La fin

Manon .

C'est fini. 

Il n'y a plus rien.

Tout est terminé.

C'est finalement comme si rien n'avait jamais commencé. Un peu comme si nous étions nés là, dans une mare pleine d'un sang qui ne nous appartient pas. Nés dans le sang. 

Un voile de neige purpurine a brusquement recouvert le sol. On dirait un fleuve de pétales de roses. De longs filaments rouges et poisseux, qui enveloppent mes membres comme un secret. 
Le secret de cette étrange fête, ces noces funèbres, ce mariage pourpre. 

Un mur de feu me sépare d'eux. Je ne les connais ni d'Eve ni d'Adam. Ils m'ont accompagnée tout au long de cette marche vers le néant. Sur le chemin du retour à ZERO. 

Et pourtant, me voici de nouveau seule. Comme avant. Mes pieds nus et glacés baignent dans cette étrange couverture visqueuse couleur d'amour. Je tremble d'un mélange d'effroi et de désir. 

L'envie de tout reprendre. D'effacer les mots, de déchirer la page, de brûler le livre. 
L'envie d'ouvrir les yeux sur un nouveau soleil, qui m'offrirait son ZENITH brûlant. Orange et jaune entremêlés, dans un ballet apocalyptique. De leur rencontre naîtrait la dernière des déflagrations. L'explosion finale. Ultime. Celle qui mettrait un terme au néant, et de laquelle jaillirait le neuf. Le beau.

Je ferme les yeux sur une image monochrome. Le feu n'a plus de relief. Il n'est plus qu'une masse fauve, une boule incandescente. Même derrière mes paupières closes, je continue de sentir ses dents se refermer sur moi. 

Je continue d'éprouver la violence de sa caresse. 

C'est fini. 

Il n'y a plus rien.

Tout est terminé.

Je détecte un flot de voix étouffées par les flammes. J'entends les cœurs s'embraser, les corps crépiter. 
Des hurlements des cris des râles puis plus rien.

Il n'y a plus que moi, désormais. Moi, seule de l'autre côté du mur de feu, à l'abri de ses longs bras extensibles. 

Moi. 

C'est comme si je ne m'appartenais plus. Puis-je encore être un Moi, dans la solitude ? S'il n'y a plus de Toi pour me répondre, à qui pourrais-je alors adresser ma détresse ?
À qui hurler ces mots que je n'ai plus ?
Contre qui déverser ce souffle ardent qui emplit mes poumons ? 
Pour qui tendre désespérément la main ?


Je marche.
Yeux hermétiquement clos.
Je suis donc la dernière aveugle de ce monde. 
Je me sens vaciller. Incapable pourtant de pleurer. Je n'ai qu'une envie : tout reprendre là où rien ne pourra plus jamais recommencer. Je m'imagine ZIGZAGUER, perdue, égarée, déboussolée. Comment retrouver mon Nord si plus rien ne s'y trouve ? Si plus personne ne m'attend nulle part, quelle étoile saura me guider sur la voie ? 

Il n'existe plus d'autre chemin que celui que je suis. Une route moite, incandescente, rouge
Je perds pied. 
Je claudique.
Quelque chose se glisse dans ma main. 
Un morceau de ciel. Un oiseau mort. 
Une pensée. Un murmure.

Peut-être une main, égarée elle aussi...
Ou arrachée.
Maintenue par un fil d'air invisible. 


Un ange passe.


Et quand j'ouvre les yeux, je crois mourir de bonheur. 

Ce quelque chose m'est resté dans la main. 
Minuscule, impalpable et vert. 

Une petite boule d'espoir.
Un petit bout de vie, qui s'agite, palpite et renaît...


...Et engendre à son tour la vie. 
Le sang opaque mue, devient neige. 
Sur cette neige, point d'impact. C'est un voile nivéen, immaculé, tout bonnement parfait.

Je ne saurais dire combien de temps a passé.
Une lune.
Trois cycles.
Une éternité.

Et quand ce qui était le mur de feu vient à s'écrouler, je vois revenir à moi ceux qui m'ont tendu la main. Les brûlures qui m'enveloppaient se sont envolées. J'émerge d'une ZONE de non-retour, revenue d'un long voyage.

Si je tends l'oreille, je peux entendre leur tendre voix me susurrer :

« C'est fini. 

Il n'y a plus rien.

Tout est terminé. »

Signaler ce texte