La nuit aux trousses

Möly Mö

Récit d'anticipation (encore..)

Je erre depuis maintenant plusieurs jours dans un dédale de couloirs sombres. L'air y est humide, je respire très mal et je sens que je fatigue.
La seule lumière que mes yeux croisent vient de rais qui dépassent du plafond et proviennent de je ne sais où. Est-ce la lumière du soleil ou une lumière artificielle? Je n'en sais rien. J'avance et j'oublie la peur qui hante un coin de ma tête, je ne l'écoute plus. Je dois absolument sortir de cet endroit et en vie. Je suis épuisée et mes ressources s'épuisent, il ne me reste plus aucun flacon de mélange protéiné, plus d'essence de fruits,
plus d'eau gélifiée. Je suis à court de vivre, j'économise la moindre bouchée. Je ne me souviens plus exactement comment je me suis retrouvée ici, seule, à marcher à toute allure sans regarder derrière moi. Tout est vague. Je manque de tomber en trébuchant sur quelque chose. Mon regard se pose sur une forme étrange gisant au sol. Je me munis de ma tablette de communication, je n'ai plus beaucoup de batterie et je ne vais pas pouvoir la recharger ici, avec ce manque de lumière. Je pointe la faible lueur que fait l'écran en direction de la chose au sol. Je me retiens de crier et fais un bond en arrière.
Qu'est-ce que c'est? Je n'arrive même pas à identifier la chose; dort-elle? Est-elle morte? Est-ce vivant? Je me reprends et voyant que la lumière n'a pas apeuré la chose, je me dis que je n'ai pas à avoir peur. Je ravance en sa direction et me penche vers elle, ma curiosité prend le dessus. Je vérifie autour de moi que je ne suis pas suivie puis je pose mon regard sur la chose. Elle est de petite taille, j'approche ma main tremblotante pour toucher la matière. Je sursaute par crainte que la chose ne se mette à bouger mais elle ne fait aucun mouvement en sentant mes doigts l'effleurer. C'est poilu, doux. La chose possède quatre membres, quatre petites jambes et un long membre qui part du bas de son dos. Sur son crâne pointent deux petites oreilles. Rassurée car la chose ne remue pas, je tâte un peu plus et me rends compte que cette chose est un être vivant qui semble mort. J'éclaire la tête et je hurle. La moitié a été comme dévorée, il manque un oeil, une bonne partie du faciès et une partie de son cou semble avoir été mangé ou arraché. J'ai soudain un haut le coeur, qu'est-il arrivé à cette petite chose qui a l'air innofensive. Enfin, c'est facile de tirer cette conclusion puisqu'elle est morte. Je m'asseois quelques minutes, je ne me sens pas bien. Je vomis, la vision de cette chaire abimée, rongée; me répugne. Soudain, j'entends un bruit sourd venir au loin, je me relève, essuie ma bouche et me remets à courir de plus belle, à en perdre haleine.

Cette fois, je suis coincée; c'est peut-être la fin pour moi. Je suis dans une pièce, prise au piège entre quatre murs, aucune fenêtre, aucune porte. ça fait quinze minutes que je m'essoufle à parcourir les murs de long en large, posant mes mains sur les parois cherchant le contact d'une poignée, d'une brèche quelque part. Mais rien. Les murs sont lisses et froids. Je frissonne, je me recroqueville contre l'un d'eux et j'essaie de me concentrer pour ne pas paniquer. Je sens contre mon dos que les parois suintent, je ne sais pas d'où cela peut provenir...Je passe ma main sur le mur, ils ont l'air épais et solides; comment ce liquide a pu les traverser. Est-ce que je me trouve proche de l'eau? Est-ce que je me trouve sous l'eau? Une vague d'angoisse
s'empare de moi. Si je me trouve sous l'eau, par où vais-je ressortir si par miracle je trouvais une sortie? Est-ce qu'un accès remonte vers la terre? Du moins, ce qu'il doit en rester...

