Le Bordel Poétique

Ferdinand Legendre

Un texte qui raconte ce que j'ai vécu lors de la première édition du Bordel Poétique à Paris. Techniquement, l'édition plus récente aux Caves Saint-sabin était la deuxième.


   Le Bordel Poétique
                                                                  

                           -

Comme si mes poèmes si insaisissables,
En les formulant se fondaient embruns,
Et que tant de vagues passaient sur les grains,
Car rien n'est jamais gravé dans le sable.

                           -


"-Donc on peut dire que vous êtes poète à vos heures perdues ?"

-On peut dire que je suis complètement poète.
-Ah oui, pardon."

Je me suis senti immédiatement con d'avoir balancé ça à la volée sans réfléchir à la journaliste de France Presse venant couvrir l'événement avec une curiosité que je qualifierais de "bonne ambiance". Mais pour être plus exact, il aurait fallu que je passe par la traditionnelle explication de mon développement artistique. C'est relativement long et sans doute particulièrement chiant (du moins pour le moment, si un jour mes poèmes se vendent, ça deviendra sûrement digne d'intérêt).
Je vous l'explique quand même parce que vous êtes sympa, si tout ça vous fait chier, rendez-vous directement au moment où je dis "J'ai immédiatement remarqué les bouteilles de vodka bon marché".

Lorsque l'on est artiste pluridisciplinaire, on ne peut s'empêcher de se poser la question de la légitimité de son art. Par exemple, se dire "musicien" lorsque l'on a quasiment jamais touché un "vrai" instrument de musique est difficile. J'ai mis pas mal de temps avant de pouvoir me considérer comme tel. J'écris depuis plus longtemps que je ne fais de la musique, j'écris depuis que je sais écrire mais le résultat n'est potable que depuis récemment.
Et puis, à chaque fois que j'entame une fiction, ça pèche à plein de niveaux. J'ai une syntaxe sans domicile fixe, la concordance des temps me pose problème et je finis toujours par ne plus vraiment savoir de quoi je cause. Donc clairement, je ne suis pas écrivain. Par contre, le format poétique m'a toujours plu. La poésie me permet de terminer quelque chose. En général, la première phrase me lance et les choses s'emboîtent assez naturellement. Avec le temps, le fond et la forme se sont mêlées et aujourd'hui, je me pose relativement peu de questions. Et puis, les gens vous disent que c'est bien ce que vous faites, que vos poèmes sont touchants. J'ai aussi eu la chance de tomber sur des femmes qui ressentaient les mots, qui m'ont parfois aimé grâce à ces mots, forcément ça aide. Alors oui, je ne suis ni réalisateur, ni rappeur, ni comédien et je ne serai probablement jamais écrivain, mais je suis poète.


                                                                                            


J'ai immédiatement remarqué les bouteilles de vodka bon marché. Dans le vestiaire, les autres poètes sont polis, nerveux, des gens se griment, se maquillent, sans doute ne suis-je pas le seul à me demander si j'ai vraiment ma place dans ce Bordel poétique.

La présentation des lieux et l'explication du concept se font en anglais et en français approximatif, on comprend à peu près ce que l'on attend de nous, et c'est ce qui compte. Pour les lecteurs qui débarquerait ici complètement par hasard je vous fais un bref résumé. Les organisateurs, des gens de New-York que je n'ai jamais vu autrement que sapés comme des proprios de bordels du XIXème siècle, pensent que la poésie est un média qui vend encore du rêve.
Ils aiment les beaux costumes, les ambiances tamisées et les mots, érotiques ou non, qui résonnent. Alors forcément, quand Alberto (l'un des présentateurs du "Spoken Word Paris" où je vais lire mes textes) me dit via Facebook "Allez, viens au Bordel Poétique, je serai ton Mac",  je ne me sens pas trop de refuser.
Déjà parce qu'Alberto est drôle, talentueux et (lui aussi) bonne ambiance, et puis parce que j'ai soif de nouvelles expériences et que cela fait un moment déjà que je me dis que j'aimerais bien publier mes poèmes, sans vraiment entamer la démarche pour.
En revanche, je ne m'attendais pas à ce que cet événement n'amène autant de gens.

