La guerre de 14-18

arthur-roubignolle

Série de trois textes, histoire de commémorer l'Armistice du 11 novembre. Voici le dernier (le der des der...)

La guerre de 14-18


S'il est une constante dans l'Histoire, c'est bien la propension des dirigeants à mentir à leurs peuples.


Ainsi, l'on fit croire aux gens que la cause de la Première Guerre Mondiale était l'assassinat de l'Archiduc François Ferdinand à Sarajevo...


Alors que ce n'en fut que l'étincelle, le prétexte tout trouvé pour déclencher enfin des hostilités souhaitées de longue date. Les Empires se préparaient depuis un bout de temps à une grande restructuration industrielle, politique et sociale. Leurs dirigeants bouillaient d'impatience d' en découdre afin de prouver leur supériorité sur les autres.


Dans chaque camp, les politiciens, les journalistes, et aussi pas mal d'artistes en vue, excitaient les gens à la haine de « ceux d'en face »...


Pendant ce temps, industriels allemands, russes, autrichiens, turcs, italiens et français se frottaient les mains, leurs carnets de commande en matériel de guerre soudain bien remplis...


La mobilisation générale fut donc proclamée, à la grande satisfaction des dirigeants qui, un moment, eurent peur qu'elle n'ait pas lieu, à cause notamment de trublions comme Jean Jaurès en France et Rosa Luxembourg en Allemagne, mais ça tombait bien, l'on venait d'assassiner l'un et de placer l'autre en détention par mesure de précaution...


La grande saignée des peuples allait pouvoir commencer dans l'Union Sacrée...


Évidemment, le jeune Louis Brougnard ignorait tout cela, il ne faisait pas de politique, ne comprenait rien à tous ces mics-macs et croyait tout ce que les journaux disaient, c'était juste un patriote, assez modéré d'ailleurs, il aimait surtout son village et ses champs, mais il monta donc au front comme tous les autres, la « fleur au fusil » et avec la conviction que les « boches » seraient balayés en un tour de main puisqu'on le lui disait...


Quand à Ernst Müller, il en était de même, il était persuadé que la force Teutonne allait écraser en un rien de temps ces fichus français... Lui aussi était là pour défendre sa chère Patrie, et sa chère Patrie c'était son lopin de terre dans le Bade Wurtemberg.


Enfin bref, chacun était dans son bon droit. Chacun défendait sa terre...


Quand à Mamadou Sissé Coulibali, lui, il n'y comprenait absolument rien, il avait froid et regrettait déjà son petit village des bords du fleuve Sénégal...


Aussi, quand par le plus grand des hasards ils se retrouvèrent tous les trois coincés dans le même trou d'obus, avec la mitraille qui volait au-dessus de leurs têtes, ils furent bien obligés de faire connaissance...


Au début, ils envisagèrent de s'étriper, puisqu'on leur avait dit de le faire, mais comme ils étaient terrorisés par la violence des combats et par leur épuisement réciproque, ils renoncèrent assez vite à ce projet...


Après tout, on était pas mal dans ce trou, beaucoup mieux en tout cas qu'à l'extérieur. On pouvait s'arranger pour le partager...


Ernst Müller sortit de sa musette sa délicieuse « Ahle Wurst » saucisse fumée de la Hesse, région dont sa famille était originaire, et il en offrit des morceaux à Louis et Mamadou...


Pour ne pas être en reste, Louis partagea avec ses deux compagnons une rasade de bonne gnôle du calvados, son pays natal...


Mamadou, qui buvait pour la première fois de l'alcool fort, se mit à chanter un air traditionnel de sa région en tapant sur son casque pour s'accompagner...

Il montra aussi à ses compagnons les gris-gris qui le protégeaient du mauvais sort... Du coup, Louis lui montra son image de Sainte-Thérèse de Lisieux, qui lui offrait sans nul doute une protection tout aussi efficace contre les aléas du sort...


Ernst, leur expliqua que chez les allemands protestants, c'était surtout leur croyance en Christ qui avait vaincu ses souffrances, qui leur garantissaient un bon rempart contre l'adversité... Les allemands étaient des stoïciens...


L'ambiance était plutôt bonne, je ne dirai pas que c'était la fête, il ne faut pas exagérer, mais vu les circonstances, c'était un moment dont il fallait profiter un maximum...


De temps en temps, l'un des trois compères sortait la tête du trou pour voir ce qui se passait. Autour ce n'était plus que terres labourées par les obus, parsemées de cadavres, de membres arrachés, de têtes venues se planter bêtement sur des piquets de barbelés.


En fond sonore de ce cinémascope d'épouvante, le crépitement quasi continuel des mitrailleuses, le sifflement strident des obus de longue portée, qui mettaient un temps interminable avant de tomber, et qu'on se demandait toujours à chaque fois où ils allaient bien pouvoir tomber... Ce qui avait pour conséquence de crisper le corps tout entier et de faire rentrer instinctivement la tête dans les épaules avec une nette envie de rentrer sous terre le plus profond possible...


Dans ce vacarme effroyable, l'on entendait aussi le gémissement des blessés, les appels à l'aide, les voix de toutes ces vies devenues soudain dérisoires, comme déjà livrées au néant... Des cris en allemand, en français, en wolof, en patois berrichon, en breton, en dialecte bavarois ou saxon...


