La tristesse de ton sourire

riri

Elle est là. Encore. Elle ne part pas. Où que j'aille, elle me suit. Je sens son poids alourdir mon corps, mon esprit et mon coeur.

Elle ne partira pas.

« Pourquoi moi ? »

Cette question qui demeurera sans réponse : jusqu'à la toute fin.

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Elle est là. Encore. Elle ne part pas. Où que j'aille, elle me suit. Je sens son poids alourdir mon corps, mon esprit et mon coeur.

Elle ne partira pas.

« Pourquoi moi ? »

Cette question qui demeurera sans réponse : jusqu'à la toute fin.

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La neige commençait à tomber, recouvrant de ses fragiles flocons les fleurs mortes, depuis un moment déjà. Elle couvrit la grande vallée, verdoyante en d’autres saisons, avec une lenteur et une douceur féerique. L’euphorie enivrait une à une les parties de mon corps lorsque je commençai à courir dans la maison afin de voir la personne qui faisait battre mon cœur au rythme d’une musique sauvage et douce à la fois. Le son de mes pas résonnait à travers le long corridor perdant de son intensité en se frappant contre les murs. Je savais qu’il m’avait entendu. Il devait être assis sur le lit, en train d’enfiler ses éternelles pantoufles aux couleurs défraîchies qui auraient dû être jetées depuis belle lurette. J’ouvris la porte et le vis. Lorsque mes yeux croisèrent les siens ;  le temps sembla avoir suspendu sa course. Son parfum légèrement vanillé vint chatouiller mon sens olfactif. L’odeur familière déclencha une vague de bien-être en moi. Dans une lenteur matinale, il se leva et s’approcha de ma personne. Les bras ouverts, il m’enveloppa dans une étreinte chaleureuse. Cette chaleur, sa chaleur, elle qui avait toujours eu pour effet de me détendre immédiatement…  Pourrais-je un jour arriver à m’en priver ?

 

D’être nichée au cœur de bras protecteurs, amoureux et joueurs à ses heures ; de ressentir l’intensité qui se dégageait de ce contact, seuls quelques chanceux pouvaient en profiter. Groupe de personnes dont je faisais fièrement partie depuis des années. Je levai ma tête afin de le saluer amoureusement. Alors que je tendis mes lèvres vers les siennes, je pus voir les traits d’un sourire se dessiner. Pur bonheur.  Cependant, lorsqu’il glissât ses mains sur mes hanches : je sus que ce doux baiser cachait un motif plus sournois ! À peine avais-je eu le temps d’ouvrir les yeux que ce petit diable me prît d’assaut par une violente attaque de chatouillis. Les yeux pétillants de malice et les miens de larmes forcés par mes rires, je pus voir toute la satisfaction qu’il tirait de ce petit jeu. Au prix de plusieurs efforts, je réussis à me dégager de son emprise et empoignai une arme beaucoup plus digne de mon rang ! Il rit à gorge déployé à la vue de mon, certes faible, armement. Prends garde cher époux, peu importe la taille de mon équipement puisque je sais où viser ! Je lui sautai au visage afin de lui asséner un puissant coup à la tête. Il fut déstabilisé quelques secondes, puis tomba au sol. Je rigolai de sa piètre prestation et lui donnai un léger coup de pied sur le sien. Mais il ne réagit pas. Avais-je frappé trop fort ? Le choc de la chute lui avait-il fait perdre conscience ? Inquiète, je déposai l’arme du crime près de lui et me mis à le secouer tel un vulgaire pommier. Je l’appelai plusieurs fois. Je sentis ma gorge se nouer, mon cœur accélérer son mouvement. Pourquoi ne bougeait-il donc pas ? Prise de panique, je me levai afin de téléphoner les secours. À peine redressée, je sentis une main s’emparer de mon pied, provoquant une semi-chute. Un genou et les mains au sol, je me retournai. Il me dévisagea, un sourire béat aux lèvres ! Ce mufle se mit à me tirer vers lui afin de me redonner la monnaie de ma pièce. Rageuse, je lui envoyai un coup direct dans les côtes et, alors qu’il avait le souffle court, je lui arrachai l’oreiller des mains et l’envoyai valser à l’autre bout de la pièce : à défaut de pouvoir le faire avec cet acteur à deux sous qui, lui, se contenta d’éclater de rire. Vexée, je lui lâchai la raison de ma venue – soit le petit-déjeuner – et quittai la pièce.

 

« Qu’il reste seul à se gratter la tête, ce crétin » pensais-je.

 

Une fois à la cuisine, je défoulai ma rage sur de pauvres œufs – déjà bien mélangés – puis mis un poêlon à chauffer. Lorsque je versai le mélange jaunâtre sur la surface chaude, je me mis à réfléchir en observant distraitement l’omelette-en-devenir. Même s’il m’avait effrayée l’espace d’une minute, il ne méritait tout de même pas la prison. Il avait simplement voulu s’amuser… et récupérer l’assassin polochon. J’oubliai donc ma colère et commençai à chantonner l’air qui jouait à la radio. Piètre chanteuse depuis ma naissance, et bien consciente de cela, je ne m’empêchai jamais de m’adonner à cette activité qui m’avait toujours procuré un grand plaisir… au grand malheur de mon chéri. Au souvenir de ses mimiques d’homme souhaitant la corde sous mes notes auditivement mortelles, je le vis arriver. Fraîchement rasé, habillé d’un pantalon sombre et une chemise à demi ouverte, il s’assit à table. Ouvrant à moitié son journal, je ne pus que m’extasier devant son charme. Je souris face à cela. Après dix années de vie commune, j’arrivais encore à me surprendre à le trouver beau. Je ne manquai pas de remercier le ciel de l’avoir mis sur ma route… Bien sûr, comme la plupart des couples, nos débuts avaient eu leur part « cauchemardesque » et il avait, à de nombreuses reprises, sauvé la mise : que ce soit sur le plan familial comme financier. Nous avions eu notre part de problèmes également, et certains nous avaient conduits aux menaces de rupture. Mais à l’idée de se séparer, nous ne trouvions plus le sommeil. La douleur causée par la simple pensée de se quitter nous était intolérable. Nous nous retrouvions donc le lendemain, les yeux rougis et le cœur gros. Nous ne pouvions nous séparer ; c’était une évidence. Puis, grand nombre de jours heureux avaient passés. Les problèmes se faisaient plus petits, voire presque inexistants. Nous étions heureux. Et c’est sous cette harmonie que la semaine dernière, nous nous mîmes à parler du futur. Les paiements de la maison, nos boulots, puis : un enfant. Sous le choc, je ne lui avais pas répondu. Et je ne l’avais toujours pas fait. Non pas par manque de désir ! Mais de tout quitter, de commencer ce qui était – à mes yeux, du moins – une nouvelle vie, était une idée un peu effrayante. De plus, j’étais terrifiée de mettre au monde ce petit être au prix de ma propre vie, tel que ce fût le cas pour ma mère… Je savais qu’il attendait une réponse, mais je refusais toujours de la lui donner. Je devrais le faire, un jour ou l’autre, mais aujourd’hui ; je ne savais pas si j’en avais envie. Je pensais que lorsque le bon moment se présenterait ; je le saurais.

