La patate chaude

A Daniel-M qui me fait creuser le sujet.

Ce que j'ai pu constater et constate malheureusement encore de temps en temps, est que l'inceste ou le climat incestueux est généralement une problématique familiale qui dépasse le fantasme d'un individu.

C'est le plus souvent un historique transgénérationnel concernant plusieurs générations, lesquelles sont empêtrées dans une problématique non identifiée, pas nommée, tue, mise soigneusement sous le tapis.

Raison pour laquelle cela peut arriver n'importe où et dans n'importe quel milieu. Ce n'est pas une question d'argent ou de position sociale, de QI ou de diplômes.

C'est plutôt à mon sens une problématique identitaire. Les enfants qui naissent successivement ne s'appartiennent pas. Rien n'est à eux, ni leur corps ni leur esprit. Il n'y a ni limites ni frontières entre eux et les adultes, adultes eux-mêmes anciens enfants qui se refilent la patate chaude malsaine à chaque nouvelle lignée.

Le grande difficulté des enfants confrontés à ce genre d'ambiance, à cette violence, est qu'ils n'ont pas toujours conscience que ce n'est pas normal. Quand les adultes censés éduqués les plus jeunes d'un groupe adoptent certains comportements, pourquoi est-ce que les enfants et à quel moment ou dans quelles circonstances peuvent-ils comprendre que l'attitude de leurs parents, oncles, tantes, cousins, cousines...est dangereux ou interdit ?

Puisque ce champ des possibles est ouvert par des adultes référents au sein du cadre familial, qui va rompre cette chaîne infernale? Qui de l'extérieur va se dire "il y a un truc qui cloche" ? Ce n'est pas marqué sur le front des adultes et les enfants sont dans l'incapacité de parler pour la bonne raison qu'ils n'ont pas conscience de dérives comportementales qui appartiennent à la norme familiale.

Pourtant les enfants manifestent ces désordres de toutes les manières possibles, y compris touts petits. Certains sont agités ou agressifs, détruire leurs jouets, d'autres vont adopter des comportements de repli, somatiser, cumuler les maladies, avoir des problèmes de sommeil, d'alimentation, se couvrir d'eczéma...le corps parle autant que les attitudes.

A l'adolescence les symptômes sont plus visibles: conduites addictives, mises en danger, attitudes de séduction exacerbées, violences, dépression, agressivité défensive. Parfois le jeune met son corps en scène, l'expose tant et plus en multipliant les attitudes provocantes, à l'inverse d'autres vont le cacher, aller à la plage tout habillés, refuser d'aller à la piscine, refuser de se laver...

La découverte des relations intimes et amoureuses est souvent très compliquée pour ces jeunes qui n'ont pas les bons repères, ne connaissent pas les limites de leur corps et de leur être tout entier.

C'est cela qu'il faut sans doute retenir: ces actes et/ou climats tordus engendrent d'abord une absence d'être, une explosion de la psyché. Le corps est certes blessé mais le pire est tout le reste, c'est toute la structure interne qui est fracassée, l'identité même de l'être qui est en question.

Et le sujet reste absolument tabou, particulièrement en ce qui concerne les climats incestueux et la question des mères incestueuses. Il est quasiment impossible pour un enfant ou un jeune d'évoquer à l'extérieur une ambiance perverse diffuse. Sans preuves physiques, qui va l'entendre? Qui va comprendre la détresse de la jeune fille dont papa caresse furtivement les fesses, les seins ou le ventre entre le plan de travail de la cuisine ou le soir sur le canapé pendant que maman pend la lessive? A qui va t'elle dire que ça la gêne que papa la regarde s'épiler sous la douche ou que papa se promène tout nu quand elle joue du piano dans le salon? Surtout quand papa et maman ont des postes en vue, que la maison est bien chauffée, les chambres spacieuses, les vêtements de marque, les voitures haut de gamme, que papa et maman prennent RV chez des tas de psys pour calmer cette enfant agitée, agressive, désordonnée, insolente, qui pleure et hurle alternativement, a de mauvais résultats scolaires...

Quasiment impossible également d'évoquer les cas de mères incestueuses. La majorité pense que cette problématique est exclusivement masculine, ce qui est faux. Ce ne sont pas les témoignages en ligne qui manquent et pourtant, on ne parle toujours que des hommes comme auteurs de ces faits, en oubliant la détresse des enfants de ces femmes (et la leur au premier chef), en particulier celle des garçons. Imaginez déjà combien il est difficile pour une fille de dénoncer un membre mâle de la famille, puis tentez de vous mettre à la place d'un garçon qui est le "petit homme" de sa mère. Voyez comment lui peut conscientiser le problème et l'évoquer ensuite...