La Nuit des Cambrioleurs

Stéphane Rougeot

Lorsque deux cambrioleurs maladroits et inexpérimentés ont décidé de s'attaquer à une villa, ils sont loin d'imaginer ce qui les attend.

Acte unique

Salon d'une maison, avec l'entrée côté cour, un couloir vers les autres pièces au fond, et une petite terrasse côté jardin. Une statue, mélange de moderne et de bouddha, d'un bon mètre de haut est présente dans le fond côté cour. Une fenêtre ouverte au fond côté jardin donne également sur la terrasse, et surplombe un petit bureau. Au centre, un canapé, une table basse, une télé (à la place du public), une cheminée contre un mur.

Scène 1

La nuit est bien avancée. L'intérieur est sombre. La scène est vide.

Deux silhouettes se faufilent sur la terrasse. La plus petite tente d'ouvrir maladroitement la porte-fenêtre sans succès. La plus grande essaie à son tour avec le même résultat.

Les deux silhouettes chuchotent. Elles se disputent sans que l'on puisse comprendre à quel propos.

Elles finissent par hausser la voix.

LionelMais qui m'a foutu un empoté pareil ?

Quentin — Hein ? Ben... c'est toi qui as voulu que je vienne avec toi !

Lionel — Oui, je sais, me prend pas pour un imbécile, en plus ! Ce que je voulais dire, c'est que je suis pas aidé avec un...

Lionel hésite.

Quentin — Un quoi ? Je suis curieux de savoir, moi.

Lionel — Et bien un empoté, voilà !

Quentin — Pourquoi tu dis ça ?

Lionel (agacé) — Tu t'es pas vu ?

Quentin (regarde sa tenue) — Pourquoi ? Je me suis mis en noir, comme t'as demandé.

Lionel (soupirant) — Non, pas ça. Mais tu fais tout exactement comme moi, même quand j'y arrive pas. T'imagines que t'es plus malin ou plus fort que moi ?

Quentin s'approche de Lionel, montrant sa carrure et sa taille largement plus imposantes.

Lionel — Bon, la force, peut-être... Mais ça fait pas tout. Faut qu'on optimise nos mouvements. Inutile de perdre du temps, et risquer de faire du bruit à répéter des actions. Si tu me vois échouer, tu ne m'imites pas, compris ?

Quentin s'approche à nouveau et surplombe Lionel.

Lionel — Enfin... sauf ce qui concerne la force physique, je te l'accorde. Euh... Kant, tu me fais peur, là...

Quentin respire fortement.

Lionel — Quentin ?

Quentin — Quand t'as peur, tu m'appelles Quentin ?

Lionel — Hein ? Comment ça ?

Quentin — Ben oui, on a dit qu'on utilisait uniquement nos noms de code pendant l'opération. Moi Kant, et toi Lio.

Lionel — Et ?

Quentin — Tu viens de m'appeler Quentin. C'est mon vrai prénom, ça. Mon nom de code c'est Kant.

Lionel — En effet.

Quentin (pensif) — Mais en fait, Kant, c'est mon surnom, et tu m'appelles toujours comme ça. Et moi je t'appelle toujours Lio au lieu de Lionel. Donc en quoi c'est un nom de code ? Tout le monde peut deviner facilement qui je suis vraiment... Qu'est-ce que tout ça veut dire, Lio ?

Lionel — Ça veut juste dire que je t'appelle Quentin quand tu m'énerves, qu'on soit en opération ou pas !

Lionel s'approche de la fenêtre ouverte.

Lionel — Tiens, aide-moi à grimper, plutôt que de trop réfléchir.

Quentin (faisant la courte échelle à Lionel) — On devrait pas recommencer à chuchoter, aussi ?

Lionel (passant par la fenêtre, et posant un pied sur le bureau) — On s'en fiche, la maison est vide, de toute façon.

Quentin — J'avais compris que le but de cette opération, c'est qu'on s'entraîne. Alors, autant s'entraîner aussi à chuchoter, non ?

Lionel(frustré) — C'est moi le chef, alors si je dis qu'on se fiche de chuchoter, on parle à voix haute, c'est compris ?

Quentin — OK, OK. C'est pas mon opération, de toute façon.

Quentin passe la tête par la fenêtre et voit Lionel qui saute du bureau vers le sol.

Quentin — Tu m'aides à monter ?

Lionel allume sa lampe frontale.

Lionel — Oh ben tu te démerdes, je vais pas toujours être sur ton dos, moi.