 

Je terminai de cuire le repas et préparai les assiettes alors que mon époux dressait la table ; délaissant sa bible journalistique un instant. Une si simple routine pour laquelle nous remerciâmes les cieux, tous les jours. Nous étions samedi et, fidèles à nos habitudes, nous irions dans une petite maison d’été, loin de tout, près d’un lac. Lorsque nous étions là-bas, nous oubliions tout ; même l’heure. Ce petit moment de paix et de solitude était grandement apprécié en ces temps où le stress avait une place d’honneur dans notre quotidien : ne serait-ce que par la faute du travail. Nous prîmes le temps de manger, nous racontant les anecdotes de notre semaine respective, mêlant le tout avec une touche d’humour ou d’ironie. Bienheureux, nous nous levâmes afin de ranger le tout et préparer notre départ. Sous cette faible neige, nous devions nous montrer prudents sur la route. Il ne fallait pas un manteau très épais pour avoir un accident. Neige traîtresse, si belle et si dangereuse. Je me souvins avoir tenu ces propos à mon aimé… il s'était alors contenté de me répondre d’un ton philosophique que la neige n’était ni plus ni moins des pétales de roses célestes. Je me souvins en avoir ri et je l’avais bien taquiné à ce sujet. Mais en y réfléchissant bien ; un lien était bien réel entre ces deux beautés naturelles… Ne serait-ce que par la beauté imagé de pétales, aux diverses couleurs, de roses tombant du ciel. Nous verrouillâmes tout et nous commençâmes à charger la voiture. Une guerre éclata déjà afin de savoir qui allait conduire, chacun y allant de son argument ; tantôt macho, tantôt mathématique. Nous savons fort bien que le résultat des courses serait le même qu’à l’accoutumée. Pierre, papier, ciseau. Encore et toujours… Et pour une raison qui m’échappait, le gagnant était, majoritairement, mon cher et tendre. C’était à croire qu’il trichât. Enfin, même s’il le faisait réellement, ça me laissait indifférente. Ça me donnait l’occasion d’observer les magnifiques paysages, en plus de celle de rire de lui si jamais il se perdait… et il le faisait souvent ! Après avoir vu le décor familier défiler sous mes yeux, je portai un regard absent sur l’homme de ma vie. Au rythme d’une chanson inconnue, je dessinai le futur à ses côtés. Je le vis en train de peindre les murs de la chambre de notre futur enfant ou alors, en train d’apprendre les rimes enfantines d’une comptine ; je ne pus retenir un sourire en l’imaginant avec un bébé… notre bébé dans ses bras. Je savais la réponse que je voulais lui donner, mais cette peur revint me hanter. Si je la laissais prendre le contrôle de ma vie, je ne serais jamais capable de voir la beauté de notre petit s’émerveillant devant toutes les choses existantes sur cette petite Terre. Je devais cesser de m’effrayer.  Je devais avancer ! Décidée, je le regardai, pris une profonde inspiration, puis...

 

Rien.

 

Comment pouvais-je rester muette ?

 

« Idiote ! Allez, un peu de nerf ! Vas-y ! » pensais-je.

 

Non, toujours rien.

 

Je commençai à rager et ma tendre moitié dut s’en rendre compte, car il tourna sa tête vers moi et me demanda si tout allait bien. Le regard luisant de détermination, je lui dis les mots qu’il souhaitait entendre depuis des lunes. Sous le coup de l’émotion, il freina : à ma grande surprise ! Voilà une des raisons pour laquelle il était important d’annoncer ce genre de nouvelle sur une petite route de campagne et non sur l’autoroute ; le risque d’accident était beaucoup moins élevé. Il me demanda de répéter, il ne semblait comprendre pourquoi je lui avais annoncé cela comme si je venais de lui dire que la pluie tombait du ciel. Il y avait donc une façon de dire que l’on voulait un enfant ? La simple nouvelle ne suffisait pas ? Je lui répondis alors, moqueuse, que je pouvais tout aussi bien revenir sur ma décision. Il sursauta et me supplia presque de ne pas le faire. Je ne pus m’empêcher d’éclater de rires, et fus bientôt accompagnée par l’homme de ma vie dans l’expression de mon amusement. Tout en continuant notre route, il n’avait de cesse de dire qu’il allait m’impressionner face à ses grands talents de papa et que notre enfant serait connue pour ses talents – lesquels il aurait hérité, en grande partie, de son père – et jouirait d’un grand succès. Doué en sport, et pour qui les études seraient trop faciles. Je levai un sourcil à ses paroles, à l’entendre parler, notre enfant serait, à coup sûr, un garçon ! Bien que cela ne me dérangeasse point, je lui soulignai quand même le fait que l’enfant pouvait être une fille. Il me dévisagea longuement. Et sa réponse se grava à jamais dans ma mémoire.

 

« Mais je l’espère bien ! »

 

Alors… la folie des sports, de l’école, du si glorieux avenir… il l’avait associé à une fille ? Décidément, il ne changerait jamais ! Mais peu importait le sexe du bébé, il serait le fruit de notre amour et ce serait une décision qui jamais ne serait remise en question ou détestée. Je poussai un petit cri d’excitation lorsque je vis poindre le haut d’une des petites tourelles de la maison d’été au travers de l’imposante forêt. Enfin. Imposante… c’était un sujet qui était toujours en cours de discussion. J’avais pour mon dire qu’une cinquantaine d’arbres représentait une forêt, mais pour mon chéri, c’était désertique. Qu’est-ce qu'il ne faut pas entendre ! C’était toujours bien plus qu’en ville, donc de ce point de vue, c’était bel et bien une forêt. Mais à franchement parler… Je savais qu’il avait raison,  mais tout prétexte était bon pour le voir se démener comme un diable dans l’eau bénite. À peine descendu de la voiture, mon tendre me kidnappa sans remords et m’amena dans la chambre. À croire qu’il y avait pensé pendant tout le trajet, et encore plus, suite à ma nouvelle. Les deux jours passèrent à une vitesse phénoménale, en même temps, on ne pouvait espérer que les jours s’éternisent lorsque l’on faisait une activité des plus intéressantes, relaxantes et amusantes ! Pour le citer : « Le temps passe vite lorsqu’on s’amuse ! » et il avait parfaitement raison.

 

Au fil des saisons, par intervalles réguliers, nous peignions les fins traits de notre avenir. Au départ, nous n’utilisions que des couleurs vives que nous tracions d’un trait continu qui semblait sans fin. Mais plus le temps passait, plus les lignes se brisèrent et étaient inégales. Les couleurs flamboyantes devenaient de plus en plus sombres. Ce qui devait s’annoncer comme une ouverture sur un avenir paisible devint une véritable descente à l’Enfer et ses souffrances… L’espoir qui guidait notre chef d’œuvre s’amenuisait telle une chandelle fondant sous une flamme bienveillante : cédant sa place à la déception, puis au désespoir et, enfin, au tourment. À chaque infime retard, j’espérais voir ces deux petites lignes roses, celles qui feraient en sorte que mon avenir allait changer, mais les deux jumelles étaient toujours absentes. Une année était passée, emportant avec elle ma bonne humeur et ma patience. Par contre, elle avait amené avec elle beaucoup de frustration, de jalousie et de convoitise. À croire que tout le monde autour de moi pouvait avoir ce que je désirais plus que tout ! Après le, probable, cinquantième test de grossesse infructueux, je téléphonai à mon père, le cœur brisé, hurlant à m’en fendre l’âme que le monde était injuste et que je ne comprenais pas ce que j’avais pu faire pour que le destin s’amuse à me tendre de faux espoirs. Ce marionnettiste sadique qui se régalait des larmes de ses pantins ! Encore une fois, il me dit d’être patiente ne sachant pas quoi me répondre d’autre et souhaitant que ma mère soit là afin de me rassurer…

 

Dès lors, je devins enragée comme jamais, je défoulai toute ma rage et ma rancœur contre mon pauvre père qui ne dit pas un mot… réalisant soudainement le triste spectacle que j’offrais, je m’excusai et lui dit que j’allais me coucher. Avant de me laisser partir, il me suggéra d’aller à l’hôpital pour le prochain test que je voudrais faire. Ceux des pharmacies étant ce qu’ils sont et donc ne sont pas toujours des plus fiables – dû au fait que l’hormone de grossesse peut être très faible dans l’urine. Après son conseil, je raccrochai et montai rejoindre mon chéri, allongé dans notre grand lit à la literie blanche ornée de fines broderies. Découragée, je m’étendis près de l’homme de ma vie et je lui demandai de me prendre dans ses bras… j’avais tant besoin de sentir cette chaleur qui me réconfortait alors que le sommeil m’emmenait sur les ailes d’un rêve inconnu. Sur les routes menant vers différents mondes imaginaires, je pris celui qui me guida vers une fillette. Elle me tendit un énorme bouquet de fleurs, et me sourit tendrement. Elle avait des cheveux aussi longs que les miens, et les yeux de la couleur de mon époux. Elle respirait la joie de vivre. Elle courut jusqu’à une vieille balançoire accrochée à la branche d’un immense arbre. Elle rit tout en demandant à sa maman de venir l’aider à toucher le ciel. Je me retournai pour voir à qui elle parlait ainsi. Je l’entendis rire plus fort, je compris alors que j’étais la mère qu’elle réclamait ! Soudain, une brise emporta avec elle tous les bruits communs à la nature. Il n’y avait plus qu’elle et moi… Un sentiment désagréable m’envahit, une impression malsaine, tous mes sens étaient en alertes. Une peur viscérale me submergea, je devais partir : je devais m’enfuir !

