La prise d'otage

leo

Exercice n°27 : Déboussolé

Crée par Sophie D.A. WeLoveWords

Vous êtes journaliste, envoyé spécial pour la télévision. On vous a envoyé à New York couvrir une affaire qui fait la une mais vous manquez, comme tous vos confrères, d'informations. Il ne se passe rien de neuf et vous êtes condamné à répéter en boucle la même chose et à faire filmer par votre caméraman une façade d'immeuble. Après trois jours, vous êtes lassé et au moment où l'antenne est à vous, vous disjonctez. Dans un préambule, vous dénoncez la vacuité des sujets et vous vous mettez à raconter une histoire qui n'a aucun rapport avec les faits que vous devez couvrir, une histoire que vous estimez plus intéressante. Racontez-nous la scène du point de vue du caméraman au PRÉSENT en DÉCRIVANT le journaliste puis en RACONTANT son happening.

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« C’est donc dans cet hôtel cossu de Manhattan, que semble résider la chef charismatique du parti d’extrême droite.. et son amant ! Selon des sources sûres, ce dernier ne serait autre que le leader du parti d’extrême gauche ! Une union, contre nature politique, qui, si elle s’avérait exacte, handicaperai lourdement les deux formations aux présidentielles françaises de 2012 ! L’immeuble comme vous pouvez le constater est cerné par les journalistes du monde entier. Rappelons que si cette nouvelle frasque de notre classe politique était confirmée, la France, serait définitivement discréditée sur le plan international ! »

Telle est la teneur de notre nouveau flash d’information, que nous avons remanié pour la quarante-septième fois depuis le début de notre siège. Notre plateau parisien, prend le relais en donnant la parole à d’innombrables intervenants de tous bords alimentant, les rumeurs les plus folles. Ils sont les voix et je suis leur œil, qui scrute le moindre détail pouvant nourrir le scandale. John Cooper s’éponge le visage, semblable à un athlète de haut niveau. Il tient là son record personnel, du sujet le plus con qu’il lui ait été donné de couvrir. Son fort accent américain confère au pseudo-reportage, une niaiserie transatlantique vécue comme incontournable. J’ai toujours suivi John, aux quatre coins du globe. Je ne comprends pas qu’il ait, pour son ultime reportage avant sa retraite, choisi de couvrir cette daube médiatique. Je ne perds pas une miette du off. Je suis le dépositaire d’une vie faite de conviction, acharnée, à transmettre les « vérités gerbantes  d’un monde suicidé », comme dit toujours John.

Sa stature massive impressionne de gravité, son charisme se muscle des sujets habituellement en fonte, qu’il relaie à bout de bras. Insolente force de la nature et de l’esprit, qu’aucune déflagration au plus proche de la réalité, n’a jamais réussi à perturber, lorsqu’il traite dans les conditions du direct, des drames dont nous avons été témoins. Son visage abhorre les expressions les plus sincères. Un large panel de dramaturgie, qu’il a eu loisir de diversifier au fil des conflits armés qu’il a narré. John sait pertinemment, que dans les vingt secondes qui lui sont allouées pour traiter des horreurs, seule l’émotion qu’il dégage peut réussir à émouvoir. Le monde entier se fout de comprendre, mais il aime à commenter « Les pauvres… tu vois Paméla, toi tu as de la chance, alors finis ton assiette ». Il sait que s’il est  convainquant, il peut peut-être extraire, quelques milliers d’euros de la conscience populaire. Infime soutien aux peuples sacrifiés, qui manquent de milliards.

 C’est la première fois que je le vois troquer son gilet reporter pour un costume de très belle facture. John semble préoccupé, il inspire et expire fort, fait des allers-retours incessants, les mains sur les hanches, scrutant la nuit qui pose son voile, plante notre nouveau décor. Stacy, le maquille de nouveau. Elle lui adresse un clin d’œil et un sourire velouté. Il la fixe, muet, lui retourne un rictus qui ponctue la séance. Il se fige devant moi, positionne son micro auquel il se crispe de ses deux mains, comme le ferait un pénitent, prêt à se confier au divin. Stacy compte de ses doigts, le rebours de sa prestation. De son index, lance son preux journaliste à l’assaut des téléspectateurs...