On nous explique qu'on va devoir se mettre en bas des marches, que tout se déroule à l'étage. Pour rappel nous sommes au "Pigalle", un bar juste à la sortie du métro du même nom, un tantinet "turbo-classe-retro-chic". On nous dit que Tennessee Pink nous appellera pour que nous lisions quelques phrases de l'un de nos poèmes. Lorsque nous sommes dans l'escalier, il y'a déjà pas mal de monde à l'étage, je ne suis pas vraiment stressé, c'est presque moins casse-gueule que le Spoken Word finalement, en plus j'ai déjà picolé un peu. Je pense aussi que j'ai pris l'habitude de stresser par rapport à ma prononciation bancale de l'anglais. Pour cette évènement j'ai tout le loisir d'opérer dans ma langue d'origine, c'est presque un luxe.
L'attente se fait longue, l'une des poétesses (sans doute la plus jeune) que j'ai rencontré un peu plus tôt se fait remarquer en faisant mine de ne pas jouer le jeu "Bon c'est long, qu'est-ce que j'fous là". Ça n'est pas du goût de tout le monde mais moi ça me fait marrer, j'ai toujours aimé les fouteurs de merde, surtout quand ils le font bien.
De mon coté, je profite de notre position pour alimenter le concept en saluant les gens qui montent l'escalier. Lorsque ceux-ci passent devant nous, j'essaie d'être le plus enjoué possible. Quand vient finalement mon tour, je me rends devant le micro et je déclame quelques vers en essayant de paraitre un minimum habité.

C'est plus difficile que prévu.
Déjà parce que je n'ai pas l'habitude de ne lire qu'un fragment, dans l'idée je trouve ça dommage même si je comprends qu'il faille aller à l'essentiel. Surtout, il y a de la musique en bas et j'ai l'impression que personne n'entend rien.
Après ma lecture, je prends la pose au balcon avec les autres, régulièrement, il y a une petite voix dans ma tête qui me lance des piques du genre "Mec, tu as l'air stupide, est-ce que tu as la moindre idée de ce que tu es en train de foutre ?". A cette petite voix, je réponds simplement : "Non seulement je sais ce que je fais, mais en plus il y a de l'alcool gratuit".



                                                                                            


La soirée se déroule tranquillement et je ne peux m'empêcher de penser que les gens qui mangent autours de nous ont tout simplement oubliés les déclamations poétiques qui ont précédé et vont continuer leur soirée sans prêter attention à ces joyeux drilles jongleurs de vers qui déambulent. "Ok, me dis-je, marche, fais-toi voir afin d'attirer le client". Je viens de faire sa fête à un nouveau verre de vodka tonic et marcher parmi les convives ne me fait ni chaud ni froid, je trouve même ça plutôt cool (les organisateurs nous on dit que l'on pouvait aller nous-même prendre par la main quelqu'un pour l'emmener dans l'arrière-salle mais ça ressemble trop à du racolage et j'aime pas imposer des trucs).

Fort heureusement, ma première cliente ne se fait pas attendre, c'est Kris, une connaissance du Spoken Word Paris dont j'avais déjà remarqué les photos sur Facebook. Je me dis que cette jeune musicienne a dû avoir de la peine pour moi. Elle s'est certainement dit que personne ne viendrait me voir pour une lecture privée et peut-être même pense-t-elle faire sa bonne action de la soirée. Nous allons alors voir la demoiselle qui s'occupe du salon où les entrevues se déroulent et elle nous trouve une place sympa (toutes les places étaient sympas). Entre décoration de films de cul à l'ancienne et confortables fauteuils, le lieu ne manque pas de cachet. Je prends alors conscience du fait que je vais être rémunéré pour ma prestation. Malgré le fait que je picole, il va me falloir assurer.

Je lis bien. Rien de prétentieux, ce que j'entends par là c'est que je ne bute pas sur mes mots. Ma prise de parole est fluide et je porte mes mots avec conviction. Le personnage que je m'étais créé à mes débuts a disparu, c'est vraiment moi qui lis mes poèmes, en essayant de retrouver l'émotion d'origine, le pourquoi de l'écriture. Quelque chose se tisse entre le lecteur et l'auditeur, un lien, l'espace de quelques instants, je ne sais pas si tous l'ont ressenti comme moi et quel rôle l'alcool a joué là dedans mais il se passe clairement quelque chose. Pour autant, Kris semble sceptique. Peut-être que je me trompe, peut-être que j'interprète mal et que je manque d'assurance, mais c'est une première ici et j'ai l'impression qu'elle n'est pas complètement convaincue.
Je termine par l'un de mes rares poèmes en proses :



[…] A dire vrai, j'ai tant d'angoisse au fond de la gorge que mes larmes sont rouillés et que j'en crache du sable, ce n'est pas tant cette blessure ouverte que cette longue fatigue qui pèse sur les jambes les lendemains de fumées. Vois comme, fort heureusement, j'ai ton cœur et ton corps, qui même en tremblant m'apportent du réconfort puisque nos propres fragilités se tiennent l'une à l'autre. […] 



"C'est mon préféré", dit-elle.


