La phase de réveil

luxaeterna

Les crayons arrêtent de froisser les papiers un instant. Ces grandes feuilles jaunies dont je n'ose imaginer le contenu. La salive acide et les lèvres pincées, nous attendons. Nous attendons de pouvoir parler, de réussir à prononcer quelque chose. Mais tout ce que nous voudrions, c'est nous taire. L'intensité en face se fait de plus en plus forte, cette force dans le regard qui signifie qu'ils sont prêts, prêts à récolter la moindre information, notre inclinaison de tête, l'embrume de nos yeux, les jambes décroisées. Ils étudient, ils jugent. Un jugement sur si peu de choses et pourtant d'une si grande ampleur.  Nous avons peur. Elle est là, avec moi, et elle fredonne que nous avons peur. Elle me le chuchote à l'oreille. « Chut », me dit-elle, d'un souffle long et fébrile. Alors, je me tais. Nous nous taisons, elle et moi. Nous fixons le lacet de mes chaussures sales.  Avoir l'air naturel, ou triste, ou perdu, je ne sais plus, je ne sais plus quoi jouer. Quelques secondes, quelques secondes d'hésitation, quelques secondes qui ont changé ma vie à jamais. Bien que chaque instant détermine notre futur, la plupart sont incontrôlés et incontrôlables. Celui-ci était voulu. Il faisait mal, et il était voulu. Je lui demande pourquoi, elle me répond de me taire. Je l'écoute. Elle m'a toujours  bien conseillée. Impulsive. Réfléchie, peut-être. Ou bien juste la voix que je ne veux pas entendre. Souvent, je refuse de l'écouter. Elle reste sur le côté, l'air triste et renfrogné. Et puis voilà qu'elle revient, quand le corps est trop faible et la tête perdue, elle s'impose. Elle est là. Elle me fait parler. Elle me fait nier. Alors, le bruit des crayons reprend, plus rapide. Mes chaussures sont sales. Je relève ma tête. « Merci », lui dis-je. Elle s'est remise à sa place. Elle a fini de m'aider. Elle m'a empêchée de me perdre, de gâcher ces quelques secondes.  Je n'en étais pas loin. Ils m'y conduisent, cet endroit de peur et de solitude, car elle n'est plus là. Elle est partie, elle m'a laissée. Elle a fini son travail. Maintenant, c'est à moi de souffrir. Moi qui ai choisi de l'appeler, moi qui ai choisi de nier. C'est à moi. C'est le début d'un autre monde. Tout a changé. Les fleurs ne sentent plus et écœurent, les murs n'ont plus la même texture, et ce sommier me sent somnoler, tendue, et recueille parfois une larme. Ou plusieurs. Le son du verrou. Elle est partie, et je sais où. Le cauchemar a commencé il y a longtemps déjà. Mais aujourd'hui commence l'horreur, la phase terminale, la phase de réveil d'un sommeil lourd de sens. 

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