La lettre rose

Louve

Un texte écrit voilà environ trois ans, que j'ai plaisir à republier.


Chaque matin, dans sa boîte aux lettres : LA LETTRE.

Du haut de son cinquième étage, elle attend le facteur, et, chaque matin, c'est le même rituel. Elle ne prend jamais l'ascenseur, tant sa fièvre est grande, non, elle descend les marches du grand escalier, quatre à quatre.

Elle ouvre, tremblante, la petite porte, presque anonyme parmi tant d'autres, qui grince un peu. Une enveloppe lui tend ses lèvres. Bonheur, émotion...juste un coin déchiré avant de remonter.

Cette fois, elle prend l'ascenseur, elle est trop émue, et elle serre sur son cœur cette douce missive.

Il est là, comme chaque matin, depuis quelques mois déjà, il est là pour elle seule. Aucune autre ne reçoit ses messages, doux ou coquins, c'est selon... Selon son humeur du moment, lorsqu'il a bu ses trois cafés, c'est ce qu'il lui a confié.

Elle aime s'imaginer assise sur ses genoux, les cheveux dans son cou. Elle aime s'imaginer qu'il caresse son front, ses joues, pendant qu'il prend son petit déjeuner.

Il lui dévoile un peu de son âme, de sa vie. Elle boit chacun de ses mots avec délectation. C'est le maître de son cœur, de ses sens. Il lui a appris, tout doucement, mais savamment, à laisser sa timidité, sa pudeur - elle en a encore - de côté. Des mots crus, qui l'ont d'abord choquée, laissés sans voix : "Non, non, arrêtez, arrêtez ! " puis des mots doux, un pansement sur son âme troublée.

Et, chaque matin, cette petite lettre, et chaque soir, une autre encore...

Il l'a séduite avec ses mots, tombés un jour, par hasard, dans sa boîte, mais était-ce vraiment le hasard ? Elle ne s'est pas méfiée, et pourtant, dès la première lettre, elle a été attirée, emprisonnée - de son plein gré - dans une toile de douceur, dont elle ne veut pas se dégager.

Il est son poète, son maître, son mentor !

Parfois, elle se rebiffe, elle voudrait beaucoup plus... et elle a peur qu'il ne s'éloigne et fasse déposer, dans la boîte d'a côté, une enveloppe qui ne serait plus la sienne...

Parfois, la jalousie l'étreint. Elle le lui dit, lui avoue. Elle sait qu'il n'aime pas, qu'il lui dit comme à chaque fois : "La jalousie est un poison". Mais elle le lui dit, parce que ça lui fait du bien. Et comment faire quand ça la fait retourner, la nuit, dans son lit ? Elle ne peut le dire à personne, même pas à son chat, puisqu'il est mort. Pas aux pigeons, non plus, comme dans la chanson de Goldman. Alors, elle le lui dit à lui.

Mais, chaque jour, ils se racontent un peu de leur journée : lui, sans trop se dévoiler ; elle, dans un débit de paroles comme pour se soulager. Il répond ou il passe à côté, mais il est toujours là, près d'elle.

Un jour, dans la petite enveloppe : des photos. Elle a pu ainsi le visualiser, caresser les traits, le corps de son amant de cœur . Des son côté, elle en a envoyé aussi.

Ce matin, ce doux rituel encore. Vite, elle dévale l'escalier, c'est que c'est spécial... c'est la Saint Valentin !

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