Ah.
Si ça se trouve elle n'aime pas les vers, merde, me dis-je, ce serait bien que j'ai plus de poèmes en prose.

On discute brièvement, on parle du texte, par souci de franchise je lui parle de la fille que j'aime, qui vit loin, en lui disant que globalement toute mon œuvre de 2014 tourne autour de sa présence - et de son absence. C'est un peu l'essence de ma poésie cette année. Peut-être que je fais un écart en lui disant ça, peut-être que je sors du jeu, je ne sais pas vraiment, de toute façon je crois que je ne pourrai jamais être bon comédien à cause de ça, je ne sais pas mentir, j'ai du mal à feindre, j'ai du mal à être autre chose que moi-même, même si parfois je me plais à penser le contraire.



                                                                                                    



Je sors satisfait de cette première lecture privée en me disant que ce sera peut-être la seule de la soirée? "Au moins tu as touché quelqu'un", me dis-je.


Une silhouette s'approche alors dans mon dos, je ne la connais ni d'Ève ni d'Adam.

"On va avoir besoin de vous".
Tiens donc. Déjà, que l'on me vouvoie n'est pas courant. Je discute avec la jeune femme qui vient de m'apostropher tout en marchant et j'apprends qu'elle aimerait une lecture privée mais qu'elle n'est pas seule.
Deux amis à elle l'accompagnent. Je ne sais pas du tout si c'est réglo ou pas.
Je pose la question à Tennessee Pink qui me répond que ça peut le faire si chacun d'entre eux met un jeton il faut savoir que je suis payé un jeton la lecture et un jeton c'est 7 euros, je vous laisse faire le calcul, c'est pas donné). Je sens qu'elle est un poil réticente quand je lui annonce ça. Normal. Je re-bois un coup, ça me rafraîchit les idées tout en me donnant un regain d'entrain. Je vais à leur table et j'annonce, tout sourire : "Hey les gars, pour deux jetons, en vrai, je vous fais la totale".J'imagine que les organisateurs voyaient une approche un peu différente mais le fait est que mon intervention fait mouche.
Ils sont d'accord. Je me mets à chercher des yeux une place dans le salon, finalement nous nous retrouvons au milieu , les deux nanas, le mec et moi.

J'ai l'impression de passer un nouveau cap lorsque je lis mes poèmes, l'auditoire est de qualité, son attention me galvanise.
Je n'ai pas l'impression d'avoir quelque chose à prouver, on me considère déjà comme poète, c'est un peu triste, mais je me dis que l'argent n'y est pas pour rien. On me paye pour un « service », on me donne de l'argent pour que j'offre une escapade en terres inconnues, je ne peux nier que quelque part, l'argent donne un poids à tout ceci.

C'est quelque chose que l'on peut retrouver par moment dans la musique. Pour certains, un concert gratuit ne peux être meilleur qu'un concert payant. Parce que, dans une certaine mesure, si c'est payant c'est que c'est justifié, même si on ne le s'avoue pas forcément.


Du coup je suis là, bondissant de regards en regards, tentant de faire résonner les mots dans les corps de mon auditoire, je suis à l'aise et j'ai l'impression que tout ceci fait écho. Le très léger rire du garçon lorsque certaines de mes formulations sonnent comme autant de « bons mots » m'incitent à accentuer cet aspect là, je me fais plus technique, plus incisif par instants.
Je passe un excellent moment avec eux, ils sont timides et élégants à la fois, une certaine tendresse se dégage de ce moment. À la fin, ils me disent qu'ils sont satisfaits : je suis comblé.


La soirée continue et je décide de passer au vestiaire pour boire un coup. Je me rends compte que j'ai oublié mon verre dans le salon privé et, n'osant y retourner pour le moment, je décide de boire à la bouteille. La « reine du burlesque » entre à ce moment là et je me fais copieusement engueuler :

 «  On avait prévu plus de verres qu'il n'y a de poètes ! ».

Je me sens con et je m'excuse en sortant.

Il me semble que peu de temps après (ou peut-être était-ce un peu avant, j'ai un peu perdu la notion du temps) cette même reine du burlesque gratifie l'assemblée d'un show qui, s'il ne révolutionne pas le genre, fait son petit effet. A la fin, elle utilise du feu pour sa performance - c'est toujours cool le feu à la fin.