 

J’ouvris les yeux, prise de panique, et courus en direction de la salle de bain où je restituai tout le repas de la veille dans la cuvette. Entre deux hoquets, je pris une profonde inspiration et toussai afin de reprendre mon souffle ; les poumons me brûlaient, j’avais l’impression que mon corps était un brasier intense. J’entendis les planches craquer derrière moi, je me doutais bien qu’il était là. Probablement inquiet, comme à son habitude… je me retournai pour lui dire que j’allais bien, mais au lieu de voir son regard protecteur, les traits graves, je le vis tout sourire : comme si la situation l’amusait… Je lui dis alors d’un ton rauque tout le fond de ma pensée. Face à mes paroles véhémentes, il ne put s’empêcher de rire. Je compris alors ce à quoi il pensait…

 

Enceinte ?

 

J’étais enceinte ? Mais oui ! Tout s’éclairait enfin ; mes sautes d’humeur, ma fatigue, ma perte d’appétit, mes étourdissements, et là, mes vomissements ! Mon aimé vint me rejoindre sur le sol frais et m’enlaçai avec tout sa force. J’éclatai en sanglot, une année à attendre ces signes… et lorsqu’ils étaient, enfin, apparus, je n’avais pas su les reconnaître ! Comme mon père me l’avait suggéré la veille, je pris rendez-vous avec mon médecin afin de passer le test sanguin. Je m’emparai du téléphone lorsque huit heures sonna. La chance semblait être de mon côté, car une femme avait dû annuler le sien ; il pouvait donc me recevoir aujourd’hui ! J’annonçai donc la nouvelle à mon adoré qui fut aussi surpris que moi, mais qui vit cela, comme un bon présage. À l’heure convenue, nous montâmes en voiture et nous rendîmes à la clinique. Le médecin me demanda alors de décrire les symptômes que j’avais eus. Je lui expliquai donc et au vu du fait que nous désirions avoir un bébé, il s’allia à notre joie et nous dit que les signes étaient de bons présages. Il me fit donc une prise de sang et nous donna congé. Dans deux semaines, au plus tard, nous aurions les résultats. Dès lors, nous avions tout fait pour nous changer les idées. Heureusement, notre travail était plus que le bienvenu dans cette attente qui était assez difficile sur les nerfs, il fallait l’avouer. Une semaine était passée depuis la visite chez le médecin. En passant l’aspirateur, je m’arrêtai devant la chambre de notre enfant… nous étions loin de penser que ça prendrait tout une année avant d’avoir un résultat positif. Nous avions déjà acheté la base : un berceau, la literie, quelques pyjamas et des peluches. Maintenant que nous en avions eu la « confirmation », nous étions allés chercher des couches, des grenouillères, un moïse et d’autres peluches… Oui, car un enfant n’avait jamais assez de toutous ! Il en perdrait la moitié, le quart deviendrait des patients sur le bloc opératoire, et le restant tenteront de survivre sur une tablette trop haute pour les mains de son bourreau. Je ne cessais de penser à ce petit être dont je ne savais rien. Cependant, depuis que je savais qu’il était là, je marchais plus tranquillement, plus légèrement, je lui parlais, je ne sautais plus, j’étais calme et posée ; comme si un voile de douceur m’avait enveloppée. Mon cher ne cessait de me taquiner en me disant que si je n’arrêtais pas de couver le fœtus, je n’accoucherais pas d’un bébé, mais d’un œuf !

 

Crétin.

 

Il n’avait pas à parler de toute façon. Si je l’écoutais, je serais en fauteuil roulant entourée de papier bulle à l’heure actuelle ! Encore que ça pourrait être amusant… Je posai mon regard sur la literie, j’avais encore du mal à réaliser qu’il allait y avoir un bébé entouré par cette petite couverture, juste d’y penser, je devins « toute chose »… Qu’est-ce que ce serait lorsqu’il serait bel et bien là ? J’allais bien en pleurer des litres ! Et je croyais que cet aspect ne faisait pas que me toucher personnellement. Pour sa part, je pensais que mon compagnon avait sauté un câble. Dernièrement, il traînait toujours dans les magasins à la recherche des jouets pour éveiller les sens de l’enfant – donc tous plus bruyants et lumineux les uns que les autres –  ou alors à apprendre des chansons. J’avais dû entendre « La souris verte » vingt fois aujourd’hui, et je ne préférais même pas penser à ce que ça serait demain…

 

« Une souris verte qui courait dans l’herbe ! Je l’attrape par la queue, je la montre à ces messieurs. Ces messieurs me disent : « Trempez-la dans l’huile. Trempez-la dans l’eau, ça fera un escargot tout chaud ! » l’entendis-je chanter.

 

Quand on y pensait, c’était dégoûtant comme chanson ! Les « messieurs » qu’elle avait été voir étaient de vrais sadiques. Moi, de trouver une souris verte, je la mettrais en vente sur eBay pour un prix d’or ! Souriant à cette pensée, je mis ma main sur mon ventre. L’air absent. Depuis que l’on savait que l’alien –  surnom affectueusement donné par notre entourage – serait dans notre vie, nous dormions mieux la nuit, nous parlions doucement, comme si le fait de parler trop fort allait le faire fuir. Son père passait des heures à lui parler… ça serait joli neuf mois comme ça… et dire que c’était de peine et misère que je pouvais avoir dix secondes de son attention ! Alien était là depuis une semaine et c’était lui qui récoltait les fleurs des graines que j’avais semées pendant des années. Il n’y avait pas de justice ! Tant qu’à être sur le compte de l’injustice… La grossesse était bien mal pensée ! J’avais des migraines atroces du matin au soir et je ne pouvais pas prendre d’aspirine, parce que ça pouvait provoquer une fausse couche ! Ils avaient découvert une pilule pour que les personnes âgées découvrent l’ivresse du nirvana au lit, mais pas un anti-migraine pour les femmes enceintes... Mon père m’avait dit un jour qu’un bébé était une bombe à retardement, un seul faux pas et boum, tout explose ! En même temps, le corps devait le percevoir comme un intrus, peut-être que nous n’étions pas fait pour nous reproduire et qu’en fait, un bébé n’était qu’une anomalie.

 

Je me secouai la tête vivement. Les belles réflexions que voilà !

 

 

 

Ce devait être de la faute à cette saloperie de chanson de « La souris verte ! » Voilà où les comptines débiles menaient !

 

« Il va voir ce qu’il va prendre ! » pensais-je

 

 

J’empoignai le livre de chansons pour enfant et un oreiller. À la guerre comme à la guerre !

 

 

Une semaine plus tard.

