La plus fidèle des compagnes

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L'Absence, comme une sœur, ma plus fidèle cavalière.
J'oublie le parfum des fleurs. J'oublie la sensation du vent qui fait danser mes cheveux. J'oublie le Soleil et ses rayons bienfaiteurs. J'oublie tout, ma mémoire s'effrite, petit à petit, morceau par morceau. Je finis même par oublier ce qu'est de vivre.
Les ténèbres entrent dans la danse, s'invitent sans gêne dans ce sombre ballet. Et nous valsons, tournoyons, de plus en plus fort. Il n'y a plus une once de clarté. Le sol se dérobe sous nos pas pressés, laissant apparaître un monde parallèle. Une mélodie s'échappe de ces enfers. Un son de vieille boîte à musique désenchantée. Une ode à la perdition. Tapie dans l'ombre, j'aperçois des milliers d'yeux, tels des brasiers. Ils n'ont pas de visage. Pas de corps. Il n'y a que ces yeux et un sourire éclatant. Les dents acérées comme des lames. Et mes pupilles, emplies de larmes. Pourtant je n'ai pas peur. C'est même tout l'inverse, je me sens en sécurité. Dans la noirceur, je me sens dans mon élément.
Depuis que tu es partie, chaque jour est le même. Toujours cette musique qui tinte dans un coin de mon esprit, et puis ce noir abyssal qui m'envahit.
L'Absence, ma camarade de jeu. La mère qui me berce avant que je tombe de fatigue. Elle me murmure tendrement des paroles réconfortantes. Au fond, ces chants que j'entends ne sont que les restes que j'ai gardés de toi. Ce ne sont que des miettes que tu as oublié là, tout près de moi. Alors, dans l'ombre, l'Absence prend ta place et rayonne. Paradoxalement, moi, je n'ai jamais été capable de briller. Pas même dans tes yeux. Mais dans les siens je peux y voir la fierté. La joie d'avoir une nouvelle recrue, une nouvelle âme perdue à ramener de son côté.
J'ai trouvé refuge auprès du vide. Ce dernier m'appelle, m'invite à faire corps à corps avec lui, et ce pour l'éternité. Et au fond, je n'ai plus aucune raison de refuser. Enfin, comment parler de raison, alors que c'est une notion que j'ai également oublié.
Tu as tourné le dos à toutes les bonnes choses qui t'ont été mises entre les mains, baluchon sur l'épaule. Et ce que tu as emporté avec toi, cathédrale en ruine de chair et d'os, ce n'est rien d'autre que mes joies, mes principes, mes rêves. Tu es devenu en un instant une cavité infinie, avalant toutes les meilleures choses que j'avais en moi. Tu ne m'as laissé que de la peine et du souffle, suffisamment pour que je puisse respirer cet air insignifiant et souillé. Chaque respiration est comme si j'avalais des milliers de clous. Chaque respiration que je prends me rappel à quel point l'Absence ne me quittera plus. À quel point, par conséquent, ta présence ne me reviendra plus.
J'ai essayé de te retenir, du moins, je pense que je l'aurais fait si j'en avais été capable. Mais mes bras étaient sûrement trop faibles, et bien trop courts. Alors l'Absence s'est blottis contre moi, et m'a ouvert à ce monde sombre qui sommeiller dans mon corps comme un somptueux volcan. À la fois effrayant et terriblement fascinant. La terreur est mère de tant d'êtres égarés.
Puis puisque le bien nous quitte, alors nous ferons face au mal. Peut-être est-ce ainsi que naissent les monstres. Peut-être n'ont-ils plus d'autres échappatoires au stade où ils sont.
Mais qui est le plus monstrueux au final ? Est-ce celui qui part, ou bien celui qui sombre ? Est-ce ce lâche qui quitte le navire avant qu'il chavire, ou bien ce fou qui reste jusqu'à en perdre chacun de ses membres, jusqu'à la folie ?
J'ignore qui est capable d'y répondre. Je suppose que seul le temps, notre unique allié, nous permettra de connaître la réponse. Nous verrons bien qui de la vermine ou du fou résistera le mieux aux sévices du temps.

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