La gardienne plein la tête

Mon patron remarque que j'ai de très beaux ongles.

Sales, longs… mais beaux.

Je ne sais pourquoi, il rajoute « de pieds ».

Il dit aussi que les sacs poubelle monogrammés avec cordon pour fermer, c'est classe.

Il est sympa, ce patron.

Je comprends pas tout ce qu'il dit, mais il est sympa.

Il me serre la main aussi, tiens !

Que fout… ma poubelle… avec mes yaourts aux fruits périmés et mes rouleaux de pq décorés par ma fille… sur mon bureau ?

En haut de la pile ? C'est pas le plus urgent !

Et mes doigts de pieds égyptiens ? A fouiller dans la moquette !

J'aurais donc pris le métro pieds nus, avec les ordures !

A mon retour de Tokyo, ma femme m'avait bien dit de faire attention.

Elle n'a rien de plus ni de moins que n'importe quelle porte blindée, mais la nouvelle gardienne, faut s'en méfier, qu'elle a dit, ma femme.

Y a des gens, comme ça.

Y en a, rien qu'à les regarder, ils vous dépriment.

D'autres vous laissent froids. Et d'autres encore vous gonflent de joie.

Elle, elle vous… elle vous…

Pourtant, j'suis un solide !

Je suis Jean-Charles X. Directeur des ventes sur les dérivés et convertibles, 36 ans passés, composé et parfois moins, pas simple et plus que pas parfait du tout, je dois l'admettre : je ne supporte pas… de ne pas comprendre… ce qu'il m'arrive !

Là, je me suis fait avoir. Je ne contrôle plus.

A la minute, je vaux 50 tickets.

Je ne l'ai croisée qu'une fois dans l'escalier et je viens de passer au moins 5 000 plaques à penser à elle qui, peut-être, à ce moment-même, est en train de rien faire qu'à regarder les morts de la veille à la télé.

Vite, alors !

Revenir au bercail. Sans poubelle, mais avec conviction.

La loge est allumée.

Je sonne, elle l'ouvre.

Que la porte, mais en grand !

Je tends le bras en arrière, comme un ressort. Et laisse partir.

Ca aurait été un bouquet, ça l'aurait touchée.

Là, pareil.

Mais le cœur n'y est plus.

Faudra que j'appelle le syndic.

C'est pas possible l'odeur qu'il y a dans la loge depuis… depuis après-demain.