La ville bleue

Ça a commencé comme ça, comme un rien. Ernesto s'est pris le bleu du ciel sur le bord du menton, un bleu plus bleu que les autres bleus du ciel, un bleu qui vous avale tout rond. Quelque chose s'est passé, sur le bord de son menton, aux commissures de ses lèvres, dans le creux de ses yeux et même jusqu'au fond de son cœur.
Le bleu a creusé sa place.
Et même pas que le bleu, le soleil plus grand que les autres soleils d'ailleurs, aussi. Et les pierres, et les rues aux pavés polis, leurs fenêtres grandes ouvertes sur le dehors avec son lierre qui mange les murs.
C'est la ville entière qui lui est tombée dessus, une ville exactement comme ça de soleil et grand bleu, une ville de cordes à linge qui vous goutte au-dedans.
Dans le train qui le ramenait chez lui, Ernesto avait le cœur qui regardait derrière, un cœur lourd qui restait accroché au quai, puis aux rails, loin, loin derrière, et ce cœur là, il avait la couleur du regard qu'ont les amoureux qui se séparent. Vert de gris, tout barbouillé de tristesse.
Déjà Ernesto était malheureux, sans même le savoir.
Déjà la ville le rappelait. Discrètement, comme un chatouillis, la caresse d'un rayon qui persistait sur le bord de son menton.