La Dame du lac.

Christophe Hulé

Le lac est comme un miroir. Des nuages en haut et les mêmes en bas. Les poissons pourraient frétiller dans le ciel tant l'illusion est complète. Allongé sous le saule, j'écoute le chant de la nature. Bon c'est vrai, ça vaut pas Bob Dylan.


Derrière le rideau, le soleil resplendit. On croirait voir un ruissellement de diamants. Je vois les barques au loin, elles doivent crever d'chaud. L'herbe est brûlante, même à l'ombre.

Tout à l'heure c'est sûr j'irai me baigner.

Mais j'ai peur des serpents.

Je sais, c'est con, chacun ses phobies.

J'irai où l'eau est claire, je surveillerai mes arrières, et devant et autour, en terrain découvert.

Je sais je suis débile, il y a plus de serpents dans mon esprit que dans la réalité. En vrai j'ai dû en voir deux ou trois, pas plus.

L'eau glacée que j'anticipe aura raison de mes peurs irraisonnées.

Tous ces roseaux, au garde-à-vous ou au repos, me font penser à une armée. Je sais je suis très con, j'ai jamais connu la guerre. Mes grands-parents et mes parents l'ont approchée de près.

Quelle différence entre un champignon nucléaire, le carreau de l'arbalète ou un char flambant neuf ?

Le dénominateur commun est que la vie ne vaut pas grand-chose.

Mais je ne suis pas un héros et je peux en parler à mon aise.

Les charniers ont traversé les siècles. Au petit matin, la brume a du mal à cacher l'étendue du massacre, le vent frais s'époumone à dissiper les odeurs.

Je devrais avoir des pensées moins tristes en la circonstance.

Le lac est tentant, pas de serpents à l'horizon.

J'aimerais voir apparaître la Dame du Lac, pas celle des films d'horreur.

Elle aura la chevelure mouillée et ce regard angélique. Elle fera fuir pour moi tous les serpents.

Bon, on peut bien rêver, Dieu nous a accordé ce don.

Le vent s'est levé un peu, le lac s'anime de vaguelettes, pas de quoi effrayer les grenouilles.

Il fait trop chaud, je vais rentrer.

Je dois refaire le chemin à travers champs sans exciter les taureaux. Pas trop le choix en fait.

Je vois le gîte en haut, pas besoin de boussole. J'ai dû apprendre à m'en servir, à l'école ou aux scouts, mais j'ai tout oublié, comme beaucoup, d'autres choses d'ailleurs.

Ce gîte est conforme, pierres et poutres apparentes, la cheminée ne me sera pas très utile en cette saison, mais elle fait partie du décor.

Les proprios ont laissé dans la cuisine un panier de légumes insolites. Des trucs du Moyen-Age pour flatter les touristes. Vais-je les les couper en dès, au bain Marie ou frits dans la poêle ?

Tout ce folklore me gonfle, peu de  chance pour que la Dame du Lac se présente au dîner.

L'année prochaine j'opte pour un truc genre Club Med, pas sûr que j'y trouve mon compte.

Pas de télé évidemment, ça fait partie du concept.

Moi c'est sûr, demain j'me barre, le proprio fera une affaire, en louant à quelqu'un d'autre.

Je serai aussi bien dans mon appartement, je m'emmerderai autant mais en terrain connu.

Fait chier ces crapauds. J'vais m'coucher,  y a qu'ça à faire. Demain je dois me lever tôt.

Monsieur vous partez ?

Une urgence au boulot, pas moyen d'y couper.

Une gente dame a cherché à vous voir.

Ah bon, et comment était-elle, enfin pardon, que voulait-elle ?

Eh bien c'est un peu confus, son apparence m'a un peu désarconné.

A-t'elle dit quelque chose ?

Oui je crois, « mon lac est assez grand pour deux », voilà ce qu'elle a dit.

Mon Dieu, me voilà prévenu ! Je ne vous demande aucun remboursement et m'en vais sur le champ.

Pourtant elle avait l'air bien gentille. 

Eh bien je vous laisse tenter votre chance, moi je rentre à Paris.


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