Mon regard se perd vers le plafond, j'allume ma tablette et pointe la lumière en direction du plafond; je cherche.
Pendant ce temps, j'ai l'oreille tendue vers le moindre bruit qui pourrait y parvenir. Ils ne vont peut-être pas tarder à me rattraper et me capturer. Et me faire quoi? Je n'ai pas envie de le savoir ni même de me l'imaginer. Je n'ai pas envie de finir comme cette petite chose, le corps déchiqueté, laissée morte dans ce labyrinthe glauque. Soudain, dans le coin en haut à gauche, j'aperçois un morceau de métal recourbé; en observant bien, je vois la forme d'une dalle. Il se pourrait que ce soit une poignée et que l'on puisse rentrer par là et sortir aussi. Sauf que le plafond est haut et que je ne suis pas assez grande pour frôler cette fichue poignée! Je n'ai pas d'autres choix que de rebrousser chemin et d'essayer de trouver quelque part un moyen d'y accéder. Je parcours une dernière fois la pièce des yeux, m'assurant que je ne manque rien; malheureusement pour moi il n'y a que cette solution qui s'offre à moi. Je fais donc demi-tour, d'un pas peu assurée, j'essaie de respirer et de me déplacer silencieusement. Usant de la lumière de ma tablette avec parcimonie, me fiant aux rais de lumière qui zèbrent les murs d'un mince filet de lumière. Le moindre détail retient mon attention, il me faut un moyen d'accéder à cette poignée...J'arrive dans un recoin, j'y allume la lumière mais je n'y trouve rien à part de la poussière, un peu de terre, des cailloux. Rien qui ne peut m'être d'une grande aide.

L'espoir se réduit, et même si j'essaie d'être confiante et de ne pas céder au désespoir; je réalise qu'il n'y a rien pour résoudre mon problème. Ces longs couloirs sont vides, je n'y ai croisé que cette chose, je sais qu'ils sont à mes trousses et ce n'est pas une bonne nouvelle et il y a moi et seulement moi. Je repense alors à avant que tout cela n'arrive, je me remémore l'instant juste avant que tout ça n'explose. Je me revois, allongée sur
mon lit, la musique envahissant l'espace, sortant des murs. Et sur ces murs, se jouent un film magnifique que j'adore. Mon film favori. Et je peux le regarder sans le son, je peux l'écouter sans l'image. Ce film me parle, me touche; je le connais par coeur. Et puis, il y a eu ces cris, ces hurlements, cette panique qui a envahi ma chambre. La musique qui s'arrête, les murs qui redeviennent tapisserie, des explosions. La lumière qui se met à disparaître, je ne sais pas pourquoi. Ma mère qui rentre en trombe dans ma chambre, le visage défiguré par la peur, elle me tend la main et me hurle "Lève toi, pitié, lève toi et suis moi sans te retourner! Mets ta musique dans tes oreilles et ne regarde pas derrière toi!" Je ne saisis pas ce qu'il se passe, je me lève, je suis mon instinct qui me dicte de suivre celui de ma mère. Je me rappelle sa main qui serre la mienne jusqu'à la broyer, le rythme de notre course, l'odeur de brûlé, la fumée, je ne me rappelle plus de ce que j'ai vraiment vu. J'ai couru, la main de ma mère serrant la mienne. Puis, son étreinte qui
se relâche, le poids de sa présence s'allège, je ne réagis pas, je cours. Où est ma soeur? Où est mon père? Ces questions traversent mon esprit à la vitesse de l'éclair, la survie prend le dessus. Ma mère et moi et puis c'est pas le moment de s'effondrer, l'atmosphère est assez signifiante pour me faire comprendre qu'il faut fuir et ne pas réfléchir. Puis, je me retourne et ma mère n'est plus là, depuis combien de temps je ne sais pas car dans ma main, il y a encore la sienne. Mon coeur s'emballe, mon estomac se renverse, je vomis pendant ma course frénétique. Mes yeux s'embuent, ma bouche s'ouvre
pour lâcher un hurlement déchirant. J'entends au loin que ça arrive, que ça tire, que ça détruit. Je suis la prochaine sur la liste? Mon père, ma sœur ont-ils eu le droit au même sort? Je trouve cette porte, à peine visible, légèrement renfoncée dans le sol. Je l'ouvre et m'y engouffre, il fait tout noir mais je n'ai plus le temps d'avoir peur. Sur mon dos, le sac que Maman m'a confié. Je l'ouvre et j'y trouve de quoi me nourrir et m'hydrater pour à peine quelques jours. Même dans l'état d'urgence, Maman est prévoyante. Je pleure, une fois la porte refermée, après avoir couru quelques mètres. Je m'effondre.
Je sanglote, pleure, expulse ma rage et ma tristesse puis j'entends des voix venant de loin. Je décide alors qu'il va falloir être forte si je veux survivre, j'essuie mes joues; je branche la partie "sans pitié, courage et force" en moi et je reprends ma course sans plus m'arrêter ni me retourner.


Je suis maintenant sous ce plafond, sous cette trappe qui me permettrait de fuir. J'y suis presque mais je ne peux l'atteindre. Cette frustration intense me tapant sur les nerfs, je me mets à pleurer de colère. C'est tellement injuste parfois les situations de la vie. C'est alors que j'entends gratter au dehors, ça tapote maintenant sur la trappe; j'arrête de pleurer. Je ne sais pas ce que c'est, si ça me veut du mal ou non. J'arrête mes pleurs et retiens mon souffle.
Un long silence s'installe, les grattements stoppent. Je renifle discrètement, j'entends trois petits coups donnés encore une fois sur la trappe. Qui est de l'autre côté? Est-ce humain ou non? Je me relève, une voix souffle alors:

- Ho ho...Qui se trouve là-dessous?