 

Le grand jour arriva enfin.  La veille, tout le monde avait été prévenu de ne surtout pas téléphoner, et s’ils osaient le faire, ils se feraient raccrocher la ligne au nez. Vers treize heures, il sonna enfin ! Je courus répondre, mais le téléphone… n’était plus sur son bloc d’alimentation ! Je l’avais pourtant mis là… Où était-il passé ? J’entendis la mélodie se répéter sans cesse sans trouver le musicien en question ! Je le retrouvai enfin dans les mains de mon chéri qui s’empressa de répondre. Je vis le visage de mon bel amour passer du tout au tout. Avant de décrocher, il était resplendissant, on aurait dit qu’il avait halo de lumière incrusté au visage, mais cette lumière avait disparu… Je ne comprenais pas ce qui se passait, il me tourna le dos et changea de pièce, j’en conclus donc que ce n’était pas le médecin. J’en fus immédiatement soulagée, mais j’étais curieuse de savoir à qui parlait mon loup… surtout que nous avions promis un châtiment exemplaire face aux imprudents qui oseraient le faire. Peut-être était-ce sa famille ? Sa mère nous avait dit ne pas se sentir bien depuis quelque temps. Peut-être était-elle malade ? Cela expliquerait la mine renfrognée qu’il affichait. Poussée par la curiosité, j’allai le rejoindre. Il me faisait dos, le téléphone était posé sur le bureau… il dégageait une telle énergie de tristesse… elle en était presque palpable.

 

« C’était ta mère ? Elle est malade ? » demandais-je.

 

Je l’entendis renifler. Était-ce donc si grave que ça ? Je le pressai de me répondre, l’inquiétude ayant gagné mon cœur avec une intensité incalculable. Comme unique réponse, il se retourna, me prit dans ses bras et se mit à pleurer de toute son âme. Je sentis ses larmes chaudes glisser sur mon cou et terminer leurs courses sur le col de mon chemisier. Sa peine me poignardait le cœur, si bien que mes larmes s’unirent aux siennes. D’un faible filet de voix, je lui demandai ce qui se passait ; il devait me le dire pour que je puisse l’aider… Ma demande provoqua alors une crise encore plus forte, il glissa au sol, m’entraînant avec lui : ne cessant de me dire qu’il m’aimait. Il s’accrochait à mes vêtements comme à une bouée de sauvetage, seule capable de le sauver de la noyade. Je caressais ses cheveux en silence, le laissant assouvir sa peine, le plus important était de ne pas le brusquer… Le téléphone sonna de nouveau, je m’apprêtai à me lever pour décrocher, espérant enfin avoir une réponse à notre attente, mais je n’en eus pas le temps. Les larmes avaient été remplacées par la rage de mon aimé qui lança l’appareil contre le mur. Quelque chose en lui, à ce moment, s’était brisé, je pouvais le sentir… Tous objets qui avaient eu le malheur de se trouver sous sa main, avaient appris les rudiments du vol et du crash. Je tentai de le calmer, le suppliant de me dire ce qui se passait ; que de tout détruire ne réglerait rien, que j’étais là pour lui, que je l’aimais… À cette déclaration, il stoppa net son geste, laissant tomber le bibelot qu’il tenait dans sa main. Il plongea un regard torturé par la colère et la tristesse dans le mien. Il me prit de nouveau dans ses bras protecteurs et me souffla à l’oreille la cause de son tourment, puis éclata de nouveau en sanglot. Les soubresauts de son corps firent vibrer le mien, mais je ne l’accompagnai pas dans sa peine… J’étais sous le choc, j’entendais à l’infini le mot qui me hanterait à jamais.

« Cancer »

Non ! Je ne pouvais pas ! Ça ne se pouvait pas ! Comment je pouvais avoir, ça ! Je ressentis le besoin urgent de prendre l’air. Je devais partir, je devais… je devais !  Je me dégageai de ses bras et courus à l’extérieur. J’entendis mon aimé crier mon nom. Ses pas rattrapèrent rapidement les miens. Je voulais partir, je voulais retourner à la petite maison d’été, au tout début, faire comme si rien ne s’était passé. Retourner à ce temps où je me demandais commencer annoncer à mon chéri que je voulais un enfant, son enfant. Je ne voulais pas retourner dans l’autre maison dans laquelle j’avais entendu ce qui ne pouvait être autre chose qu’un mensonge ! Je ne voulais pas revoir la pièce détruite par la rage de mon tendre. Je ne voulais pas ! Il se rapprochait de moi, j’accélérai donc ma course avec comme seul et unique but de retourner là tout avait commencé. Retrouver ces deux soirées de folie où les baisers s’étaient perdus et où la passion avait intensifié notre flamme. Mon cœur se resserra, un nœud se forma dans ma gorge, les larmes voilaient ma vue, je sentis tous mes rêves, mes espoirs, ma vie entière se briser. Je revis mon tendre parler à « l’alien » qui n’était en fait qu’un estomac vide… Puis, ce fut le souvenir de ma main caressant cet être virtuel lui chantant mon amour et lui racontant des histoires. Mon amour me rattrapa et m’empoigna solidement, interrompant ma course. Je ne voulais pas qu’il me ramène, je me débattis alors avec toute l’énergie qui me restait. Celle du désespoir. Je lui criai de me lâcher ! Soudain, comme pour adoucir nos peines, le ciel fit tomber des pétales d’eau sur nous. Il me demanda de le suivre, que nous allions retourner à la maison pour discuter de cela. Le médecin n’avait pas été formel, il avait simplement dit qu’il avait vu des cellules cancéreuses, ce n’était peut-être que bénin, il n’y avait peut-être pas à s’affoler. Je lui ris au nez. Grand Dieu ! Si cela n’avait été que mineur, jamais il n’aurait détruit le bureau. Jamais il n’aurait tant pleuré. Jamais il ne me l’aurait annoncé ! Qui était donc cet homme qui se dressait devant moi ? Quel était donc ce menteur qui m’était inconnu ? Je lui hurlai que je ne le croyais pas, que je refusais de le croire et ne manquai pas de le traiter de fabulateur. Il devint alors encore plus triste, les larmes roulaient sur son visage. Il me captura dans ses bras jusqu’à ce je réalise la véridicité de ses dires. Nous restâmes donc ainsi sous la pluie, le cœur déchiré, ne sachant plus à quel Saint se vouer.

Nous ne retournâmes à la maison que le soir venu. J’appris que j’avais rendez-vous avec mon médecin le jour suivant, puisque je représentais un cas prioritaire. Mais, bien évidemment, il n’y avait pas de quoi s’inquiéter, hein. Nous ne dormîmes pas cette nuit-là ni ne parlâmes. Qu’aurions-nous pu nous dire ? Qu’aurions-nous pu faire pour oublier ? Comment aurions-nous pu penser à autre chose que, ça ? Je me demandai alors ce que j’avais bien pu faire pour m’attirer ce truc sur moi. Quel choix de ma vie m’avait conduite à hériter de cette plaie ? Je ne comprenais pas… Je glissai mon regard vers le dos de mon époux. Dormait-il ? Je l’avais accusé de tant de mal et n’avais pu voir qu’une éclipse de ce qu’il ressentait… serait-ce mal de lui demander ?

« Chéri… est-ce que je vais mourir ? » murmurais-je.

Je le vis se retourner lentement, les yeux clos, et il me prit dans ses bras ; nichant sa tête au creux de mon cou. Il me serrait si fort. Avait-il peur, lui aussi ? Pourquoi ne me parlait-il pas ? Parle-moi, amour. Dis-moi ce que tu veux ! Parle-moi de ça ou de ta voiture, mais parle-moi, je t’en prie… dis quelque chose. Je me sens si seule… j’ai si peur.

Aide-moi, je t’en supplie !

