Le bourreau fantasmagorique

Jean Maxime Locard

Nouvelle fantastique à la première personne, piégé dans sa tête, plongez dans sa folie, partagez ses doutes.

Je suis las. C'est ce que je me dis à chaque fois que je rentre en cours, à chaque fois que mes ‘'amis'' m'adressent la parole pour ressasser inlassablement les mêmes inepties, les mêmes banalités qui ne m'inspirent plus depuis longtemps déjà. Chaque matin en me levant, chaque soir en me couchant, et pendant l'infini espace de temps qui sépare ces deux moments, je suis las. Les cours que l'on m'enseigne au lycée ne m'intéressent pas, aucun. Je ne sais même pas de quoi la prof est en train de parler à ce moment même, ni même la matière qu'elle enseigne. Mes parents m'ennuient, les jours se ressemblent et je n'ai aucune passion, aucun hobbie pour amoindrir l'impression de monotonie qui berce ma vie. Quand j'y pense, je ne suis pas ... malheureux, tout du moins je n'ai aucune raison de l'être ; j'ai des amis, pas énormément, mais j'en ai, je ne suis pas particulièrement martyrisé, pas plus que n'importe quel autre éternel moyen et mes parents ne me battent pas. À la limite, je pourrais me plaindre de la solitude qu'engendre mon célibat, mais ça ne me traquasse pas plus, je n'ai jamais vraiment compris en quoi consistait..... « Parker, arrête de rêvasser et prend ton cours s'il te plaît, ce n'est certainement pas ainsi que tu auras ton bac. » Ça y est; je m'en souviens ; Mme Rodrigue, professeur de philosophie, plutôt appréciée par ses élèves, enfin, autant que peut l'être une enseignante en philo dans une classe de terminale S. J'aimerai me lever, attendre un peu et lui lancer au visage : « En même temps, si ton cours était moins chiant, je serai moins tenté de t'imaginer à poil au lieu de suivre le cours ! » Mais je ne le ferai pas, bien entendu. Déjà, parce que je suis un lâche, ensuite parce que j'ai l'instinct de survie et enfin, parce que les punchline qu'on imagine passent toujours mieux dans sa tête que dans sa bouche : on bafouille, on maximise l'effet qu'elle peut avoir, et on finit par être source de moquerie. En l'occurrence, la phrase ne serait pas du tout passée, peut-être parce que le cours n'est pas foncièrement rébarbatif, peut-être parce qu'il y a longtemps que plus personne n'imagine Mme Rodrigue nue. Je regarde ma montre, seulement 15 minutes que le cours à commencé. Encore 75 minutes à rêvasser avant que la sonnerie me sorte de ma torpeur. Alors pour passer le temps, j'imagine qu'à travers la fenêtre légèrement entrouverte, des corbeaux pénètrent dans la salle pour picorer les yeux de madame Rodrigue et pour lui arracher la langue. J'imagine sa réaction, elle agiterait les bras dans tout les sens, elle crierait des sons inaudibles ; logique puisqu'elle n'a plus de langue. Autour d'elle les élèves crient, pleurent ou tentent de l'aider, à moins qu'il ne rient à gorge déployée, par bêtise ou par sadisme, croyant à la farce ou au destin. Les secours viennent mais les corbeaux sont déjà partis. Les corbeaux ne sont jamais venus. Si la prof savait ce qui se passe dans ma tête, elle m'internerait probablement. D'ailleurs, je suis à peu près sûr que si les gens apprenaient que mon unique passe temps est de les imaginer mourir, ils ne me parleraient plus du tout.

     La première fois que je l'ai fait, que j'ai vu et entendu la mort imaginaire, c'était par colère. Un imbécile m'avait volé mon goûter et gratifié d'une jolie baffe qui avait permis à ma joue d'accomplir un de ses rêves d'enfant en virant à l'écarlate. Trop frêle pour me battre, trop froussard pour m'adonner à la délation, trop pacifique pour fomenter une douce vendetta que je n'aurai accompli que 10 ans plus tard, j'ai choisi de l'imaginer s'étouffer avec ma compote, haleter puis mourir. Au début, c'était juste pour évacuer le stress, un recours incongru pour évacuer mes vices, c'était rare, occasionnel. J'avais peur qu'on découvre ce petit secret, comme si ce genre pensée pouvait être dévoilé. À l'époque j'étais naïf, c'était avant que je comprenne que chacun possédait ses petits secrets tordus, et que les regards des autres perdent leur importance, leur suprématie et leur influence. Et puis, c'est devenu courant, commun ; j'imaginais des personnes mourir, des personnes que je connaissais, des inconnues, des proches, des amis, de la famille, des professeurs ou des personnages fictifs. Je me suis longtemps demandé si mon passe-temps faisait de moi un fou, un psychopathe, un sociopathe, un sadique ou même un tueur potentiel, un assassin en puissance. C'est compliqué. Je n'imagine pas toujours des morts violentes, pas plus que je ne feins d'ôter moi même la vie. Ça arrive bien entendu, mais je conçois parfois des morts tragiques, des morts burlesques, des morts spectaculaires ou des morts banales, qui sont néanmoins les plus fréquentes. Je rêve à des morts émouvantes, des morts inentendues, des morts impossible et des morts sanglantes. Il m'est même arrivé de songer à des morts poétiques ou même des morts joyeuses. Imaginer un agent de la sncf se faire percuter par un train à un endroit où il n'y a pas de rames, quel est le mal à ça ? Alors j'ai cessé de me brider, pensant que ce passe temps en valait bien un autre, qu'il était moins dangereux que boire ou se droguer, je n'ai jamais su concrètement la différence entre ces deux activités, et que la plupart des individus voyaient bien pire dans leurs films et dans leurs jeux. Driiiiiiiiiiiiing.