La voix est tremblotante, presque fatiguée.

- Je...Vous êtes combien?

J'hésite mais la voix me semble méritée ma confiance.

- Je suis toute seule...

Un silence m'est donné en guise de réponse. Et si je venais de signaler ma présence aux individus qui me coursent, ou à leurs semblables?

- Tu es coincée là-dessous? demande la voix
- Oui! dis-je en essayant de ne pas m'écrier, oui, il faut que tu m'aides!
- Je ne sais pas comment ouvrir ce truc...Il n'y a pas de poignée...
- Il y en a une de mon côté mais elle est trop haute, je ne peux pas l'atteindre...

J'entends que la personne bouge, elle s'éloigne et me signale juste d'un "chut" qu'il faut nous taire. Je reste muette. J'entends que ça vient de mon côté. La personne revient alors sur la trappe.

- Je vais essayer de soulever la trappe...Je vais bien trouver un moyen de faire levier, laisse moi quelques minutes. Je suis à découvert, il y en a un peu partout, c'est dangereux...
- De quoi? demandé-je, qui? C'est quoi?

Mais la personne n'est plus là. J'espère de tout mon coeur qu'elle est honnête et que je peux avoir confiance en elle. Je reprends ma mauvaise manie de me ronger les ongles, j'entends les pas qui approchent lentement au loin. Mon coeur, lui, prend le rythme inverse. J'ai tellement peur mais je ne dois pas la
laisser prendre le dessus. Je vais m'en sortir. Je sors de ma poche l'alliance d'union et d'amour de ma mère, je l'ai arraché à son doigt froid et mort en essayant de ne pas m'écrouler. J'avais besoin de cet objet symbolique pour me sentir forte. Je la sors de ma poche et l'enfile à mon doigt, elle me va comme à ma mère. Je la sers fort et j'entends la personne qui revient.

- Si je me démerde bien, ça devrait faire l'affaire...

Elle fait passer une barre métallique plate entre l'espace de la trappe et du mur, puis je l'entends essayer de faire pression de toute ses forces. Je l'encourage, voyant la trappe remuer, prête à se soulever. Elle cale la barre correctement puis la trappe se soulève doucement, elle semble lourde mais la personne ne lâche pas. Je vais avoir envie  de la serrer contre moi de toute la puissance de mon corps, elle est en train de me sauver la vie. Quand la trappe se soulève, j'ai envie de crier de joie. J'aperçois la forme d'un visage, le soir est tombé, le ciel est sombre mais le peu de lumière qui envahit soudain mes yeux me fait mal. Je n'ai pas vraiment le temps de m'habituer, je dois fuir. Elle me tend la main et ne me promet pas de réussir à me soulever du premier coup mais elle va essayer. Je m'accroche à ses mains, grimpant avec mes pieds sur la paroi glissante, tentant tant bien que mal de faire le plus d'effors pour moins lui en infliger. A deux, nous y arrivons. Je suis sortie, me voilà de nouveau à l'air libre. Je fixe la personne, mes yeux n'arrivent pas encore tout à fait à voir correctement mais en un souffle, ému, je lui dis:

- Merci, merci...

Et je laisse rouler des larmes sur mes joues sans même un cri, un pleur. Je suis autant soulagée que mortifiée. Je vois qu'elle sourit, elle ne répond rien.
Puis, son visage apparait enfin. Elle est jeune, aux cheveux courts, d'une blondeur luminescente. Elle a sur le dos, un sac; accroché à sa ceinture un couteau de défense électrique, une tablette portable dans la main. Elle ressemble à une survivante, guerrière, qui avait déjà imaginé le pire pour s'y préparer. Je la
salue. Elle fait de même. Puis, elle me fait signe de me lever.

- Il faut partir et vite.

Elle referme la trappe. Avant de partir, je suggère que nous bloquions la trappe pour empêcher qu'ils puissent sortir par cette issue.

- Pas bête! me dit-elle

Nous ramassons un gros bout de parpaing, résultant de l'explosion d'un bâtiment et nous le plaçons sur la trappe avant de nous mettre à courir, encore, vers une direction inconnue; vers un avenir flou et effrayant. 
 

  • Un récit très prenant ! du suspense tout du long, bravo Maureen !

    · Il y a environ 7 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Merci beaucoup Louve! J'ai pleins d'idées comme celle-là mais beaucoup de mal à me lancer dans l'écriture d'un roman...un sacré travail!

      · Il y a environ 7 ans ·
      Texel

      Möly Mö

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