« Très chers téléspectateurs, c’est avec une émotion non feinte que je vais vous délivrer le scoop de notre siècle ! Vous qui avez pris pour habitude d’incarner de sombres moutons crétins, tatoué du sceau de la connerie éditoriale, je m’en remets à vous !  N’en avez-vous pas marre, d’écouter les mêmes flashs indigents depuis maintenant trois jours ! Qu’attendez- vous donc, de l’issue de cette triste farce ? Au pire, vous aurez la certitude de « l’union d’une timbrée avec un postier *» comme aurait dit DSK, cet autre fait divers dont vous raffolez ! Daignez-vous continuer d’être aux yeux des grands médias, de pauvres mollusques consentants, nourri des histoires de culs, qui enfanteront votre asservissement total ! Ce maître cathodique sadique qui vous cravache de son inexistante réflexion, après vous avoir menotté, à n’importe quel lit du scandale ! Sentez-vous claquer le fouet  de leur domination toute puissante ? »

Je n’ai jamais vu  John autant exalté qu’à ce moment précis ! Sa diction est parfaite, ses sourcils broussailleux, peuvent prendre feu à tout moment au contact de son regard de braise. C’est alors qu’il sort une arme de poing devant ma caméra stupéfaite. Il indique qu’elle est chargée, prête à l’usage. Ces traits durs prennent la forme d’un forcené, qui peut d’un moment à l’autre faire un acte irréparable. Il me vise alors de son calibre. Je deviens caméra, pétrifiée, subjuguée.

« Voilà qu’enfin un peu d’animation vous parvient ! J’en ferai usage si quelconque essaye de me désarmer ou si la connexion du direct, s’avérait être coupée ! Stacy ma complice et compagne m’en informerai alors immédiatement, et c’est la vie de mon cameraman qui paierait alors le fruit de votre inconséquence ». A cette annonce, je ne peux m’empêcher de sursauter, indiquant par l’image, l’effroi qui me parcourt alors l’échine. John, imperturbable, continue, froidement : «  Je suis heureux d’annoncer à la chaîne qui m’emploie qu’elle est prise en otage ! Quels sont ceux d’entre vous qui espèrent secrètement que je presse sur la détente, histoire de dire que vous avez assisté en live à la mort d’un innocent ? Que le célèbre John Cooper, devant vous, vous a offert un divertissement digne de ce nom, nourri de votre perversité souterraine ? »

Son rire tonitruant, aux échos démoniaques me glace le sang. Il porte alors le canon à ses lèvres avant de reprendre.

« Ou alors serais-ce mes lourds secrets qui mériteraient de mourir ? Très chers téléspectateurs ! Par la force de votre curiosité malsaine, vous allez assister à la naissance d’une vérité que je ne saurai avorter, pour le grand dam des hommes les plus puissants de notre classe politique ! »

John énumère alors la somme des conflits qu’il a couvert au service de la vérité. Il ponctue chaque pays du nombre de morts qui ont été passé sous silences. A chaque bilan macabre, il mime un tir à mon encontre. Je trésaille immanquablement, l’effet visuel doit être des plus saisissant. A chaque drame, il y associe des noms qui ont contribué à ces massacres. En France, les responsables politiques qui ont bénéficié de pots de vins pour favoriser la prolifération des armes, des morts. Une longue litanie d’accusations qui semble ne faire aucun doute, tant le sérieux de John en impose…

« Très chers téléspectateurs, ainsi touche à la fin mes vérités gerbantes  d’un monde suicidé… ». Le canon se pose hors cadre et retenti une première fois, personne ne verra Stacy s’écrouler. Il retourne alors l’arme contre lui, son doigt fait le reste….

Ma caméra détaille le corps gisant à terre ,alors qu' un brouhaha indescriptible d’une liesse en délire, m’extirpe de la macabre  contemplation...Une voiture au loin fuse sous le crépitement des flashs. Avant d’être à ma hauteur, je distingue les passagers arrières lever le voile de leur identité, en ôtant la couverture qui les recouvrait. La voiture ralentie pour prendre le virage à l’angle de l’avenue que je couvre de mon œil indiscret. Ce que je filme est tout bonnement impensable... la rumeur était bien loin de cette effarante vérité !

Le scandale que cela entraîne semble complètement effacer les révélations, ensuivis de la mort de John et de Stacy. La chaîne dément par ailleurs, les propos tenus par John, indiquant à ses très chers téléspectateurs, qu’il s’agissait là d’un regrettable canular de fin de carrière.

