L'aube

Christian Lemoine

Crépuscule et ombre se disputent l'aube. Dans la lueur qui monte, arrachant à peine du néant des contours de reliefs, c'est tout juste si tu devines l'ébauche de ton ombre à tes pieds. Tes pieds que tu ne vois pas, de noir chaussés. De lumière, aucune, que la lente émergence du jour. Le sol tarde à se révéler autrement que par sa dureté, à toi qui expérimentes pas à pas la pesanteur de ton corps qui établit ainsi la terre où tu marches. Ce socle pour ta voie, heureusement pas ce sable mouvant s'affaissant à la dérobée, ni la débâcle des banquises. Sais-tu ce qu'il t'en coûterait de t'aventurer en aveugle au-travers des fourbes tourbières ? Car sans autre repère, peut-être ne saurais-tu distinguer le haut du bas. L'instant est volatil, débauché déjà par le jour qui s'affirme, dans la rotation obstinée de la planète sur son axe autour de son étoile. Qui aura pu faire le mémoire depuis le premier matin, s'il fut, extirpé de la nuit ou de la fournaise inombrée ? L'écoulement mécanique d'un sablier inéluctable égrène ad libitum la seconde identique qui n'a jamais abdiqué. Et se livre à toi cette perception limpide que le présent seul, moment le plus court, est vrai ; seul vrai d'être piégé dans une permanente brièveté.
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