Tandis que Lionel observe autour de lui avec le peu de lumière qu'il émet, Quentin use de toute l'agilité dont il est capable pour passer par la fenêtre, et se retrouver debout sur le bureau.

Quentin pose un pied sur la chaise à roulettes qui se trouve devant le bureau, mais celle-ci glisse et s'écarte. Il manque de s'étaler de tout son long sur le sol en sautant de justesse.

Lionel — Mais qu'est-ce que tu fous ? Tu veux réveiller tout le monde ?

Quentin — Je croyais que la maison était vide ?

Lionel — Dans les faits, oui, mais on s'entraîne à être silencieux !

Quentin — Alors faudrait d'abord commencer par chuchoter, non ?

Lionel (chuchotant) — Ta gueule !

Quentin (chuchotant) — Ah, voilà, on y vient, finalement. J'avais raison.

Quentin se retourne et observe la porte-fenêtre.

Quentin (chuchotant) — Heureusement qu'on a trouvé une fenêtre ouverte, quand même. Sinon il aurait fallu casser un carreau. Ça aurait fait du bruit, vu qu'on a pas encore reçu le matériel qu'on a acheté sur eBay.

Lionel (chuchotant) — Avec cette chaleur, ça serait un miracle si on trouvait pas une fenêtre ouverte dans chaque maison du quartier en pleine nuit. Les gens sont moins méfiants que sensibles à la canicule.

Quentin (chuchotant)— Sauf ceux qui ont une clim, bien sûr. D'ailleurs... Pourquoi t'en as jamais installé une, toi ? Ça serait nettement mieux.

Lionel (chuchotant à lui-même) — Pas les sous, connard, sinon on n'en serait pas là.

Quentin(chuchotant) — C'est vrai qu'il fait très chaud. D'ailleurs, pourquoi on doit absolument porter ces déguisements qui me font suer comme un bœuf ? J'avais proposé un bermuda et un Marcel, ça aurait été nettement plus confortable.

Lionel (chuchotant) — C'est comme ça et pis c'est tout ! Roh, mais c'est pas possible de discuter tous mes ordres !

Quentin (chuchotant, à lui-même) — Surtout pour un entraînement.

Quentin allume à son tour sa lampe frontale et avance à tâtons.

Quentin (chuchotant, à lui-même) — Je dis pas quand on sera en vraie mission, mais là, ça serait plus confortable, quand même...

Quentin trouve un interrupteur et appuie dessus. La pièce s'illumine.

Quentin (chuchotant) — Ah, comme ça au moins, on y verra mieux !

Lionel (courant vers l'interrupteur)— Mais t'es fou ? Tu veux qu'on se fasse prendre ou quoi ?

Lionel coupe la lumière.

Quentin — Ben... Qu'est-ce qu'on risque ?

Quentin la rallume.

Quentin — On est chez toi, non ?

Lionel éteint à nouveau.

Lionel — C'est pas une raison. On est là pour s'entraîner, alors faut s'habituer à des conditions réelles.

Quentin rallume.

Quentin — Alors pourquoi on va pas s'habituer chez un inconnu ? On pourrait éventuellement être à la hauteur et trouver quelque chose d'intéressant à emporter. Histoire de se remplir un peu les poches. C'était pas écrit « non rémunéré » sur le contrat que j'ai pas signé. On n'est pas une association de malfaiteurs à but non lucratif, si !

Lionel — Lucra-quoi ?

Quentin — « -atif » !

Lionel — « à tif » ? Mais ma femme m'a coupé les cheveux la semaine dernière !

Quentin — Laisse tomber. De toute façon, on fait tellement d'entorses à cet « entraînement » qu'il va passer six mois avec des béquilles. On n'est plus à une près. Surtout si c'est pour éviter de se cogner les tibias ou le front dans tout ce qui traîne.

Lionel éteint encore une fois.

Quentin — D'ailleurs, c'est quoi cette horreur ?

Cette fois, c'est Lionel qui allume.

Lionel (cherchant quelque chose de bizarre du regard) — Une horreur ? Où ça ?

Quentin (pointant la statue du doigt) — Celle-là ! Tu t'es inscrit à un cours de sculpture ? Ou bien ta petite dernière a ramené des devoirs de sa maternelle ?

Lionel — Pff t'es con. En plus c'est les vacances !

Quentin — En tout cas, qu'est-ce que c'est moche ! Je vais en faire des cauchemars, c'est certain.

Lionel — C'est mon beau-père...

Quentin (coupant Lionel) — Il ressemble à ça ? Le pauvre !

Lionel (observant attentivement la statue) — Ah, oui, il y a quelque chose...

Quentin — Vraiment ?