Une vraie tour de Babel de la souffrance et de la douleur...


Cela dura trois jours et deux nuits. Puis soudain, un grand silence, un grand silence de mort, plus rien ne bougeait.


Les tirs d'artillerie avaient cessés ;


Les mourants étaient morts.

Les rares survivants n'osaient bouger encore.


Il n'y avait plus aucune vie alentour, plus un oiseau, plus un insecte, à part les vers qui proliféraient dans toutes les charognes d'hommes et de chevaux...


Cette guerre au fond, c'était surtout la grande fête des asticots, les seuls vrais bénéficiaires de cette guerre (avec les marchands d'armes bien sûr...)


Qu'est-il advenu ensuite de Louis, d'Ernst et de Mamadou ?


Nul ne le saura jamais.


J'ai juste inventé cette petite fiction histoire de célébrer ces millions d'hommes que l 'on a envoyé au casse-pipe, et qui au fond, ne voulaient pas se battre, mais vivre en paix les uns avec les autres... C'était il y a cent trois ans.

La réalité de cette guerre a probablement dépassée toutes les fictions qu'on a pu faire à son sujet...


Mais je suis à peu près certain qu'une situation dans ce genre a bien eu lieu un jour, quelque part dans les tranchées de Verdun ou de la Somme, ou d'ailleurs...


Un jour, trois hommes que tout opposait dans cette guerre et qui n'étaient en principe jamais destinés à se rencontrer, ont partagés le pain, le vin, les mots, et se sont serrés les uns contre les autres, pour faire front commun contre l'absurdité qu'ils subissaient...


Et tous dirent en revenant de cette guerre « Plus jamais ça ! » - « C'est la der des der »...


Allez au fond, je crois que la plupart des hommes veulent vivre en paix, et que s'ils n'avaient pas des dirigeants bellicistes, orgueilleux, qui les excitent à la crainte et à la peur de l'autre, ils resteraient tranquillement chez eux...


Et ils leurs diraient : « puisque vous aimez tant la guerre, allez donc là faire tout seuls, nous on boit un coup ! ».






Fait le 11 Novembre 2017.




  • Pas en lecture mais émission scientifique sur le fonctionnement du cerveau et la nature de l'empathie, il y en avait plusieurs ... Les expériences portaient sur des sujets qui voyaient des inconnus se faire planter une seringue dans la main..aie ça fait mal, je sais...c'est l'empathie universelle dont le siège se situe dans la douleur, mais là où les choses sont plus glauques, c'est lorsque on ajoute une légende indiquant une couleur de peau, une religion aux inconnus...lorsque ce n'est manifestement pas son groupe d'appartenance, la douleur ressentie est moindre! S'ajoute un autre type d'expériences effectués aux US dans les années 60 par une prof de primaires qui pendant deux jours a manipulé ses élèves, en prônant la suprématie des enfants blond puis le lendemain des enfants bruns...les réactions étaient vraiment incroyables...des amis devenant victimes et bourreaux à tour de rôle dans les brimades et/ou la délation...de quoi faire réfléchir...Mais bon, dans l'absolu il est clair que le vieux con du bout de la cour qui fait chier tout le monde, même s'il se faisait crépir la main de deux douzaines de seringues par inadvertance, non seulement je n'aurais pas mal pour lui mais en plus si j'étais convaincue qu'une deuxième "salve" le rendrait moins con...;0)

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Facebook

    flodeau

  • Prévert disait "si la guerre ne tuait que les professionnels de la guerre, elle serait une bénédiction!"
    Sur le thème de la fraternisation entre "poilus" et "boches" je me permet de te conseiller "Joyeux Noël" (film français sorti en 2005) inspiré de l'histoire véridique d'un bataillon français et d'un bataillon allemand qui ont décidé de faire une trêve pour Noël en 1914...

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Conversions c9p43

    mno

    • Merci mno. J'ai vu ce film, très beau et émouvant. Dans un autre genre, "Le Pantalon" d'Yves Boisset, histoire vraie d'un poilu est remarquable aussi

      · Il y a plus de 6 ans ·
      P1000170 195

      arthur-roubignolle

    • je ne connais pas, je regarderais à l'occasion

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Conversions c9p43

      mno

  • Ca me fait tout drôle de vérifier ce que j'ai appris hier sur le cerveau...de la souffrance nait l'empathie qui se transforme en indifférence lorsque le groupe dont on a pas l'appartenance le subit...de la torture aux anonymes qui ne reflètent en rien un commun accord nait la hiérarchie d'un multiple sort...dont la mort...

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Facebook

    flodeau

    • Merci de ta lecture, quel est le livre que tu as lu qui dit ceci?

      · Il y a plus de 6 ans ·
      P1000170 195

      arthur-roubignolle

  • Superbe ! Si on peut encore dire, tant l’horreur de l’absurdité de toutes les guerres est ignoble.

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

    • Oui, que dire de plus, c'est juste une folie meurtrière justifiée par ceux qui ont intérêt à ce qu'elle se fasse...

      · Il y a plus de 6 ans ·
      P1000170 195

      arthur-roubignolle

Signaler ce texte