L'air sans la musique

petisaintleu

Le 12 janvier 2007, Joshua Bell, un violoniste mondialement connu, joua incognito de son instrument, un Stradivarius de 1713, dans une station de métro de Washington. En trois quart d'heure, seules sept personnes s'arrêtèrent pour l'écouter.

Depuis vingt-cinq années, j'ai dû manager en direct environ deux cents personnes. Combien de fois ai-je entendu de mes n+1 à leur sujet des « Quelle burne, quel con, quel abruti » ? Moi, j'ai un gros défaut : je m'intéresse aux gens. Le nombre de « bac – 12 » qui m'a ébahi par leur talent égale très certainement les pipeauteurs dont la principale aptitude consiste à masquer leur médiocrité et qui, je dois le reconnaître, possèdent le génie de nous hypnotiser de leurs belles paroles comme le ferait un charmeur de serpents.

Il y a une douzaine d'années, j'étais directeur de magasin. Je reçus des candidats pour pallier à un départ. Un matin se présenta un individu, une vague ressemblance de Bud Spencer habillé en bûcheron. Son CV était l'antipode de ce faciès d'ours mal léché : bac + 3, il avait été journaliste en Roumanie et il parlait couramment au moins quatre langues. Je ne me suis même pas posé de questions. J'ai laissé tomber les prétendantes physiquement compétentes ou les petits jeunes cravatés qui sentaient déjà la naphtaline. Je suis fier d'avoir laissé parler mon instinct. Je l'embauchai, malgré l'avis défavorable de mon directeur régional (comprenez le coup de 12 que je me suis pris). C'est assurément un des meilleurs vendeurs que j'ai recruté. Je le mis dans la zone enfants. Il devint en deux coups de cuillère à pot la coqueluche des bambins et des mamans. Pragmatique, je me félicitais de voir mon chiffre d'affaires décoller. Nous avons gardé contact. Aujourd'hui, il est cadre dans une enseigne de bricolage.

Je lisais récemment un article sur le fait que la moitié des CDI se soldent par un échec dans les dix-huit mois qui suit l'embauche. À qui la faute ? En l'occurrence, il n'existe aucune statistique pour l'expliquer. Je ne peux donc que m'interroger sur le pourquoi ? Mais ne comptez pas sur moi pour alimenter les sempiternelles chroniques barbapapesques sur la chimère du vivre ensemble au travail. D'expérience, je ne crois pas aux clones qui péteront tous dans le sens du vent. J'ai toujours privilégié la diversité sociale ou culturelle ; charge à moi d'aller chercher le dénominateur commun et la complémentarité des savoir-faire pour créer le liant qui fera de mon équipe une bête de course. Il y a surtout un autre point sur lequel je ne déroge pas. Je suis chiant et je suis cool. Sur les basiques, je ne lâche rien. Et pour être honnête, j'ai horreur de répéter dix fois la même chose. Donc, là, oui, je suis sans pitié, une fois que j'ai validé que le souci ne venait pas de mon inaptitude à expliquer (je ne suis malheureusement pas parfait et ma gémellité me conduit parfois vers la cryptophasie). Ensuite, je lâche la bride. Pour employer une boutade (je préfère le préciser car je pense que certains recruteurs n'ont pas saisi cette subtilité), j'applique la politique du gros fainéant. C'est-à-dire permettre l'initiative, déléguer au maximum et faire confiance. C'est tout bénéfice, ça me laisse du temps ; pas pour aller à la pêche, mais pour monter moi-même en compétence, avec pour seule contrainte de ne pas marcher sur le plafond de verre de mon supérieur hiérarchique.

Ah oui, dernier point qui fera sans doute le sujet d'un autre post. L'humour est aussi un puissant allié. Je n'ai jamais compris le fait que dans certaines entreprises, il est de règle de prendre un air  constipé (hormis pour les pompes funèbres). Je vous donne ma parole de scout : l'humour est un signe d'intelligence (je n'évoque pas le pipi-caca, la blague graveleuse ou raciste) qui libère la créativité.

  • Pourrais-tu écrire une rubrique sur les moutons que nous sommes, incapables de comprendre que nous sommes bien plus fort que les loups, mais peut-être l'as tu déjà écrite, je dois lâchement avouer que je n'ai pas tout lu de tes productions, bien que j'en ai lu déjà pas mal. A bientôt si wlv nous en laisse encore un peu le loisir !

    · Il y a environ 7 ans ·
    Mycjq3xv

    Christian

  • Intéressante cette chronique et très sympa !

    · Il y a environ 7 ans ·
    Louve blanche

    Louve

  • Tout cela me semble être pourtant une stratégie payante ... bravo

    · Il y a environ 7 ans ·
    W

    marielesmots

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