La paroi

Christian Lemoine

Une main dans la faille mince, à peine sensible d'abord sous les doigts. S'assurer rapidement, ne pas perdre de temps suspendu sous le surplomb. C'est bien loin d'être un parcours de varappe idéal, plutôt le chemin des casse-cou. Avancer à la seule force des bras, jambes ballant dans le vide. Une prise, une autre, à main gauche, assez loin, atteinte par une ou deux phalanges crispées. Puis tout le corps qui se hisse, un passage les deux paumes à plat sur un arrondi de la pierre chaude. Un méplat, un léger ressaut veiné d'ocre, et juste après une vague anfractuosité où traîne à peine de terre sèche ; assez pourtant pour un maigre pied de redoul où revient quelque verdure. Une ligne presque horizontale court ici le long de la paroi. Un temps de véritable station debout. Repos bref. Souffler. Reprendre un peu de force avant de repartir dans l'ascension périlleuse. Dos à la paroi, la vue immense, le paysage sans borne, survol d'oiseau de proie. Loin, dans les bleutés brumeux, la lame argentée du fleuve. Plus proche, c'est une rivière chahutée, les flots tranchés à vif par des rochers affûtés. Ainsi que l'étaient comme par un coup de sep ceux d'eaux nîmoises de l'enfance gardoise, sur le courant chétif du Vistre de la Fontaine. Mais ne pas se laisser emporter par les souvenirs ensoleillés et heureux, quand les seules rumeurs un peu effrayantes étaient celles qui montaient dans le soir des hirondelles depuis l'antre furieuse des arènes. Rejoindre l'ascension, puisqu'elle est dit la seule voie vers la liberté, la seule voie pour s'échapper. A quelques mètres au-dessus, ce pan de paroi vertical, presque lisse ; très peu de prises ; une mince fêlure en zigzag dans la roche à nu, où parviennent tout juste à se glisser la première phalange de deux ou trois doigts. A main droite en revanche, un peu plus de relief où la main trouve à s'agripper. Puis la paroi s'élève, prend une inclinaison peu à peu en surplomb, avant qu'elle ne se mette à forjeter brusquement. Guère plus d'un ou deux mètres ainsi. C'est le passage. Il faut savoir l'emprunter sans hésitation. Le poids du corps pèse vers le bas, le peu de pulpe des doigts accrochée à la roche ne peut s'attarder. C'est là que tout se joue. Le passage vif aux mouvements enchaînés comme une danse, ou l'hésitation qui condamne à rester plaqué à la paroi ; alors pas d'autre choix que de redescendre. Entre les deux, se glisse toujours l'éventualité de la chute.

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