixante-dix, ça vous va ? Devant la loge de la concierge d’un immeuble parisien, quelques locataires commentent.

« La concierge est dans l'escalier ! »

-         Surtout, qu'elle y reste ! Moi, je prends l'ascenseur.

-         Encore ! Mais qu'est-ce qu'elles peuvent bien avoir à faire dans l'escalier, toutes ces concierges, pour y être toujours fourrées ?

-         Aucune idée ! Moi, mon tailleur est riche !

-         Il n'a pas fait fortune en vous taillant des costumes ? I presume !

-         Pourquoi, suis-je si mal habillé que cela ?

-         Pas du tout ! pas du tout, Môssieur ! Vous n'êtes, pas mal habillé, vous n'êtes, pas habillé du tout !

-         Oh ! quel étourdi, fais-je ? Je monte me changer !

-         Non ! Monter seulement vous couvrir, monsieur !

-         Moi, je vous trouvais bien ainsi !

-         Merci ! c'est la première fois que j'ai des compliments sur les effets que je n'ai même pas mis.

-         Bien sûr ! Encore la petite dévergondée du troisième. Ah ! il les lui faudra tous, à celle-là !

-         Ne soyez pas jalouse, Germaine, vous aussi, vous avez déjà été jeune et belle, il y a un temps… long, certes… il y a longtemps… quoi !

-         Non ! Jamais !

-         Bé, vous avez au moins cette lucidité d'esprit !

-         Parler d'esprit à Germaine c'est parler tricot à un multi manchot des deux bras.

-         J'espère qu'il lui reste encore des jambes pour redescendre de l'escalier.

-         On ne parlait pas de la concierge, quoi que… on parle de la Germaine du 6ème. C'était une expression !

-         Moi aussi ! j'aimerais bien un café en attendant qu'elle descende.

-         Mais pourquoi, vous l'attendez, vous ?

-         Aucune idée, je fais comme tout le monde et vous pourquoi, vous l'attendez ?

-         Je ne l'attends pas, j'attends mon tour, pour prendre la poudre d'escampette.

-         La poudre de récurette, vous devez l'aider à nettoyer l'escalier ?

-         Grand Dieu, non ! Pourquoi nettoierai-je un escalier que personne n'emprunte plus, depuis qu'ils ont installé un ascenseur.

-         Mais alors qu'est-ce qu'elle peut bien y faire dans cet escalier depuis quinze jours ?

-         Quinze jours ? Vous voulez rire, jeune homme, deux mois, oui ! Je me souviens très bien qu'elle a mis cet écriteau, le 3 mars 1972.

-         Merde ! c'est la date de la naissance de mon petit neveu !

-         Merde ! J'ai le pressentiment qu'il ait pu lui arriver quelque chose de fâcheux dans cet escalier.

-         A qui ? A mon petit neveu ?

-         Pourquoi, cet escalier est-il mal fréquenté ? Aurait-elle pu être violée ? Ô mon Dieu ! Enfin… non… pas par vous… Ô Seigneur…je suis confuse…oui ! Trois « Pater noster », un « Ave Maria » et trois kilos de pommes ! Ok ! C'est noté ! Pas de problème, mon pote !

-         Violée, là, ça m'étonnerait ? Il y a des malades partout, je sais, mais à ce point, quand même ? La folie connait, elle-même, ses limites. (Que nous ne connaissons pas, nous-mêmes, puisque nous ne sommes pas fous !?!? »

-         Ce serait dommage pour le courrier ! J'attends une carte postale importante.

-         Moi, un colis des trois Suisses qui étaient quatre comme chez Dumas qui ne savait pas compter.

-         Moi, je n'ai jamais rien lu de Marguerite Dumas, c'est bien ?

-         Oui ! C'est bien, très bien fait, pour elle, surtout ? Personnellement, je préfère la télévision, les émissions culturelles et cultivées, quand même, celle de Guy Lux, par exemple !

-         C'est une marque de produit de vaisselle ?