C'est à mon tour de déclamer un poème entier dans la salle principale, je m'approche du micro de type vintage et balance une dédicace à la volée :

 «  A Kris... et à mes trois prophètes ». avec un genre d'air sombre de "cabaret-freaks-ambiance" à la ramasse.

Je me demande dans quoi je m'embarque puis je récite mon poème, d'une manière beaucoup plus classique cette fois, en essayant de détacher les mots afin que l'on entende correctement ce que je dis. Honnêtement je ne crois pas avoir été convaincant, je me demande si ma lecture était aussi audible que voulu.

Je reprends ensuite mes errances parmi les convives .
Comme je suis bien allumé, je remercie encore David Barnes, le fondateur du Spoken Word Paris, pour m'avoir permis de sortir mes poèmes des chiottes. Littéralement.
Je veux dire que ça n'est pas une image, mes poèmes trainaient vraiment dans les toilettes dans l'espoir que quelqu'un tombe dessus.

J'avais déjà dû lui tenir un discours semblable lors de son anniversaire (une soirée mémorable placée sous le signe de la résurrection de Shakespeare avec un battle de danse endiablé). Il doit se dire que dès que je bois, je fais ça. Ce qui n'est pas complètement faux.


                                                                                                     


Peu de temps après, Alberto vient me voir. Il me saisit par l'épaule en me disant « J'ai quelqu'un pour toi - il marque une pause : un homme ».

           « J'adore les hommes ». Je réponds avec un sourire.

Alberto tente de m'expliquer brièvement à qui j'ai affaire, je comprends qu'il y a une histoire de Père Lachaise (comme je ne veux pas utiliser son vrai prénom « au cas où » je le nommerais donc ainsi) et que c'est quelqu'un de cool.

Je fais moins le malin lorsqu'on arrive devant lui. Un homme d'un certain âge (et par extension d'une certaine expérience) qui s'est vêtu pour l'occasion (ou non d'ailleurs, si ça se trouve il est toujours comme ça) d'une tenue particulièrement élégante.
Je me dis que jusqu'à présent c'était facile mais que le défi est ici de taille, surtout que je commence à être bien « aromatisé ».

Père Lachaise et moi passons au salon, il se déplace avec une canne, on doit avoir une sacrée dégaine vu de l'extérieur.
En cherchant un peu, vous devez pouvoir trouver les photos.
Je dois vous dire, à l'instant, j'ai failli mettre un smiley puis je me suis souvenu que nous étions dans une nouvelle, je vous prie de m'excuser.

Ce tête-à-tête sonne comme un vrai challenge.
A nouveau je vais chercher en moi les élans de vérité, y ajoutant cette fois-ci une diction plus classique. Je pose un peu plus de forme que de fond sur la balance, laissant les mots faire leur travail, j'intériorise un peu moins, j'illustre.

L'esthète approuve, il semble bercé, avec un peu de chance nous sommes sur le même palier.

  « J'aimerais pouvoir écrire comme ça ».

Je rougis probablement mais la pénombre le dissimule. Je continue et finis par lui demander, en vraie prise de risque :

  «  Qu'est ce que tu souhaiterais entendre pour la fin ? »

  «  J'aimerais quelque chose sur la mort ».

S'il m'avait demandé quelque chose sur la guerre de cent ans ou sur la photo-synthèse, cette histoire aurait pu moins bien se terminer. Par chance, mon esprit passe en revue suffisamment rapidement les poèmes que j'ai amenés et je me souviens d'une strophe qui aborde le sujet.
Je crois que c'était quelque chose comme ça mais je ne suis pas sûr car cela me paraissait plus clair alors :


Qu'importe toutes nos lettres, soufflant parmi les songes,
Celle que tu respires quand la fumée faiblit,
Qu'importe qui s'inspire s'il est voué à l'oubli,
Et qu'importe nos larmes, si le temps les éponge,


Non, vraiment, à la relecture, je ne crois pas que c'était ça.


                                                                                                    

Il me laisse deux jetons et Il me dit qu'on se reverra peut-être. J'ai appris à ne rien attendre des choses dites en soirée. L'enthousiasme de l'instant et l'alcool laisse souvent à penser que nous venons de faire une rencontre qui en amènera d'autres, alors que, bien souvent, il n'en est rien.