Lionel — Ce que je voulais dire, c'est que c'est mon beau-père qui nous a offert ce... truc ! Soi-disant pour nos vingt-cinq ans de mariage.

Lionel (à lui-même) — Comme si j'avais besoin d'un autre cadeau alors que j'ai supporté sa fille pendant tout ce temps. Non mais j'te jure !

Quentin — Ça doit coûter une fortune, tellement c'est moche !

Lionel — J'aurais préféré qu'il me file le fric directement, ça m'aurait rendu service. Parce que là, j'essaie de le vendre sur internet depuis une semaine que je l'ai, et personne n'en veut. Même gratuitement, ils refusent de venir le chercher.

Quentin — Et c'est censé représenter quoi ?

Lionel — J'ai pas trop compris, il a parlé de Gouda, d'un bureau de poste situé dans la ville de Moderne, je sais plus exactement.

Quentin (observant certaines parties de la statue) — Ah, oui, ça doit être pour accrocher des tranches de fromage, si tu fais une soirée raclette !

Lionel — Déjà que l'appareil est encombrant, je me vois pas mettre ça sur la table, moi !

Quentin — Tu m'étonnes ! En même temps, si on le laisse là, ça fait de l'exercice, tous les allers et retours, pour dépenser un peu de tout ce qu'on bouffe, parce qu'une raclette, c'est pas léger...

Une sonnerie de portable retentit. Lionel porte la main à sa poche et en sort son téléphone.

Quentin (à lui-même) — Ah ben pour faire discret et silencieux, il se pose là, lui !

Lionel — Ta gueule. Chut !

Lionel (au téléphone) — Allô ?

Lionel (à lui-même) — Ah, ben tiens, quand on parle du loup on en voit la bi...

Quentin (coupant Lionel) — Queue ! On en voit la queue...

Lionel (à Quentin) — Ben oui, c'est ce que j'allais dire...

Lionel (au téléphone) — Hein ? Non, je disais qu'on parlait de vous à l'instant, beau-papa !

Lionel (à lui-même) — En plus, il comprend rien du tout, le vieux.

Quentin — Demande-lui combien il a payé ton truc, là, pour remonter un peu les enchères. J'ai l'habitude, moi, si tu le mets trop bas, les gens pensent que c'est de la merde, tandis que là... Remarque, si tu mets une photo, ça changera rien à leur opinion... Et vendre une statue sans mettre de photo, c'est comme organiser une raclette sans fromage : personne va venir !

Lionel (au téléphone, en s'éloignant de Quentin) — Attendez, j'ai de la friture à côté de moi. Vous voulez... ? Ah, non, désolé, y a personne à la maison, ce soir.

Lionel réfléchit.

Lionel (au téléphone) — Ma femme est à son cours sur l'histoire du lard ou je sais quoi. Un truc intellectuel et complètement inutile, bien sûr, vous connaissez ça, apparemment. Elle rentre souvent très tard de ces soirées. Ça a l'air de la passionner à un point, pourtant elle mange très peu de charcuterie, même avec la raclette.

Quentin (à lui-même) — Il commence à me donner faim, lui, à parler bouffe tout le temps !

Lionel (au téléphone) — La grande est au ciné avec son copain. Elle va sûrement passer la nuit chez lui, c'est de plus en plus fréquent. Ah, m'en parlez pas, un jour elle va nous annoncer qu'elle est enceinte avant même qu'elle perde son pucelage.

Quentin (à lui-même) — Il s'entend parler ? Même sa dernière, à cinq ans, en sait plus que lui sur le sujet.

Lionel (au téléphone) — La petite est en vacances chez mon fils, à Toulouse, ça nous repose bien, vous pouvez pas imaginer. Hein ? Vous l'avez gardée à Noël dernier ? Oui, je sais bien, mais elle était encore calme, à l'époque. Maintenant, elle passe en grande section, c'est un autre monde.

Quentin (à lui-même) — C'est vrai qu'elle est infernale. J'ai accepté cet entraînement ici uniquement parce que je savais qu'elle était pas là. Sinon je mets plus les pieds ici, moi.

Lionel (au téléphone) — Vous voyez, tout le monde est en vadrouille. Hein ? Moi ? Ben… Moi, je suis à l'entraînement ! Et faut que j'y retourne, là. Oui, c'est ça. La maison est entièrement vide. Oui, je sais que vous avez les clés, c'est ma femme qui a insisté, vu que vous habitez le quartier à côté, mais c'est pas une raison pour venir foutre le bordel ! Je dis, c'est pas…

Lionel raccroche soudainement.

