La découverte

nat28

Projet Bradbury - Semaine 16

 

                Mon premier souvenir remonte à l'année de mes 4 ans. Je n'avais pas bien compris ce qui se passait, suivant aveuglement mes cousins qui couraient en tous sens dans le jardin. Ils étaient un peu plus petits vieux que moi, et je les admirais comme les "grands" qu'ils étaient. Les imiter était toujours une aventure, dont l'issue était étonnante et merveilleuse. La plupart du temps. Les parties de chat perché se terminaient le plus souvent avec des pleurs et les genoux en sang. Mais je, m'amusais bien, c'était le plus important.

 

                Ce matin là, contrairement à leur habitude, ils s'étaient levé dès l'aube et avaient expédié le petit déjeuner sous mon regard étonné. Lorsqu'ils venaient passer quelques jours à la maison, ils trainaient au lit et maugréaient car ils ne pouvaient pas jouer à "la console". Il me fallut plusieurs années avant de découvrir ce qu'était cette fameuse console, que mes parents m'ont toujours refusée, en allant passer l'après-midi chez une camarade de classe. L'objet ne m'avait pas impressionné, l'amusement qu'il proposait étant sans comparaison avec l'excitation provoquée par le jeux de cache-cache dans le jardin qui n'avait malheureusement lieu qu'une fois par an.

 

                Au départ, je n'avais pas compris ce qui se passait. Mes cousins fouillaient les buissons et soulevaient chaque pot de fleur et chaque seau qu'ils rencontraient dans le jardin. Ils s'invectivaient et se répartissaient la tâche pour ratisser chaque centimètre carré de pelouse. De temps en temps, l'un deux hurlait et se précipitait vers ma tante en tenant un petit objet dans sa main. Je n'osais aller voir ce qu'il avait trouvé, et j'imitais les gestes en espérant trouver par moi-même la clé du mystère.

 

                Et puis j'en trouvais enfin un. Dissimulé sous ma petite brouette rose qui me permettait d'aider mes parents dans leurs travaux de jardinage, il était là, dans son emballage vert brillant. Je le ramassais précautionneusement et restais accroupie, un instant, avec cet étrange chose que je n'avais encore jamais vue dans les mains, et je me décidais enfin à revenir vers la maison en courant avec ma trouvaille. J'hésitais à la donner à ma tante ou à ma mère, ne connaissant pas toutes les règles du rituel, et je tendais finalement mon trésor à maman.

"Bravo ma chérie, tu as trouvé ton premier œuf !" me lança-t-elle avant de m'encourager à aller en chercher un autre.

 

                Un œuf ? Pourquoi donc chercher des œufs dans le jardin ? D'habitude, on les trouvait dans le réfrigérateur ! Et puis celui que j'avais trouvé était étonnement léger... Il me restait un autre mystère à élucider...

 

                La réponse à mon interrogation arriva rapidement, en fin de matinée. Une fois tous les œufs colorés trouvés, ma tante les répartit équitablement entre mes cousins et moi, et les garçons en ouvrirent un immédiatement. Je les imitais une fois de plus et eus l'heureuse surprise de découvrir du chocolat. Du chocolat ! C'était magique ! Je dévorais mon œuf avec gourmandise puis louchais avec envie sur le reste de mon trésor. Ma mère nota mon regard et m'expliqua qu'il était plus raisonnable de ranger les autres œufs pour les faire durer, et je me pliais avec mauvaise grâce à son discours de raison.  

 

                Le rituel se répéta chaque année, pour mon plus grand plaisir. Lorsque mon petit frère fut assez grand pour se joindre à la chasse aux œufs, je l'accompagnais en le tenant par la main et en lui indiquant les cachettes qui ne changeaient pas au fil des ans. La joie que je voyais dans ses yeux lorsqu'il trouvait un œuf me rendait encore plus heureuse que d'en trouver un moi même.

 

                A l'adolescence, une certaine lassitude apparaissant du fait de mon humeur chaque jour changeante, on me donna la responsabilité de cacher les précieux chocolats. Je m'engageais à fond dans cette tâche, redoublant d'ingéniosité pour trouver des cachettes difficiles à trouver. Mon frère mettait toute son énergie à déjouer  mon inventivité et à trouver tous les œufs dont le compte exact lui était donné en début de chasse. Il pouvait y passer des heures et je m'amusais à la voir farfouiller partout dans le jardin familial.

 

                Et puis j'avais quitté la maison pour partir étudier. La première année, j'étais rentrée pour le week-end de Pâques et j'avais pris part avec enthousiasme à la chasse aux œufs organisée par ma mère pour préserver la tradition. Mon frère m'avait suivi dans la recherche en trainant les pieds, et l'année suivante, ma défection avait sonné le glas de la recherche des chocolats. Car je préférais partir au bord de la mer avec mes amis de l'Université pendant le long week-end, plutôt que de retourner voir "mes vieux".

 

                Aujourd'hui, ma mère n'est plus là pour cacher les œufs dans le jardin, et la femme de mon frère refuse que ses enfants mangent des sucreries. C'est triste. J'achète parfois des chocolats de Pâques, mais après la week-end prolongé, lorsqu'ils sont en promotion. Je le fais plus par habitude que par conviction religieuse ou par gourmandise. Croquer dans un œuf en chocolat, c'est ma Madeleine de Proust à moi.

 

                Et j'attends avec impatience le jour où ma propre fille ira chasser les œufs pour la première fois. Dans 4 ans et neuf mois.  

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