L'Aurore d'un visage

Christel Lacroix

Quand le visage devient l'infini de l'âme...

Ce matin là, les bruits de la rue s'éveillaient tout doucement et la lumière du soleil perçait timidement au travers des vieux volets de bois peints en bleu dans une époque lointaine.


Il venait de sortir de son sommeil et la regardait dormir, tel un ange échu sur un oreiller de plumes d'amour.


Elle, c'était Aurore, un prénom aussi doux et suave que le contact de sa peau sous ses caresses. Il osait à peine l'effleurer pour ne pas la perturber au pays de ses songes.

Lui, c'était Tristan, pas aussi triste qu'il n'osait l'affirmer, surtout depuis qu'il avait croisé le tendre visage de sa bien-aimée.


Tous les matins il ouvrait les volets de son monde avant elle, juste pour pouvoir tendrement l'observer dans le silence de son sommeil, et en peindre une toile de maître dans son esprit amoureux.

Le visage d'Aurore resterait pour lui la plus belle œuvre d'art jamais croisée. Ses longs cheveux roux épars sur le blanc immaculé du drap rehaussaient le teint laiteux de sa peau, une peau si fine que les sentiments battant à la chamade dans son sang étaient presque visibles par transparence.

Comme il aimait imaginer tout ce que ces yeux endormis avaient pu regarder avant lui ! Comme il aimait survoler ce corps de ses mains fiévreuses, jusqu'à atteindre ce visage constellé de tâches de rousseurs.


Ce matin là, il pensa en souriant aux milliers d'étoiles de la voie lactée qu'ils avaient tous deux observés par une nuit chaude du mois d'août, couchés dans l'herbe, main dans la main, attendant impatiemment l'étoile filante de leurs vœux les plus chers. Ils s'étaient ainsi endormi. Tristan repensa à cette nuit un peu particulière avec émotion, comme si ces milliers d'étoiles inconnues qui avaient bercé ce soir là leurs rêves, avaient pu choir sur le visage d'Aurore et le consteller de souvenirs.


Ils ne se connaissaient que depuis quelques mois, et l'observer ainsi chaque matin lui donnait l'impression de percer ses secrets les plus intimes et de la connaître encore mieux. Cela pouvait paraître étrange mais il est parfois des détails qui émeuvent plus que mille mots confiés.

Son petit nez resté enfant semblait lui faire des grimaces et il souriait chaque fois en le regardant. Sa bouche et ses lèvres témoignaient de sa gourmandise de la vie, c'était un détail indéniable qu'il avait décelé immédiatement. Il remonta ses cheveux délicatement, dévoilant son front altier : il pouvait passer de longs moments à l'observer ainsi. Ce front aimé semblait répondre à toute ses questions qu'il n'avait jamais osé poser. Il se sentait apaisé par ce visage et pensa tout doucement à cette vérité qu'il venait de construire entre chacun de ses soupirs mêlés à ceux d'Aurore : « le visage parle ».


Et ce matin là Tristan ne restait pas simplement à l'observer mais il lui répondait.

Il répondait à chacune de ses petites ridules venues là pour lui raconter les aléas de la vie passée, en leur criant qu'il serait toujours là pour les apaiser.

Il répondait à chacun des petits mouvements de paupières encore perdues dans le monde obscur des songes en leur criant qu'il faire face à chacun des cauchemars épars qui pourraient venir les obscurcir.

Il répondait à la douceur poudrée de cette peau angevine en lui criant qu'il ne se lasserait jamais de ces caresses en apesanteur qu'il inventait chaque matin à son réveil.


Et il entendit cette petite voix qui lui murmurait :

- « le visage, c'est l'infini de l'âme. »


Il se sentait peut-être plus poète qu'à l'habitude, ou alors n'avait-il pas assez dormi, mais il fût étonné de cette voix inconnue qui résonnait à ses tempes en confidente avisée.


Il se coucha tout près d'Aurore pour finir la peinture de son œuvre d'art irréelle, comme le peintre s'approche de sa toile pour en affiner les détails.

Le sillage de son parfum s'imprima alors dans la palette de ses souvenirs. Si l'aurore du jour avait une odeur ce serait celle-ci, il en était persuadé. Depuis qu'il la connaissait, elle n'avait jamais changé de parfum comme s'il faisait partie de son aura. C'était une composante de sa personnalité, une teinte de ses sentiments, sa magie philosophale. Il s'ouvrait sur des notes de fruits, des effluves de jasmin d'Orient, de lavande bercée par les rayons du soleil et de fleurs d'orangers. Respirer sa peau invitait au voyage lointain, et rassurait par son goût sucré. Respirer sa peau était une ode au bonheur, comme Pierre de Ronsard avait écrite celle à la rose, Tristan aurait aimé en cet instant écrire une ode à Aurore.


La petite voix mélodique qui résonnait à ses tempes ne le quittait plus. Il devenait peut-être fou mais il n'avait pas peur. Il est bien connu que de tous temps l'amour a rendu l'homme fou.

- « Aurore est le parfum de ta vie. Caresse sa peau Tristan et tu auras ta réponse »


Il était si ému que sa main tremblait.

Dehors le charivari du jour reprenait de plus belle, les voitures klaxonnaient, les moteurs des camions rugissaient, les gens couraient, certains parlaient plus fort que d'autres, les chiens en balades aboyaient à leurs maîtres affectueux, mais Tristan n'entendait aucun de ces bruits ; il était seul avec sa douce endormie et une voix, une unique voix sans origine mais peut-être plus originelle qu'il ne pouvait le penser.


Sa main émue s'abandonna sur la peau de sa bien-aimée, caressant la chaleur de son aura. Son Aurore avait la peau si douce qu'il s'attardait dans cette volupté, sentant frémir son teint de pêche à travers cette tendre osmose. Il comprit alors qu'elle était sa destinée, qu'ils avaient tous deux plus de points communs qu'ils ne l'avaient conçu jusqu'à présent : leurs peaux se répondaient comme il répondait tout à l'heure aux traits de son visage.


La petite voix s'était faite lointaine et presque inaudible:

- « Tu as enfin compris ! »


Le téléphone retentit soudainement brisant la magie de l'instant.

Aurore allait se réveiller sous ses caresses , il lui aurait peut-être fait la plus immense déclaration qu'il n'eût jamais faite jusqu'alors mais le hasard de la vie en avait décidé autrement.


- Bonjour c'est Aurore. Tu es libre à midi pour que nous déjeunions ensemble ?


Un peu sonné, il s'aperçut très vite qu'il venait de sortir d'un rêve avec précipitation...

Un rêve de visage, un rêve de parfum, un rêve de peau. La petite voix avait disparu, s'évaporant avec la douceur sublime de ce rêve matinal et Aurore qu'il avait connu il y a seulement quelques jours dans une soirée attendait une réponse à l'autre bout de la ligne.


Un rêve de visage, un rêve de parfum, un rêve de peau, une tiède osmose, une constellation d'étoiles sur un visage démasqué, une œuvre d'art inachevée dans une mémoire souffrante, une envie de douceur derrière le voile des apparences ...

Et il répondit seul sans attendre les confidences de la petite voix sauvage qui venait de s'enfuir au loin de ses songes. Il répondit à ce « visage, infini de l'âme » rempli d'espoir et les larmes aux yeux :

- Oui.


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