Je sentis des larmes rouler sur mes joues. Elles s’écrasèrent l’une après l’autre, inexorablement, sur ma taie d’oreiller. Je déglutis difficilement. J’étais effrayée, pour la première fois de ma vie, de l’avenir. Je me lovai contre lui, au point où j’aurais souhaité pouvoir m’unir à son corps et il répondit à mon geste en me resserrant si fort contre lui. Je l’aimais tellement, je ne voulais pas croire qu’un jour rapproché, je ne pourrais plus le lui dire. Le sommeil finit par nous trouver et nous emporta dans un lieu magique, loin de toute souffrance. Un monde enchanteur où seuls les rires et l’amour animaient les êtres vivants. Cependant, ce bonheur s’estompa vite et tous se poussèrent afin de faire place à une petite fille. Cette fillette ! Je la reconnus immédiatement. Elle m’adressa un sourire aux allures de rictus malsain et me tendit une fleur.  Elle prononça une phrase qui accompagna mon réveil solitaire. Je ne pus m’empêcher de pleurer de nouveau, avec la voix mélodieusement haineuse de la bambine hantant mes pensées…

« Maman, tu vas mourir. »

Recroquevillée sur moi-même, ma tendre moitié arriva. Il m’enlaça de nouveau et me poussa à me lever. Le rendez-vous était dans deux heures, je devais me préparer et tenter de manger un peu. Ce que je fis. Arrivés au bureau du médecin, nous ne voulions qu’une seule réponse à la question qui nous hantait.

« Est-ce mortel ? »

Nous le vîmes arriver, mais nous ne trouvâmes nullement le courage de lui demander. Je me prêtai à ses examens et nous attendîmes sur une chaise rembourrée de la salle d’attente les résultats d’analyse. Nous savions qu’il faudrait quelques heures pour les obtenir, mais nous ne trouvions pas la force de quitter cet endroit. Nous attendîmes, encore et encore, sursautant à chaque fois que sa porte s’ouvrait et que nous voyions sa tête passer dans l’encadrement. Lorsqu’il prononça enfin mon nom, nous nous levâmes tel des automates et nous rendîmes à son bureau. Il quitta la pièce afin d’aller chercher je ne sais quoi. Pendant ce temps, nous étudiâmes les affiches accrochées au mur. Je commençai à trouver le temps long, s’il ne venait pas immédiatement, il aurait sur les bras une cancéreuse experte en reconnaissance des parties génitales, autant masculines que féminines. Nous nous levâmes dès que nous eûmes entendu le cliquètement de la porte.

« Je vous conseille de vous asseoir. » dit-il, l’air soucieux.

Soudainement, je ressentis le besoin de partir. Je ne voulais entendre son diagnostique. Je ne le désirais plus. Je tournai mon visage vers celui de mon homme. Lui, regardait fixement le docteur… Ne voulait-il pas venir avec moi ? Voulait-il avoir la confirmation de ça, à ce point ? Peut-être gardait-il l’espoir fou que je n’avais rien ? Je pris une profonde inspiration lorsque je vis les lèvres du spécialiste s’ouvrirent.

 « Je vous en supplie… » pensais-je.

J’étais nerveuse. Je soudai mes mains ensemble, adressant mille prières au Saint-Père.

« S’il-vous-plait… s’il-vous-plaît ! »

 « Je suis désolé. Nos analyses étaient exactes. Vous avez bien un « Cancer du cerveau », comme on l’appelle dans le langage courant. Il s’agit de cellules cancérigènes qui ont voyagé dans votre sang, créant ainsi des métastases… qui sont, elles-mêmes, de nouvelles tumeurs. Il serait risqué de vous opérer sans endommager votre cerveau, et malheureusement, même si nous pouvons en retirer… certaines restent inopérables… »

Je ne l’écoutais plus, dès que les mots « cancer du cerveau » avaient été prononcés, je m’étais détachée de mon corps… j’étais à des kilomètres de là. Je me revis face à la petite fille aux longs cheveux qui demandait sa mère, au sentiment de peur qui m’avait envahie. La mort venait souvent sous l’aspect d’un désir, d’un souhait, de cette façon on ne s’en méfiait pas, on l’accueillait, les bras ouverts…

 « Maman, tu vas mourir. »

Une enveloppe vide maquillée de larmes… Voilà qui j’étais à cet instant. On m’avait donné le choix, risquer les opérations, la chimio, pour n’avoir que quelques misérables mois de plus ou ne rien faire et laisser le destin décider. Le destin… Le destin ! Quelle foutaise ! Je ne pus m’empêcher de rire de façon hystérique face à sa réplique.

« Même si je laisse cette pourriture décider, il a déjà tout tracé d’avance en laissant des mines impossibles à toucher sans y laisser ma peau ! Pourquoi me battre ? Je suis morte d’avance ! » dis-je sous un ton ironique.

Au vu de ma réponse glaciale, il ferma le dossier et me dit qu’il restait disponible si je changeais d’avis. Je ne l’en remerciai pas. Pourquoi l’aurais-je fait ? Je pris mon sac et pris la direction du stationnement. Je pris place du côté passager ; il n’y aurait pas dispute à savoir qui allait conduire, cette fois-ci. Mon époux s’installa derrière le volant et ne dit pas un mot du trajet. Moi, j’avais ma tête appuyée sur la fenêtre, maudissant les cieux de m’avoir mise au monde si c’était pour me faire crever de cette façon. Je fouillai rageusement dans la boîte à gants, cherchant un paquet de cigarettes. À quoi bon faire attention maintenant ? J’avais arrêté pour ne pas nuire au bébé, mais maintenant, tant pis si je claquais de la clope ou de n’importe quoi d’autre. J’eus l’horrible impression que l’on venait de me tatouer une date de péremption sur la nuque. Je me sentis idiote, incroyablement conne ! J’avais tout fait pour être en bonne santé. Je mangeais sainement, j’avais arrêté de fumer, je faisais du sport… toutes les conneries avec lesquelles on nous arrachait les tympans jour après jour ! Et tout ça pour quoi ? Pour un cancer.

Les semaines passèrent et je n’étais plus que l’ombre de moi-même. J’avais perdu le goût de tout, de tout le monde. Ils venaient me voir, les yeux rouges, la voix tremblante, et pleuraient comme des fontaines… Qu’est-ce qu’ils croyaient ? Que de les voir pleurer allait me guérir ? Que soudainement la vie deviendrait plus rose parce que, bon sang, grâce à tes larmes, mes tumeurs ont fichu le camp de peur de se noyer ? »

Bande de crétins.

Une seule personne, hormis moi, ne pleurait pas, et c’était lui. Jour après jour, il faisait comme si je n’avais rien. Il me souriait, me balançait des blagues foireuses qu’il avait lues dans un courriel. Il allait me chercher mes fleurs favorites : il faisait ce qu’il avait fait jour après jour, pendant des années, et ça, ça me faisait du bien. Je savais qu’il pleurait la nuit dans le salon, mais il avait le courage de ne pas le faire devant moi et je l’appréciais. Je ne voulais pas être une malade qui empêchait les autres de pleurer… Une peine devait se vivre, mais je ne voulais pas devenir leur peine. Qu’ils vivent la leur et une fois que ce serait terminé, qu’ils passent à autre chose… voilà ce que je voulais et lui, il avait compris sans même que je ne lui dise… C’étaient là des signes auxquels on reconnaissait notre âme-sœur. Le vrai. Pas ceux qui clamaient haut et fort qu’eux étaient unis à la vie à la mort. Les véritables âmes-sœurs n’avaient nul besoin de se le dire. Ils le savaient. Suite à notre visite, je passai d’autres examens. Mon médecin m’annonça alors que mon espérance de vie était de six mois. Une année, au mieux. Que faisait-on lorsque l’on savait quand nous allions mourir ? À l’époque, je pensais que je voudrais voyager, que je dirais tout ce que j’ai à dire à ceux que j’aimais, et à ceux que je n’aimais pas… mais il n’en était rien. Je passais la plupart de mes journées à déprimer, je n’avais envie de rien…

