L’amour du temps jadis

Hervé Lénervé

18e siècle, une belle jeune fille s’entretient en particulier avec un gentilhomme dans un salon tendu de soies bleues.

-         Vous m'en demandez toujours plus, mon ami !

-         Que nenni ma mie ! Je ne vous demande rien de plus que ce que vous sembliez m'avoir déjà donné. Vous prendre la main en toute intimité, mais aujourd'hui, bien vite, vous la retirez comme si ce contact exquis vous assommait.

-         Que voulez-vous, j'ai toujours quelque chose à faire de mes mains, remettre une mèche qui s'égare, un pli de ma robe qui est en disgrâce. Que voulez-vous je suis une manuelle.

-         Avant, des heures votre main restait prisonnière de la mienne.

-         Justement, elle a de l'ouvrage en retard.

-         Chaque jour, je vous sens vous éloigner de moi, un peu plus davantage que la veille.

-         Je suis là, pourtant  vos côtés, comme hier je l'étais, aussi… (ô hélas) !

-         Cependant, je vous sens froide.

-         C'est mieux que mauvais !

-         Pardon, très chère ?

-         Ne prêtez pas attention à mes folies, je ne suis encore qu'une enfant. Une douce enfant à vos yeux, certes. Alors qu'en fait, je ne suis qu'une gamine espiègle qui veut sans cesse s'amuser.

-         Si vous me trouvez si triste, transit d'amour et bien fatiguant, vous en êtes la cause, ma mie. La joie me fait faux bond, ma chérie.

-         Ne m'appelez pas ainsi, je suis trop jeune pour qu'on me donne du « mon chéri », puis le chocolat fait grossir, de plus il n'a même pas été encore commercialisé.

-         Pardon, très chère ?

-         Vous voyez bien, combien frivole, je suis. Pourquoi ne courtisez-vous pas ma mère, plutôt ?

-         Vous me trouvez trop âgé, c'est cela.

-         Un peu, mais ne le propagez pas, j'ai une réputation à entretenir.

-         Laissez-moi entretenir, votre réputation et vous par la même manière. Je suis très riche, vous savez, épousez-moi !

-         Comme vous y allez, monsieur, je ne vous connais que de si peu.

-         Assez, néanmoins pour y avoir perdu votre virginité.

-         Mais taisez-vous, enfin ! Voulez-vous que la gazette people le crie sur tous l'entourage ? Et riche vous êtes, bien sûr, je le sais, il ne manquerait plus que vous soyez pauvre, à présent. Puis, épousé, épousé, vous oubliez, bien vite, que votre femme n'est pas morte.

-         C'est imminent, vous savez, elle l'est peut-être en cet instant, j'ai comme un bon pressentiment. Mais vous vous échauffez, ma mie, permettez-moi d'aller quérir votre autorisation de me retirer, je crois que je vous indispose.

-         Non, ce n'est pas mon jour et vous ne m'indisposez pas plus qu'à l'accoutumé, mais comme vous n'étiez même pas entré, retirez-vous, en effet. Il est l'heure de mon sport.

-         Je vous laisse mon petit rat, allez danser.

-         Je ne danse pas, je fais du karaté pour me défendre contre les prétendants qui chantent leur cour.

« Ah, ces jeunes-filles ! A peine, ex-pucelle qu'elles veulent déjà voler de leurs propres ailes. » Pensa le baron avant d'aller, dans la propriété voisine, causer fleurette à une autre damoiselle.

***

L'aristocratie pratiquait deux hobbies, la chasse à courre, dit vénerie et faire la cour, dit « ciel mon mari ! »

Signaler ce texte