Lionel (soufflant bruyamment) — Pff, il me gave, le vieux ! Heureusement qu'il connait rien à la technologie et que je lui raconte que ça marche très mal, sinon je devrais me le farcir tous les jours ! Pire que ma mère !

Lionel (à Quentin) — Bon, on en était où, nous ?

Quentin — Ben… l'entraînement ?

Lionel — Ah, oui ! L'entraînement.

Lionel se dirige vers l'interrupteur et éteint.

Après quelques secondes, il rallume.

Lionel — Ouais, t'as raison, on voit rien du tout avec ces lampes. C'est de la connerie.

Quentin hausse les épaules sans rien dire.

Lionel Fixe la cheminée.

Lionel — Ah, voilà le coffre-fort !

Quentin — Hein ? T'as caché un coffre-fort ici ?

Lionel (soupirant) — Mais non…

Quentin — Ah, il y était déjà avant. Parce que c'est pas pour ce que t'aurais à y planquer…

Lionel (fronçant les sourcils) — Y a pas de coffre-fort !

Quentin — Ben alors pourquoi tu dis…

Lionel — Je dis qu'il y a un coffre parce qu'on s'entraîne et qu'on fait semblant qu'il y en a un.

Quentin — Et qu'est-ce que ça nous apporte de faire semblant ?

Lionel — Pour s'entraîner, justement !

Quentin — Donc on s'entraîne à ouvrir un coffre-fort avec un coffre-fort qui n'existe pas ?

Lionel — Si t'en as un chez toi, on peut y aller, sinon on suit mon plan et on fait semblant.

Quentin — Parce que tu sais comment on fait pour ouvrir un coffre-fort qui n'existe pas ?

Lionel — J'ai… pas encore réfléchi à la question, mais y a pas de raison que j'y arrive pas.

Quentin — Oui, t'as pu nous montrer l'étendue de tes talents sur la porte-fenêtre tout à l'heure, donc ça devrait le faire.

Lionel — Faut bien que je m'y colle, car je me souviens pas avoir vu ça sur ton CV. D'ailleurs, y a pas grand-chose d'utile parmi tes compétences. Je me demande bien pourquoi je t'ai pris avec moi.

Quentin — Peut-être parce que je suis aussi fauché que toi et que je suis le seul en qui t'as suffisamment confiance ?

Lionel (en pleine réflexion) — Mouais.

Quentin — Et aussi parce que je suis le seul qui a accepté ?

Lionel — C'est pas faux.

Quentin — Le seul à qui t'as demandé ?

Lionel — Y a de ça.

Quentin — Le seul assez fou pour t'accompagner dans une aventure aussi folle ?

Lionel (pointant la cheminée du menton) — Bon, on s'attaque au coffre ?

Quentin — Après toi. Je t'en prie.

Lionel observe attentivement la cheminée, ne sachant trop comment l'aborder.

Quentin — Ils sont forts, n'est-ce pas ?

Lionel — Les coffres ?

Quentin — Non, enfin oui, mais surtout ceux qui les ont fabriqués. Je vois que tu as du mal.

Lionel (se grattant la tête) — On fait bien de s'entraîner, en effet.

Quentin — Au fait… t'as vraiment regardé mon CV ?

Lionel — Tu m'en as donné un ?

Quentin — Je me souviens pas, non.

Lionel — Alors t'as ta réponse.

Quentin — Ben non, je sais pas. Donc, tu l'as lu, ou pas ?

La poignée de la porte d'entrée bouge en faisant du bruit.

Lionel empoigne le bras de Quentin. Les deux hommes se regardent.

Lionel (un doigt devant sa bouche) — Chut !

Quentin saute sur l'interrupteur et éteint juste avant que la porte ne s'ouvre.

  • Quel imbroglio ! j'me suis régalée à m'imaginer faisant irruption revolver en mains ! Pour une nuit agitée, on peut dire que c'était agité ! J'ai adoooooré ! tu excelles en scénariste ! aucun temps mort et toujours une vanne ! j'adoooore cet humour décalé ! Avec des cambrioleurs pareils on est tranquilles quoique..... ! J'ai passé vraiment un super moment en compagnie de tes personnages tous déjantés ! Une vraie pièce de boulevard comme je les aime avec quiproquos et tout et tout !! j'me garde la dernière pièce pour demain ! en tous cas CHAPEAU A RAS DE TERRE pour ce récit mené de main de maître ! excellentissime ! bisouuuuus et douce fin de journée loin de ce monde déglingué ! à bientôt !

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Epo avatar

    Christine Millot Conte

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