Je descendis à la cuisine afin de me prendre un yaourt. Je n’avais pas vraiment faim, mais j’avais promis à mon tendre de manger quelque chose. Je sortis de la chambre et passai devant une porte fermée. Je savais où elle menait. Je connaissais les secrets qu’elle renfermait. Sale pièce de cette maison ! Une bouffée de rage enflamma tout mon corps, je descendis chercher de grands sacs-poubelle, quelques cartons, puis remontai à toute vitesse. J’entrai dans la chambre, arracha les cadres, les rideaux, la literie, les pyjamas, les peluches. Les larmes se mêlèrent à ma hargne. J’ouvris la fenêtre à sa pleine grandeur et y jetai les poches bien remplie. La colère toujours présente, j’allai chercher un marteau dans le garage, puis revint à la chambre. Haletante, j’envoyai de puissants coups contre les meubles. Si je ne pouvais y mettre notre enfant, il n’y avait pas un « deux de pique » qui le ferait ! À bout de souffle, je regardai l’état de la chambre… Les murs dénudés, vides, et les meubles détruits à différentes échelles. Mais ça ne me faisait aucun bien de la voir dans cet état, au contraire. Je tombai sur mes genoux et pleurai comme jamais, hurlant d’incompréhension. Pourquoi m’avoir mise au monde si c’était pour me le faire quitter de cette façon ? Pourquoi n’avais-je pu goûter au plaisir de la maternité avant de m’éteindre ? Pourquoi devais-je mourir ? Pourquoi… moi ? Allongée sur le sol, pleurant de toute mon âme, une peluche attira mon attention. J’allongeai le bras afin de la prendre et l’enlaçai fortement. Elle semblait être le seul point d’attache qui me restait en cet instant et qui réchappa d’un triste sort. Le seul qui donnait encore le faible espoir d’un rêve passé.

J’ouvris les yeux. M’étais-je endormie ? Je regardai autour de moi ; je n’étais plus dans l’autre chambre. J’étais étendue dans notre lit, la peluche toujours dans mes bras. Était-ce mon tendre qui m’avait amenée ici à son retour du travail ? Je me levai silencieusement et me dirigea vers le désastre naturel, signé de mon nom, afin d’y jeter un coup d’œil. Mon époux était en train de balayer les débris sur le sol. Il avait sorti meubles qui ne ressemblait plus qu’à des épaves, pour certains. Je l’entendis pleurer. Un sentiment de culpabilité s’empara de moi, qu’est-ce que j’avais fait ? J’allai à notre chambre afin d’aller chercher la survivante et retournai auprès de mon tendre. Je me raclai la gorge, pour lui signaler ma présence. Il se retourna à peine. Cela me brisa le cœur sur l’instant. J’avais été beaucoup trop loin… je n’avais point assouvi ma colère et j’avais provoqué les larmes de celui dont j’avais juré faire le bonheur devant Dieu.

 « Je mets la maison en vente, visiblement, ce n’est pas sain pour toi de rester ici. » lâcha-t-il platement.

Je ne sourcillai pas. Je ne voulais plus le savoir triste dû à mes bêtises. Je ferais tout ce qu’il me demanderait, tout, si cela pouvait le faire sourire. J’hochai la tête et entourai son torse. Je collai ma tête sur son dos et mis le petit ourson dans ses mains.

« Amour, me détestes-tu ? » pensais-je.

Il fallut deux mois pour que la maison trouvât un acheteur. Nous nous étions installés dans la petite maison d’été que nous aimions tant. Il fallut s’adapter à ce changement, mais rien de négatif ne ressortait de ce déménagement. L’air de la campagne était si vivifiant et il nous faisait le plus grand bien. Après avoir vidé la dernière boite, nous sortîmes faire un feu de camp. Avec toutes les nouvelles des derniers temps, j’avais oublié à quel point c’était relaxant ; ce silence ponctué des crépitements des flammes qui léchaient le bois. Si plaisant. Il ne manquait plus que du champagne et des fraises rouges bien sucrées. Probablement dû à l’air paisible sur mon visage, mon homme rentra chercher une petite douillette, ainsi que sa guitare ! Je lui adressai un sourire à la vue de l’instrument. Ce moment était digne du plus grand cliché « nian-nian » jamais vu sur Terre. Ses traits s’adoucirent et il me répondit d’un magnifique sourire, si tendre, si doux… si lui. Je lui demandai alors ce qu’il comptait faire avec ça. D’un air convaincu, il me répondit :

« De la musique. Que veux-tu que je fasse d’autre avec « ça » ? »

Crétin.

Enfin, tant qu’il ne chantait pas cette satanée chanson de « La souris verte » ça devrait aller. À ce souvenir, une vague de tristesse balaya toute la joie qui m’habitait il y avait encore quelques secondes. Si j’avais eu le luxe de choisir, j’aurais pris grand plaisir à entendre cette chanson à l’infini. Je sentis les larmes humidifier mon visage…

Pleurer.

On me disait que cela me ferait du bien. Je n’étais absolument pas d’accord ! Ça me donnait mal à la gorge, à la tête, les yeux me piquaient. C’était vraiment désagréable. À la vue de mes larmes, mon chéri me demanda ce qu’il se passait. Je ne savais quoi lui dire. Il y avait tant de choses… beaucoup trop. Tout ce que je pus lui répondre fut les faibles paroles de cette chanson enfantine. Il ne fit aucune remarque sur ma voix de crécelle rouillée, ce qui me surprit légèrement. Lui qui adorait me taquiner…  Il joua donc les premières notes de cette comptine et réinventa les paroles afin de me faire sourire, et peut-être même : rire.  Je levai mes yeux au ciel et je me rendis compte que, sans lui ; je me serais probablement pendue, suite à la découverte de ma maladie. Simplement pour me dire que j’aurais eu le contrôle sur ma mort, et que ce n’était pas une cinglée à couette qui venait emmerder les gens pendant leur sommeil qui l’aurait décidée ! Bon, je disais ça, mais je savais bien que c’était elle qui avait le dernier mot. Quand on y pensait, ça relevait de la folie. Elle décidait de qui devait vivre, comment elle le ferait. Quand l’heure de sa mort venait à sonner et la façon dont ça se ferait et tout ça, dès notre naissance. Je me demandai si elle accepterait de me donner son job ? Je ferais payer le prix lourd à tous ceux qui auraient eu le culot de venir à mon enterrement que pour danser sur ma tombe ! Ou bien, à d’autres, je leur donnerais autant de vie qu’à un chat ! D’ailleurs, pourquoi il n’y avait que ces bestioles qui pouvaient avoir neuf vies ? À croire que je n’avais pas fait la fellation à la bonne personne ! Beurk ! Je me dégoûtais moi-même ! Je regardai mon chéri, toujours sa guitare à la main. Il jouait à présent une vieille mélodie dont nous avions oublié les paroles depuis longtemps… je me demandai à quoi il pouvait bien penser ? J’avais eu un aperçu de ce que la nouvelle avait provoqué en lui, mais nous n’en avions jamais parlé. Le connaissant, il devait se ronger l’âme parce qu’il avait cédé et s’était montré faible alors qu’il voulait être fort. Mon tendre, si tu savais… c’est souvent dans la faiblesse que l’on découvre notre véritable force.

« Tu veux un chien ? » demandai-je soudainement.

Il eut un long moment de silence, il me dévisagea d’un air… difficile à déterminer. Ça oscillait entre l’étonnement, la tristesse et probablement un petit peu de « Bon-ça-y-est-elle-a-sauté-le-dernier-câble-qui-lui-restait-! » Je répétai donc ma question. Il répondit positivement à condition que ce soit lui qui le nomme ! Il déposa sa guitare, puis se mit à courir et à crier qu’il allait avoir un « P’tit chien-chien. » Je ne sus résister plus longtemps et je ris aux éclats ! Il était si ridicule… mais de rire ainsi, m’avait donné l’impression de revivre l’espace d’une seconde.

