La retraite

Série de trois textes, histoire de commémorer l'armistice du 11 novembre. Voici le deuxième :

La retraite

Nous sommes dans de beaux draps mon général !

Pourquoi ça ?

L'ennemi avance !

Combien sont-ils ?

Deux mon général...

Vous vous fichez de moi là ?

Je voulais dire deux divisions mon général.

Ah bon ? Dans ce cas sonnez la retraite !

Impossible mon général... 

Et pourquoi donc ?

Nous n'avons pas assez cotisés !

Combien de trimestres nous manque t-il ?

Huit mon général !

Très bien, alors laissez tomber la retraite et donnez l'ordre du repli général !

Votre repli à vous mon général ?

Non, je parle du repli en général le mien et celui des autres...

Très bien mon général, et ou nous replions-nous ?

On se replie le plus loin possible en arrière, hors de portée des obus ennemis.

Impossible mon général !

Et pourquoi cela ?

L'ennemi est derrière nous aussi.

Combien sont-ils ?

Douze mon général... 

Douze divisions, c'est beaucoup !

Non mon général, là ils ne sont que douze, c'est juste une escouade.

Alors balayons-les et replions-nous. Transmettez mes ordres immédiatement.

Je ne peux pas mon général...

Et pourquoi donc, que se passe t-il encore ?

Les douze en arrière sont des nôtres

Ce sont nos ennemis ou les nôtres ? Faudrait savoir !

Ce sont les nôtres, mais ce sont des mutins, ils veulent vous tuer mon général.

Les traîtres ! Je les ferais pendre !

Vous ne pouvez pas mon général !

Comment ça je ne peux pas...Qui est-ce qui commande ici, vous ou moi ?

Mon général, sauf votre respect, c'est moi qui commande ici !

Quel toupet ! Vous n'êtes que caporal, vous devez donc, hiérarchiquement, réglementairement, obéir à votre supérieur...

Oui mon général, je suis d'accord, mais rien dans le règlement ne m'oblige à obéir à un général de l'armée adverse...

L'armée adverse ? Que me chantez-vous là ?

Ici vous êtes chez l'ennemi mon général.

Ça alors ! Vous êtes caporal dans l'armée ennemie maintenant ?

Oui mon général, je viens de passer à l'ennemi depuis un quart d'heure,

Traître ! Pourquoi avez-vous fait ça ?

La nourriture est meilleure ici mon général.

Vous aurez double-ration si vous revenez. Libérez-moi et retournons dans nos lignes...

Non mon général, je ne peux pas...

Et pourquoi ?

Ce serait de la trahison.

Allons mon petit, vous n'êtes plus à ça près non ?

J'ai ma conscience, et puis je ne suis pas un traître professionnel...

Eh bien, devenez-le ! Je vous nomme traître professionnel de deuxième classe.

Merci mon général...Est-ce que ça comptera double pour ma retraite ?

Bien sur ! A propos de retraite, je l'avais oubliée celle-là. Sonnez-là immédiatement !

Bien mon général. « Tari Tari tara... » Voilà c'est fait mon général.

Ce n'est pas trop tôt, qu'est-ce que c'est devenu difficile de se faire obéir de nos jours...

Mon général ?

Oui, qu'est-ce qu'il y a encore ?

C'est trop tard pour la retraite, nous sommes encerclés...

C'est de votre faute caporal, si vous aviez obéi à mes ordres tout de suite nous n'en serions pas là...

Qu'est-ce qu'on fait mon général ?

Hissez le drapeau blanc, on se rend, sans conditions...

On se rend ou mon général ?

Levez les mains en l'air bougre d'idiot ! Et arrêtez de prendre cet air stupide. Soyons dignes...Nous sommes l'armée française et l'armée française reste digne en toutes circonstances...

Bien mon général !

Oh et puis cessez de m'appeler général à tout bout de champ ça m'énerve !

Pourquoi ça mon général ?

Parce que je vais certainement être destitué, dégradé, pour m'être rendu à l'ennemi sans combattre...

Alors ça comptera pas pour votre retraite ?

Arrêtez de me parler de la retraite tête de buse !

Oui mon général !

Appelez-moi Victor !

Oui mon Victor...

Dites-donc, qui est-ce qui vous a recruté vous ?

Personne mon génér...personne...

Comment ça personne ? C'est quoi votre matricule !

Je n'en ai pas... 

Comment ça vous n'en avez pas ? Tout le monde à un matricule à l'armée...

Non, pas moi, je suis un civil

Un civil ? Je ne comprends pas...

Je me promenais par là, j'ai vu la bataille, j'ai ramassé un uniforme qui traînait et je suis venu voir ce qui se passait...

(le général manque s'évanouir)

Et qu'est-ce que vous faites dans le civil ?

Je travaille dans une pharmacie.

Vous avez une bonne retraite là-dedans ?

Pas trop mal, mais moins bonne que dans l'armée

Vous avez une aspirine sur vous

Oui Victor, tenez...

Merci...C'est quoi votre petit nom ?

Albert...

Merci Albert...

Ah, voilà l'ennemi, ce n'est pas trop tôt... Baissez les bras Albert, ils ont compris qu'on se rendait...

Tiens, ce sont des Suisses...

On se battait contre des suisses ? Première nouvelle, l'état-major ne m' a pas tenu au courant. Je vais leur dire deux mots , si j'avais su que c'étaient des suisses, je n'aurai jamais pris la tête des opérations...

Vous avez raison, se battre contre un pays neutre, c'est une honte !

C'est une drôle d'époque Albert, vivement la retraite tiens !