-         Mais non, voyons ! C'est un chanteur très connu qui chante avec sa voix.

-         Alors, qu'est-ce qu'on fait, pour notre courrier ?

-         Je pense qu'il faut appeler les PTT pour qu'il porte secours à Germaine.

-         Mais je n'ai besoin d'aucun secours ! espèce de mufle !

-         Oh ! Je vous prie d'accepter toutes mes platitudes, madame, je pensais que Germaine, c'était le prénom de la concierge. Je ne sais pas pourquoi j'ai cru cela ?

-         A cause des moustaches !

-         Pardon ?

-         Oui, la concierge a les mêmes que Germaine.

-         Ce ne sont pas des moustaches, messieurs, voyons ! Ce ne sont que de légères ombres, un subtil reflet, un doux duvet comme les blondes ont parfois pour souligner la délicatesse de leur peau de porcelaine.     

-         Mais Germaine, vous êtes brune… enfin… si disons brune, admettons !

-         C'est une couleur !

-         J'aurais pensé davantage à des couleurs ou à une erreur de couleurs ou alors à une horreur d'erreur de la nature.

-         Oui ! Effectivement, je me suis peut-être un peu mélangé les cheveux dans les produits.

-         Remarquez, ils font des couvre-chefs qui mettent en valeur des  têtes, parfois, du moins.

-         Essayez, une cagoule Germaine, je pense que ça ne peut pas vous desservir.

-         Une cagoule par cette canicule, ce n'est pas confortable.

-         Maintenant, si vous cherchez le confort ? Là, effectivement, on ne peut plus vous aider.

-         Dites, Germaine, vous ne voudriez pas glisser un œil dans l'escalier pour voir si vous la voyez, la concierge ?

-         Pourquoi, moi ?

-         Je pensais, bêtement, que s'il y avait une espèce de bête avec la concierge, en ce moment, elle ne serait pas perturbée de voir une similitude de têtes, la bête ?

-         Merci ! dites que je ressemble à la concierge ?

-         Mais elle ressemble à quoi cette concierge à la fin !

-         Elle ne ressemble à rien, c'est là, justement, son problème. Elle est comme Germaine, qui elle préférerait encore ressembler à si peu.

-         Les concierges devraient mettre une photo d'identité sur la porte de leur loge, comme ça, on pourrait les reconnaitre.

-         Attendez, moi je l'ai déjà vu la concierge, comment pourrais-je vous la décrire ? Non… finalement la photo, c'est bien !

-         Taisez-vous j'entends un bruit de pas !

-         Où ça ?

-         Dans l'escalier, pardi !

-         Ah, oui ! Je l'entends aussi ! Là, là, là, la Bête !!!

-          ????????????

-         C'est à quel sujet ?

-         Pardon ?

-         Vous m'attendiez ?

-         Non, non ! On se demandait juste comme cela, en passant, quand allait revenir la concierge, si elle voulait bien revenir, il va de soi, enfin je veux dire revenir sans contrainte, quoi… vous comprenez ?

-         Ah ! l'écriteau !

-         L'écriteau ?

-         Je ne l'ai pas changé, c'est celui de ma mère. Je suis Raymond. J'ai repris la loge à la mort de ma mère, il y a cinq ans, déjà ! Mais je vous dis tout cela, vous vous en souvenez très bien, bien-sûr !

-         Evidemment, évidemment, parfaitement, nous nous souvenons parfaitement de votre mère ! charmante, n'est-il pas ?

-         Charmante, affable, parfaite, excellente, excellentissime… une femme adorable.

-         Non ! Là messieurs dames, je crois que vous faites une erreur de personne ! Ma maman était une véritable ordure… la plus belle ordure que la Terre n'ait jamais portée ! Blondin ! (Bon, là, je crois que j'ai mélangé les bobines, désolé…)

  • Cierges et concierges s'éteignent, l'ascenseur anti-social a trusté toutes les victoires avec les autres machines.

    · Il y a plus de 6 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

Signaler ce texte