La misère

arthur-roubignolle

La misère

Eh bien maintenant, accueillons un jeune prodige du conservatoire municipal d'Art dramatique qui nous présente son texte d'audition pour le concours...

Allez-z-y Emmanuel c'est à vous !

« La misère, c'est celle de ce couple de salariés, qui ne finit pas le mois et se lève chaque jour tôt et revient tard pour aller travailler loin. 

C'est celle de la mère de famille célibataire, veuve, divorcée, qui ne vit même plus, qui n'a pas les moyens de faire garder les enfants et d 'améliorer ses fins de mois et n'a plus d'espoir. Je les ai vues, ces femmes de courage, pour la première fois disant cette détresse, sur tant de ronds-points.

C'est celle des retraités modestes, qui ont contribué toute leur vie et aident à la fois parents et enfants et ne s'en sortent pas. C'est celle des plus fragiles, en position de handicap dont la place dans la société n'est pas reconnue.

Leur détresse ne date pas d'hier... »

Le professeur de théâtre : «  Non non et non, ça ne va pas là mon petit Emmanuel. Si vous voulez faire dans le mélo faut y aller franchement...

Ce couple de salariés qui ne finit pas le mois et qui se lève chaque jour tôt pour aller travailler loin, c'est bien, mais faut charger encore plus mon vieux, faut charger. Dites que ces deux là pour survivre ont été aussi obligés de placer leur chien à la SPA pendant qu'ils sont partis au loin travailler... Et que pour compléter leurs maigres revenus ils ont loués à des travailleurs immigrés la cave de leur modeste pavillon de Garges-les Gonesses. Pavillon qui va incessamment sous peu être saisi par des huissiers malgré tous leurs héroïques efforts pour s'en sortir... Dites que madame est sous anti-dépresseurs pour tenir le coup et que son mari envisage le suicide parce qu'il n'arrive plus à payer les traites de sa BMW. Et si vous rajoutez qu'ils ont en plus un enfant autiste qu'aucun établissement ne veut prendre en charge et qu'ils ont été obligés de le placer à la SPA avec le chien. Alors là vous allez toucher votre public, là vous allez l'émouvoir pour de bon !

- Bien m'sieur...

(le professeur) - Et votre mère célibataire, veuve, divorcée et qui n'a plus les moyens de faire garder ses enfants. C'est très bien, c'est un bon début, mais vous auriez pu aussi rajouter une intensité dramatique supplémentaire en disant qu'elle se prostituait occasionnellement pour payer la nounou. Qu'en plus elle avait attrapé le sida avec un client et que ne supportant plus le deuil de ce mari, agriculteur qui s'est suicidé parce qu'il ne pouvait plus payer son glyphosate, elle était devenu alcoolique, et qu'à cause de ça ses enfants vont être placés à la DASS...

Il faut que vous fassiez ressortir encore bien plus le coté méritant de vos personnages, qui font tout pour s'en sortir avec courage mais qui n'ont vraiment pas de chance, écrasés qu'ils sont par une fatalité inexorable (qui n'est la faute de personne  bien sur). Faites sentir à votre public que vous êtes touché au plus profond de vous même par toute cette misère, certes épouvantable, mais qui cherche toujours à rester digne et honorable.

- Oui m'sieur !

Prenez exemple sur nos grands auteurs, Zola, Victor Hugo, qui ont décrit la misère de façon admirable, si admirable que même les pauvres de leur époque, pourtant illettrés se sont exclamés: " Punaise ils écrivent drôlement bien!"

Bon allez, filez, c'était pas mal quand même, vous irez loin dans le théâtre je pense...

Élève suivant s'il vous plait !

Ah c'est vous Castaner, bon, s'il vous plait, ne me refaites pas votre numéro de cabotinage comme la dernière fois, merci !

Mais j'ai encore rien dit m'sieur !

Je sais, mais vos sketchs comiques n'on pas leur place dans un cours d'art dramatique !

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