Je croise peu de temps après une autre camarade du spoken words que je nommerais « Petit Alien ». Petit Alien est une américaine de Californie d'origine indienne assez joviale dont j'ai encore en mémoire quelques textes. Si je la nomme Petit Alien c'est que je me souviens d'une fois, au Chat Noir avant le Spoken Word Paris, où nous avions eu une discussion sur la forme que pourrait avoir les aliens et qu'elle avait dessiné un truc super chelou.

Petit Alien est accompagné de... heu... disons « Taipei ».

Taipei est une amie à elle d'origine Taiwanaise.
Elles se sont rencontrés à l'université, à New-York.
Lorsque nous pénétrons dans le salon, je prends conscience de la difficulté nouvelle qui risque d'entourer cette nouvelle entrevue.
Taipei ne parle qu'assez peu le Français.

-"Elle le comprend très bien", me dit Petit Alien.

Mais Taipei n'a pas attendu la fin de sa phrase pour me faire le signe que "pas tellement".

Je suis assez ivre, particulièrement enthousiaste et j'ai une farouche envie de convaincre.
Je m'attelle donc à la lecture de mes textes mais en travaillant tout particulièrement mon élocution.
Je décompose les syllabes, articule, prends le temps nécessaire à ce que la langue étrangère fasse son chemin dans les esprits de mes interlocutrices. Ma poésie peut être dense, je n'ai pas envie qu'elle passe à coté de ce que je dis.

A l'ivresse de l'alcool se mêle bientôt celle des mots.
Je gambade, fais l'acteur, lançant mes vers aux travers des corps avec force.
Dans le tumulte des rimes je me surprends même à traduire mon texte en aparté, sans perdre l'intensité de ce dernier dans un procédé quasi schizophrénique mais hautement stimulant.
Les lueurs dans les yeux de mes auditrices me mènent à penser que le tout fonctionne.
Les remerciements sont sincères, je suis sur un nuage.


                                                                                                 

La soirée est bien avancée désormais, tout est installé et nous basculons tranquillement dans la dernière partie.

En papotant au bar avec une danseuse burlesque qui participe à l'événement j'observe les derniers poètes qui s'apprêtent à déclamer leur poème complet.

Le premier à passer, c'est un type dont j'ai oublié le pseudonyme et que nous surnommerons "L'oriental" de par sa tenue.
Il scande si fort ses vers que nous nous pouvons plus nous entendre avec la danseuse. Je ris en voyant son feu d'artifice de postillons jaillir sous le feux des projecteurs, le gars est habité, c'est sûr, et puis on sent que l'alcool gratuit est  également passé par là.

Puis c'est au tour de la petite jeune, vous savez, celle qui me faisait marrer dans l'escalier en début de soirée. Elle a dû se dire que la technique du cri poétique était rentable puisqu'elle aussi scande sa prose avec force, sa voix envahissant les enceintes, la poésie s'emparant du lieu à grands coups de sabot.


                                                                                                  


Je rencontre alors une jeune femme maghrébine accompagné de son amie, une jeune femme noire.
Lorsqu'elles me disent qu'elles aimeraient une lecture privée, je me dis que, ethniquement, j'aurais fait un joli tour du monde ce soir-là.

Je vais être honnête, je ne me souviens pas bien des lectures de ce moment. Quelques échos me reviennent, je crois que j'étais légèrement plus sulfureux et charnel alors, l'heure sans doute.

Nous causons par la suite, je me souviens en revanche de ça. Nous parlons de littérature, par chance nous avons quelques auteurs en commun. Par chance oui, car je ne suis pas un assez gros lecteur à mon goût. Je sais que si je veux me mettre à écrire de la fiction par exemple, il va falloir que je lise plus.

Nous parlons si longtemps que la demoiselle qui s'occupe de gérer le salon finit par venir nous voir pour nous annoncer avec un franc sourire :

"Ecoutez, vous êtes là depuis des plombes, il faut sortir maintenant".

On le prend bien, ça marche toujours mieux demandé avec le sourire.
On discute encore un peu à une table, je les remercie, elles me remercient, du bon boulot poétique.
Je viens vraiment d'écrire ça ?
Insurgez-vous.


                                                                                                     


A cet instant, la musique s'intensifie et le public se met à danser. Je décide alors que je ne dirai plus de poèmes pour ce soir, je fais mes transactions afin de récupérer l'argent qu'on me doit et je file enflammer le dancefloor en dansant n'importe comment.
Inutile de vous dire que c'est la partie dont je me souviens le moins, je suis incapable de dire avec qui j'ai dansé en dehors d'Alberto et de Tenessee mais c'était vachement drôle.