« T’avais-je déjà remercié pour cela, mon tendre ? »

La journée suivante, nous commencions la construction d’une petite niche. Rien de bien « luxueux », mais elle était solide ! Mon époux me suggéra de mettre une clôture autour de la maison au cas où le chien voudrait se sauver. Je le regardai, le plus sérieusement du monde, et lui répondis qu’il y avait d’un côté : un lac, alors déjà, s’il voulait se sauver par-là, il allait avoir le temps de mourir une ou deux fois avant de rejoindre l’autre côté. Puis de l'autre : il y avait une forêt et finalement, une petite route de campagne tout juste bonne à guider un automobiliste perdu ! Après m’avoir reprise sur le terme « forêt » il laissa tomber l’idée de la clôture. En y réfléchissant bien, même s’il n’avait pas eu tout cela, je m’y serais opposée… Pourquoi vouloir s’emprisonner sur son propre terrain ? Et puis une clôture, ce n'était pas ça qui empêcherait un animal déterminé de sortir. On pouvait dire ce qu’on voulait sur les animaux, ils avaient bien des défauts, mais pas celui de manquer de volonté ni de patience ! Au contraire des humains… Une fois la charmante demeure construite, nous montâmes en voiture pour aller chercher « Ze » bête ! J’en avais vu un magnifique sur un site de vente. Il avait un pelage blanc immaculé et des yeux bleu saphir, ce qui lui donnait un petit air terrifiant. Ces yeux si glaciaux, me donnaient froid dans le dos ! Heureusement que je m’étais informée et que je savais qu’ils étaient de bons animaux, sinon… je ne crois pas que j’aurais penché vers cette race en particulier. Nous arrivâmes enfin au domicile. Les chiots étaient tous différents, mais celui que je désirais se tenait sur ses pattes et nous fixait, l’air de dire : « Je vous attendais. »

Il avait un regard si poignant… mon tendre partagea immédiatement mon amour pour cette adorable créature. Nous nous empressâmes de l’acheter, puis sur le chemin du retour, nous nous disputâmes quant à son nom. Jack, Batiste, Fido, Médor… tout y passa, ce n’est qu’à l’entente du prénom « Yuki » qu’il aboya. Au final, il avait pris la décision lui-même et c’était aussi bien comme ça, sinon on y aurait passé des heures. Au fil des semaines, nous avions commencé à planter des arbres pour qu’aux yeux de Monsieur, cela devienne une véritable forêt. Ce n’était que de petits branchages, mais ils deviendraient majestueux, si on leur en laissait la chance ! Yuki, quant à lui, cherchait à nous aider en creusant des trous, peu profonds c’est vrai, mais ça nous donnait un point de départ. Nous ne regrettions, d’aucune façon, notre choix pour son adoption. Il avait appris les bases très facilement, il était joueur sans être fou, il apportait une chaleur dans la maison, et ça nous détendait. Il remplaçait – à sa façon –  l’enfant que nous n’aurions jamais. J’étais heureuse de le savoir près de mon chéri… Ainsi, il aurait quelqu’un, une motivation, pour l’empêcher de pleurer ma mort, il pourrait avancer au fil des semaines même si je n’étais plus là. Cela me rendait parfois folle d’y penser. Une journée nous étions là, nous parlions, rions, nous vivions et la suivante : c’était terminé. C’était si effrayant, angoissant. Je n’acceptais toujours pas l’idée de m’éteindre. Je ne le ferais probablement jamais. Je ne pouvais concevoir une fin à ma vie. J’avais peur de me réveiller et être aveugle. De perdre conscience de tout ce qui m’habitait en ce moment. J’avais peur de quitter tout ce pour quoi j’avais dû me battre. De réaliser, à mon dernier jour, que tout ce que j’avais fait, tout ce que j’avais vécu, serait oublié… Comme j’avais oublié ce qui avait construit mes ancêtres.

« Amour, te souviendras-tu de moi ? »

Je me couchai le soir et me demandai si j’allais me réveiller le lendemain. Cette peur constante de passer ma dernière journée sur Terre, sans le savoir, me hantait. J’avais peur de passer à côté de ma vie. Peur de réaliser, à mon dernier jour, que j’avais raté ma vie…

Peur de mourir seule : sans lui près de moi.

Peur de voir que de l’autre côté, il n’y avait rien. Que tout n’était que noirceur et terreur, comme lorsque je fermais les yeux pour dormir. J’avais souvent tenté de me rassurer en me disant que je partais, tous les soirs, vers l’inconnu lorsque je dormais… mais je savais que ce n’était pas la même chose. Je savais que j’allais ouvrir les yeux le lendemain. Je savais que j’allais voir mon chien endormi près de ma jambe, attendant que je lui parle pour pouvoir se lever à son tour. J’entendrais aussi mon mari qui ferait attention à ne pas faire trop de bruits afin de ne pas me réveiller. Je savais que j’allais me lever et regarder dehors afin d’y voir le même décor que la veille. Me rassurer ainsi que rien n’avait changé. Comme les autres jours, je savais que je sortirais de la chambre et lui donnerais un tendre baiser, pour ensuite m’installer près de lui… et j’oublierais ensuite ma frayeur. J’oublierais que j’eus si peur la veille. Je tiendrais mon esprit occupé, pour ne pas y penser. Car je ne voulais pas y penser. Je ne voulais pas me souvenir que tout ce que j’avais fait, dans dix, vingt ou trente ans, personne ne s’en souviendrait. Je resterais une inconnue, un nom de plus auquel on n’accorderait aucune importance dans la rubrique nécrologique du journal de la région. Je ne pourrais pas voir qui sera là, à la célébration de ma mort. Je ne saurai pas qui pleurera, qui sourira, qui  dira : « Moi, je me souviendrai de toi. »

Est-ce que quelqu’un touchera ma main lorsque je serais étendue dans ce cercueil ? Est-ce que quelqu’un viendra voir ma pierre tombale ? Est-ce que quelqu’un me parlera ? Et moi ? Est-ce que je pourrais voir tout ça ? Allais-je pouvoir continuer à chanter ? À parler ? Allais-je revoir les gens que la mort m’avait volés ?  Serais-je au même endroit qu’eux ? Est-ce que j’aurais peur ? Est-ce que j’aurais mal ? Est-ce que je serais heureuse ? La véritable vie, commençait-elle après la mort ? Ou alors… après la mort, il n’y avait plus rien ? Que du noir ? Que l’oubli ? Et si, je priais assez fort, tous les jours… est-ce que, là, j’aurais moins peur ?  À la fin de l’année, je ne serais plus là.

Plus jamais

Et tout ça, ça me terrifiait, parce que j’aimais la vie et que je l’aimerais toujours aussi fort, même après avoir tout perdu. Et toi, amour ? Est-ce que tu referas ta vie avec quelqu’un ? Est-ce que tu m’oublieras ? M’aimeras-tu encore, même si je ne suis plus là ?

Les semaines devinrent rapidement, trop, rapidement des mois… Je me sentais de plus en plus mal.  Les migraines, les nausées et mon irritabilité étaient à leur maximum. Je n’avais plus de patience, j’hurlais de douleur la nuit, je rejetais mon tendre qui ne voulait que m’aider. Je maudissais Ciel et Terre constamment. Mais ce soir, j’en avais assez ; de souffrir, de faire du mal à ceux qui me protégeaient. Assez de ne rien faire, mais surtout : assez de vivre dans l’attente de la mort. Je descendis silencieusement à la salle de bain afin de mettre un terme à tout cela. Je sentis mon cœur battre jusque dans mes tempes, ce qui accentua mon mal de tête. Dans mes mains, je tenais la solution au problème que j’avais. Pour une fois : j’aurais entièrement le contrôle de ma vie et de ma mort. Je mis la lame sur le revers de mon poignet, et…

 

Rien.