Cela fait maintenant une semaine que je repasse le film dans ma tête. Ma mise au repos était effectivement la bienvenue après pareille épreuve. Je découvre l’ensemble des preuves que m’avait fait parvenir John par la poste, juste avant son grand déballage. Je cogite, affalé dans le fauteuil, que je ne quitte que pour refaire le plein en Jack Daniels. Dans le marasme de mes pensées déboussolées, je perçois le  cliquetis d’un barillet me tenir en joue. Je sens l’acier du canon se poser sur ma tempe. Je suis définitivement congédié. Un autre œil a déjà pris ma place, et vous ne devinerez jamais qui couche ensemble en ce moment même...

FIN

* Citation empruntée à DSK qui faisait référence à l’union politique d’Arlette Laguiller et d’Olivier Besancenot, il y a de cela maintenant, un certain temps.

  • J'aime cet enthousiasme juvénile qui fait délirer Léo au quart de tour...Plein d'humour plus que sarcastique . Peu importe le consensuel du propos ou même que l'intrigue soit "téléphonée" , c'est toujours plus le style que le fond, qui est réellement amusant et enrichissant pour le lecteur..:)

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Default user

    nylou

  • Super.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Images

    hugues-stephane

  • Votre narration est rythmée et votre incipit de présentation des protagonistes efficaces. Vous vous perdez toutefois un peu, ou du moins votre lecteur, dans les méandres de votre volonté de dénoncer tout ce qui vous tient à coeur ... et n'importe quoi dans votre message. SI votre idée suicidaire est extrêmement efficace, elle aurait mérité une fin plus "fracassante" . Faites attention à ponctuer et à alterner les voix avec des styles et registres différents. Si l'orignalité de l'intrigue vous honore, les dénonciations télévisuelles chez vous sont tout de même affreusement et malheureusement consensuelles. Un point très positif l'idée du tremblement comme traduction visuelle de la peur. Bon exercice cher Léo.

    · Il y a presque 13 ans ·
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    abeline

  • Délirant !

    · Il y a presque 13 ans ·
    Flottins orig

    sophie-dulac

  • J'admire ton délire opiniâtre qui te fait rentrer dans chaque exercice avec un esprit imaginatif à foison...Toujours ravie de découvrir les multiples personnages de tes écrits...Chapeau bas pour avoir mené l'histoire jusqu'à son happening.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Et  2011 264 orig

    mlpla

  • Quel satire de notre société : tout est dit ! Bravo car rondement mené !

    · Il y a presque 13 ans ·
    K0292327 92

    muse-oceanide

  • J'avais oublié l'histoire de la timbrée, oui j'aime bien ce texte

    · Il y a presque 13 ans ·
    Chat

    Eric Varon

  • texte très réussi et plein de suspens : bravo !

    · Il y a presque 13 ans ·
    Coucher de soleil 92

    Ghyslaine Bobillier

  • exellent! une écriture d'une belle musicalité.

    · Il y a presque 13 ans ·
    101 0061 500

    saki

  • Quand les journalistes pèteront les plombs... il fera chaud dans nos coeurs ! Merci Léo ! Ton texte est réussi. Pour ce délire vivifiant, un grand coup de coeur.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Img 0789 orig

    Gisèle Prevoteau

  • A sujet plombant,traitement délirant.Bravo.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Photo chat marcel

    Marcel Alalof

  • J'adore!!!

    · Il y a presque 13 ans ·
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    Balder Maltese

  • Des larmes pour éteindre un feu de sourcil, bien joué.

    · Il y a presque 13 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

  • J'ai corrigé suite à la remarque d'Abdelazziz ! La formulation de ma précèdente phrase pouvait effectivement prêter à confusion. Merci beaucoup pour vos lectures attentives :)

    · Il y a presque 13 ans ·
     14i3722 orig

    leo

  • Non, non, Abdelaziz, les preuves ont été déposées à la poste juste avant le déballage, du coup, "Léo, le caméraman" lui, les a reçues après, le temps que les fonctionnaires fassent leur job. :-)

    · Il y a presque 13 ans ·
    Tourbillon 150

    minou-stex

  • pétage de plombs en règle...

    · Il y a presque 13 ans ·
    New orleans louisiana may 1953 chevrolet orig

    victoria28

  • Cher compétiteur !!! Chapeau, je vote pour vous !

    · Il y a presque 13 ans ·
    Apphotologo

    Michel Chansiaux

  • j'adore le suspens, merci pour ce voyage, la lecture est fluide, les personnages bien de maintenant, bref coup de coeur léo . j'aime ton monde imaginaire!!!
    l'animelle

    · Il y a presque 13 ans ·
    Lanimelle 465

    lanimelle

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