Un moment je décide qu'il est tard et qu'il faut que je rentre chez moi.
Malheureusement le métro ferme lorsque j'arrive là bas et, comme j'ai du bol, il pleut des cordes.
Je marche à la recherche d'un taxi qui n'arrive jamais. J'en trouve finalement un vers La Chapelle, il me ramène chez moi et je le paye avec un peu d'argent gagné lors de la soirée, agréable sentiment.

                                                                                                      

Cette expérience de Bordel Poétique m'a marqué.C'est le genre d'expérience qui, dans une carrière artistique, vous fait prendre conscience des paliers franchis, du travail accompli. Cela ne changera pas ma vie du jour au lendemain. Je ne deviendrai sans doute pas poète reconnu tout de suite. Sans doute jamais d'ailleursmais au fond de moi je ne doute plus.

Je garde en mémoire l'intimité du salon, son charme "rétro" et les gens vêtus comme dans l'ancien temps. Cela me ramène à l'intemporalité de la poésie, à la manière dont elle peut encore, aujourd'hui, traverser les cœurs et les corps. J'aime que les rimes fortes fassent vaciller l'auditeur. Son trouble est une douce liqueur dans laquelle j'apprécie tremper mes lèvres.

J'ai besoin de toucher les autres par le langage, sans défendre de grandes idées car j'en suis incapable.
Je suis trop paresseux pour être profondément intelligent, je préfère m'égarer dans d'épidermiques fables. Je n'ai jamais été bon en philosophie car trop littéraire.

J'espère encore participer à des événements du genre. Gageons que cela se démocratise et que les mots résonnent à nouveau.


Ferdinand Legendre 08/12/14

  • Beau voyage poétique! :)

    · Il y a environ 9 ans ·
    Cat

    dreamcatcher

  • Par où commencer ? Tu dis que tu n'est pas un écrivain, hors ce texte prouve le contraire. Ce texte dit que tu es intelligent, malin, observateur et sensible. Rare sont les écrivains qui arrive, dans leurs textes, à transmettre autant d'informations. Ensuite, les vers sur la mort sont tout juste magnifiques, j'aimerai en lire encore des centaines comme ceux-ci. Tu dis que des femmes t'ont aimé pour tes mots, cela ne m'étonne pas du tout. Ta façon de t'exprimer en général fait son effet. J'ai adoré le bordel poétique, et j'aimerai pouvoir l'exprimer comme tu le fait. Je me retrouve dans certaines des émotions que tu décris. De plus, comme je me trouvai dans une ville inconnue, si loin de chez moi, tout fût décuplé, différent... Je regrette d'avoir dû partir si tôt, et j'espère que tu me proposeras de m'héberger la prochaine fois, parce que j'accepterai. J'ai été ravie de faire ta connaissance, et si tu refais un texte comme celui-ci, pour décrire ta deuxième expérience du bordel, j'espère que tu parleras de moi ( je suis orgueilleuse, mon dieu...). Tout cela pour dire que c'est un beau texte, et que tu es indubitablement un écrivain.

    · Il y a environ 9 ans ·
    Weekendplansnewest

    mlleash

    • Venant de toi c'est d'autant plus touchant, je te remercie, je vais prendre le temps de lire tes œuvres et j'espère te recroiser au plus vite.

      · Il y a environ 9 ans ·
      9005 10153165646631840 626126078089679787 n

      Ferdinand Legendre

    • Je serai ravie d'avoir ton avis :) Moi aussi !

      · Il y a environ 9 ans ·
      Weekendplansnewest

      mlleash

    • Alors, je ne donne que très rarement mon avis en poésie car c'est un domaine où je suis terriblement exigeant tout en étant assez peu objectif. J'aurais sans doute peur de blesser si j'étais maladroit et je sais combien la critique peut être difficile à avaler. Si malgré ça tu veux toujours savoir ce que j'en pense, je prendrais le temps d'étudier tout ça en répondant sans feindre.
      ps: Je peux tout de même déjà te dire que j'aime bien, j'avais aimé ce que tu nous avais lu.

      · Il y a environ 9 ans ·
      9005 10153165646631840 626126078089679787 n

      Ferdinand Legendre

    • j'aimerai avoir ton avis sur mes textes, pas sur mes poèmes ;)

      · Il y a environ 9 ans ·
      Weekendplansnewest

      mlleash

    • C'est noté. :)

      · Il y a environ 9 ans ·
      9005 10153165646631840 626126078089679787 n

      Ferdinand Legendre

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