La petite conne

peterpanpan

Elle était là comme une conne, à s'enfiler des verres de doux en fumant de mauvaises cigarettes. C'était Philippe qui venait de la jarter, la pauvre. Elle en pouvait plus de son Philippe. Fallait l'entendre, c'était son dieu ce type. Un corps comme elle en avait jamais vu, qu'elle devait encore s'imaginer tout près de sa bite, sûrement du jamais vu aussi celle-là. Moi j'avais un peu de peine pour Olivier qui l'hébergeait encore gentiment dans sa maison bourgeoise avec de grands murs et des pièces ouvertes, avec le doberman noir géant qui se jette toujours sur la vitre de la véranda dans la cour, qu'on croirait qu'elle va péter. Bah ouais, Olivier aussi il devait être là comme un con. J'sais pas s'il l'aimait encore, sans parler du doberman. J'pense juste que c'est un bon type, et qu'il avait compris qu'sa p'tite nana, avec ses manies et s'qu'il a pu en déduire de son ciboulot, ça arriverait. Pauv' Olivier quand même. C'est un Jesus qui n'a pas d'autres fidèles que son âme pour assister son martyr. Sans vouloir en faire trop et pour expliquer les choses plus clairement, Olivier avait 47 ans et ça faisait trois ans qu'il vivait une histoire un peu particulière quoi que pas si inédite dans la littérature avec Aude, 22 ans. Puis un jour, Aude s'est fendu d'un type sûrement assez différent d'Olivier, quoiqu'ils soient profs tous deux, et même potes. Parce que Philippe était le pote d'Olivier, sûrement collègues pour ce que j'en sais. Parce que tout ce que je sais je le tiens de Aude, et je demande pas tout. 

Et donc Aude, elle me raconte que depuis une semaine elle a arrêté ses cours d'Arts, enfin maintenant ça doit faire deux semaines. Elle va voir une psy à quarante balles de l'heure, et bois du vin blanc entre deux anxiolytiques légers. Puis au milieu de ça elle bouffe pas, et elle écoute des musiques de merde, enfin, de la bonne musique, mais de la musique de merde quand c'est dans ces cas-là.

Aude me fait pitié, dans le sens où je la méprise. Je méprise son petit malheur de conne, elle, cette petite garce qui va s'amouracher avec de vieux garçons. Je méprise son cynisme de vieille pute histrionique alors que ses yeux sont en amandes, sa peau est lisse et ses lèvres sont comme un quartier d'orange bien fibreuse. Je méprise l'ambiguïté de sa fantaisie, soupçonnant d'instinct que l'avantage d'être entretenu y est pour beaucoup. Envierais-je l'idée d'être entretenu ? C'est vrai que je n'ai jamais voulu travaillé, j'en ai encore parlé il y a peu avec un clochard,  et jusqu'ici, j'ai toujours eu plus de temps libre que d'argent. Elle a tout mais sa position est fragile. Et ceux dont elle se sert le sont encore plus. Ce Philippe l'a bien baisé. Un mois, c'est tout ce que ça a duré. Peut-être que ça me rend encore plus laid mais je suis satisfait de ce qu'elle souffre. Parce qu'elle n'a aucune pitié pour Olivier. Il l'héberge encore jusqu'à ce qu'elle se trouve un appart, il l'a laisse faire ses petites crises de gamine névrosée, vomir sur son carrelage, squatter son canapé, et récolte son mépris. Et elle a déjà prévu de se faire sauter par une partie des quadragénaires à la ronde une fois installée. Pour "profiter". Pour se venger de Philippe. Parce que dans sa petite tête de cloche, si son vieux l'a lâché, c'est que physiquement elle faisait pas la tâche. Elle m'a envoyé des photos d'elle, ou elle n'avait ni ventre ni cul. Une silhouette pour pédophile. Elle n'a pas idée de ce que pense un mec qui ne baise pas. Il y a quelque chose d'immature dans son délire. Elle veut faire la grande ? La dame ? Peut-être qu'elle a trop vu de vieux films américains. Je repense à cette fois, où elle m'avait fait venir chez Olivier pendant qu'il n'était pas là, moi esquissant l'idée qu'elle voudrait peut-être baiser un peu, mais une fois dans le canapé, entre sa voix qu'elle se forçait à rendre rauque et cette espèce d'impression que je n'avais rien à foutre là ( pourtant j'appréciais sa compagnie et je lui trouvais ce quelque chose de faux et de séduisant qui m'attire toujours chez les névrosées ), je perdais toute contenance, mal habillé comme à l'époque, et vraiment, l'impression étrange d'un inceste à venir, surtout quand Olivier est rentré, et que je nous voyais comme si nous étions ses deux enfants. Je devrais lire Freud, histoire de savoir quoi penser vis-à-vis de son père. Y'a sûrement à creuser de ce côté. 

Devrais-je encore parler d'Aude et Philippe ? Quelque chose me fatigue chez eux. Ne m'en veut pas lecteur si tu as l'habitude des histoires bien amenées.  Ce que tu lis tiens plus de l'expression d'une énergie spontanée que du plan mûrement réfléchi. Peut-être devrais-je te raconter lecteur, ma rencontre avec Aude ? J'étais très jeune, je devais avoir douze ans. Nous étions au même collège. J'étais amoureux d'elle, de ce que je croyais être de l'amour mais qui n'était qu'une sorte d'obstination qui m'a valu un bisou sur la bouche. C'était durement acquis pour moi, et cher payé pour elle, étant donné que je lui était répugnant. C'était ma pugnacité qui l'avait décidé. Puisqu'on remonte à cette période, je me demande de quand date son fétiche pour les hommes mûrs. Qu'est-ce qui l'a allumé ? Un torse de prof poilu sous une chemise entrouverte ? En tout cas j'ai fini par apprendre que ce que je pensais vraiment tabou l'était beaucoup moins dans les faits. Il faut dire qu'elle n'est vraiment pas moche, avec son corps de Jane Birkin et son beau visage de franco-algérienne. Aude, si seulement tu ne jouais pas la pute, la vieille pute. Avec ta cigarette et ton vin, tes vieux gars qui ne te prendront jamais au sérieux, tes malheurs de fille brillante et perdue. Et si tu pouvais te rendre compte, comme je m'en suis rendu compte, que je suis celui qui pourrait le mieux comprendre tout le sérieux que tu mets dans ton petit jeu. Je suis fatigué de t'écrire. Tu sais pas qui t'es, voilà, c'est ton seul problème. Et les vieux te rassurent. C'est des papas, on écoute toujours les papas. Ils savent quoi faire, ils peuvent toujours aider. Mais toi tu sais pas qui t'es, alors il te faut du tragique, du bizarre, du pathétique et du glauque que tu ne vois même pas comme tels, que tu vois comme un maniaque voit l'alcool, le sexe et les dépenses de fric, tu ne vois que la sensation d'un espèce de plein sans fond. Tu es comme moi, Aude. Moi, avec mes vieux costumes achetés d'occasions et rafistolés chez le retoucheur immigré du coin, ma mélancolie d'un autre âge, mon ennui existentiel que je goinfre à la manière d'un sage qui prémédite son abrutissement. Tu bouffes pas, je bouffe trop. J'ai arrêté de fumer, ça me file des crises d'anxiété. J'suis plus vieux que tous tes abrutis. 

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