Je levai ma tête vers le miroir et me regardai… J’étais si pâle, des cernes bien creusés sous les yeux, je semblais être au bout du rouleau, comme si je n’étais qu’une flamme sur le point de goûter à la morsure de l’eau. Alors, ça, c’était moi ? C’était réellement… moi ? Mes cheveux avaient perdu leur éclat, mes yeux n’avaient plus cette étincelle qui faisait vibrer l’amour de mon mari… je n’étais qu’une ombre. L’ombre de ce que j’étais. Voilà face à quoi mon tendre se réveillait tous les jours, à qui il disait « Je t’aime » toujours plus que la veille ? À qui il dessinait l’avenir qui se résumait au lendemain ? Voilà la personne qu’il aimait et qui en retour… ne faisait que lui crier dessus ? Quelle épouse je faisais ! Dégoûtée de qui j’étais, de ce que je voulais faire, je lançai la lame avec force dans la poubelle. Il n’était pas dit qu’une maladie aurait le dessus sur moi ! Je prendrais le dessus de ma vie et je redeviendrais celle que j’étais ! Je remontai donc me recoucher en me nichant confortablement dans les bras de cet homme qui avait tout sacrifié pour moi ; sa carrière, son avenir, tout… afin d’être avec moi et prendre soin de moi… et moi… en égoïste, je n’avais pas vu cela. Je me souvins avoir dit que je ne voulais pas être une malade qui s’apitoyait sur son sort et qui voulait vivre sans avoir peur de mourir… mais j’étais très loin d’avoir tenu mon serment. Je montrais mes faiblesses, je me négligeais, je râlais sur ce qui se passait au lieu de profiter de moments de qualités avec ceux que j’aimais…

Mais tout ça… je le changerais. Les instants d’enfer deviendraient paradis…

Et je ferais tout cela… pour lui.

~oOo~

« Amour, est-ce que je peux partir ? »

 

 

C’est le dernier round qui arrive.

Je le sens au fond de moi…

Mais je ne dis rien…

J’attends le bon moment, et quand il sera arrivé, je partirai sans aucun regret.

 

 

Nos amis venaient nous voir aujourd’hui. La maison était emplie de rires, mon père n’avait pas quitté son appareil photo… il voulait garder une partie de moi avec lui et je lui disais qu’il n’avait pas besoin de tout ça, car ayant le gène de « maman poule » je ne serais jamais bien loin, et qu’accompagnée de maman, ce serait pire maintenant. Il ne pourrait plus faire un pas sans ressentir notre présence et que, pour se débarrasser de nous, il devrait brûler tout ce qui nous appartenait ou nous représentait. Il le savait, mais il ressentait le besoin de nous voir partout et il croyait que mon mari partagerait le même désir…

 

La soirée s’était terminée sur une bonne note où on n’avait vu que des larmes de rires, lorsque le dernier invité fut parti, je repensai à ce que mon père m’avait dit plus tôt. Il était vrai que je devrais laisser un souvenir à mon aimé. Je me postai donc devant mon bloc et je lui écrivis une longue, très, longue lettre lui disant tout j’avais sur le cœur et mes pensées du moment. J’y avais inclus une photo prise la journée même avec notre vieux « Polaroïd » où nous souriions comme au jour de nos noces. Il me tenait dans ses bras. Endroit si rassurant… et que pourtant, je devais quitter.  Je pris un vieil enregistreur et me mis à chanter, très mal certes, mais fidèle à mon habitude… à la fin de ma chanson, mon chéri me cria que je chantais comme une fourchette qui grattait le fond d’une casserole. J’explosai de rire faisant un agréable duo avec lui… puis j’appuyai sur le bouton « stop. »

 

Est-ce que la vie pouvait se résumer à cela ? Est-ce que, quelqu’un, quelque part, appuyait sur ce bouton ? J’étais si triste de partir loin d’eux, de lui. Comme je l’avais pensé, je ne pouvais toujours pas accepter de mourir. Mais contrairement à ce que je m’attendais ; je n’avais pas peur. J’avais senti cet appel et avais tenté d’étirer mon temps alloué au maximum. J’avais prié des heures et des heures, afin de pouvoir passer une journée de plus avec lui. Mais aujourd’hui, je l’avais réalisé. Jamais je ne pourrais le quitter. Non, jamais. Je ne voulais pas lui dire adieu. Je ne voulais pas tourner cette page qu’est la vie…

 

Je ne voulais pas partir… je voulais rester avec lui et Yuki. Je voulais encore rire et chanter. Je voulais être en colère pour des sottises, je voulais plaisanter avec les employés de l’endroit où je travaillais. Je voulais voyager. Je voulais rencontrer des gens…

 

Je voulais vivre.

 

Le soir venu, nous fîmes l’amour…

 

Quelques larmes se perdirent avec nos soupirs…

 

Comme s’il l’avait ressenti lui-aussi, il n’eut de cesse de me dire à quel point il m’aimait. À quel point il souhaitait que je reste avec lui. Il me tint par les poignets, comme pour me forcer à rester là, si près de lui. De ne pas partir. Ne pas le quitter. Il ne m’avait jamais rien demandé, mais en ce jour, il me fit une requête…

 

« Ne pars pas. Ne me laisse pas. »

 

Je ne pus lui répondre… je fondis en larmes, lui criant mon amour. Hurlant à la mort qu’elle n’aurait pas le dessus sur moi. Que je ne voulais pas partir, que j’allais me battre ! Nos larmes s’unirent à nos « Je t’aime. » Il savait que je ne pourrais jamais lui promettre de rester près de lui, car peu importe ce que je ferais ; je n’aurais jamais le dessus. On ne pouvait pas éviter l’inévitable, on ne pouvait que le repousser. Cependant, tout ce qui existait en ce monde avait une limite.

 

La mienne était atteinte.

 

 

Je mourus le neuf octobre deux mille huit à une heure cinquante-sept du matin. Cette nuit-là, je me sentis flotter au-dessus du lit et j’observai le tableau de ma mort, dessiné contre mon gré. Cependant, je ne pus retenir un sourire sincère face à cet œuvre. Je partais d’un endroit où j’aurais passé ma vie entière.

 

J’étais lovée contre lui, ses bras puissant m’entouraient. Ma tête était appuyée contre son cœur. Je pus voir mon corps bouger au fil de sa respiration… Je remarquai alors le petit tatouage récent qui marquait sa peau. Nos deux noms étaient inscrits au sein d’un cœur sans couleur ; scellant ainsi à jamais notre histoire et notre passion, jusqu’à ce que nous soyons, de nouveau, réunis.

  • Bonjour Slive,

    Je suis désolée d'apprendre que tu n'aies pas pu terminer ta lecture, par manque de temps. Seulement, ne disposant pas d'un système permettant la publication de plusieurs chapitres - ce qui est logique puisqu'une nouvelle est une histoire qui doit faire dans les 12 000 mots maximum - qui permettrait une cohérente, je préfère m'en tenir au système en place. :)

    Peut-être pourrais-tu écrire le passage où tu t'es arrêté sur une feuille et continuer ta lecture plus tard ? Ce serait une sorte de signet, comme pour un livre.

    Néanmoins, je te remercie d'avoir choisi mon texte, malgré le peu de temps que tu avais et te remercie également de ton gentil commentaire ! :)

    Bisous et bonne journée !

    Riri

    · Il y a presque 12 ans ·
    Yowane.haku.full

    riri

  • Sincèrement j'ai commencé, manque de temps pour finir, il serait peut-être judicieux de les poster sous plusieurs fois - commençant par la fin (comme ça le premier aussi le premier de la liste) mais ça risque d'en décourager certains, alors que le début est plus qu'agréable.

    · Il y a presque 12 ans ·
    Img022

    slive

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