     C'est la fin du cours, enfin. D'ailleurs, c'est même la fin de la journée, quelle aubaine. L'heure de rentre chez soi en empruntant le chemin qu'on emprunte tout les jours, d'être surpris par les aboiements du chien qui garde depuis des temps immémoriaux la dernière maison de la rue des chrysanthèmes, et de finir par prendre une tartine de Nutella devant Friends, qui a la chance de passer sur à peu près toutes les chaînes de télévision. À la sortie du lycée, une fois le nuage de fumée passé, je retrouve mes amis pour m'adonner à l'habituelle discussion de fin de journée. Je suis convaincu que parmi les plus grand fléaux que l'Homme connaisse, parler sans avoir quoi que ce soit d'intéressant à raconter, parler pour ne rien dire en fait partie. Et si, parfois, la discussion du soir donne l'occasion d'apprendre des anecdotes croustillantes ou des conversations passionnantes, la plupart des fois, il ne s'agit que d'une longue chaîne de logorrhées qui s'enchaînent sans se suivre. Et aujourd'hui, la discussion était chiante. Alors j'imagine des créatures faites de fumée surgir de l'oppressant nuage et happer les fumeurs des alentours. Ils les ramènent vers le nuage, on entend des crissements, toutes sortes de bruits venus d'un autre monde. Les gens fuient, et moi, je reste, admirant le spectacle. Et le temps que le nuage se dissipe après n'avoir laissé que moi sur la place, alors qu'il ne libères que des cendres et quelques vêtements, la discussion s'achève.

     C'est donc le moment d'entamer la dernière marche de la journée, seul. Ça serait probablement le moment le plus agréable de la journée si ce foutu chien ne s'évertuait pas, à chacun de ses passages, à briser le silence que j'affectionne tant et à me faire lamentablement sursauter. De tout les êtres que j'ai fait vu mourir, celui ci doit bien être sur le podium des morts les plus fréquentes. C'est simple, si je devais lui donner une croquette à chaque fois que je l'imagine se faire poignarder par d'humbles citoyens qui comme moi en ont marre, ou même bruler accroché en haut d'un bucher, il serait devenu tellement gros et rond que la mappemonde ressemblerait à une gigantesque paire de fesse. Tiens, d'ailleurs, je le vois bien se faire dévorer vivant, par des zombies ou des roms. Le temps de me rendre compte que je viens d'avoir une pensée sacrément raciste, je réalise que je suis déjà au bout de la rue des chrysanthèmes et que je n'ai entendu aucun aboiements, pas même un petit râle timide. Intrigué, je me retourne, me dirige vers la maison de l'infâme canin et interpelle la dame qui bouquine dans le jardin et qui, me semble t-il, est la mère de la petite fille à qui appartient le petit chien : « Où est passé Kenny ? » Je ne me rappelle même plus comment je connais le nom du clebard, mais bon, la haine, ça crée des liens. Elle me répond : « Avec Lola et son père, chez le vétérinaire. Il semblerait que Kenny ait eu un accident. Un couteau dans le ventre à ce qu'il paraît, mais je ne suis pas sûr, je viens d'arriver. »
C'est bizarre, cette histoire me rappelle étrangement quelque chose.

     Le temps de cogiter superficiellement à tout ça, je suis déjà devant chez moi. J'entends des sanglots venir de l'intérieur de la maison, et le flot inexorable de voiture qui circulent devant chez moi. J'hésite à rentrer. J'ignore de quoi il retourne mais ça ne vas être agréable. Oh, et puis, je n'ai nul part où aller, si ce n'est sous une des voitures qui défilent derrière moi. Je rentre la clé dans la serrure, inutile puisque, semble t-il, la porte est ouverte. Je l'ouvre, le son des pleurs s'intensifient, je rentre ; c'est ma mère. Ça ne me rassure guère. Elle se retourne et me fixe, elle a dû m'entendre arriver. Je la fixe à mon tour, un sentiment de malaise m'habite, j'ai l'impression qu'une goutte d'acide se promène sur mes os et pénètre mes muscles. Elle me dit : « Ton ancêtre est ... parti, il s'en est allé rejoindre mamy, ... » Elle continue de parler mais je n'écoute pas... Les gens font toujours ça pour annoncer la mort de proches, ils usent et abusent de circonvolutions et de métaphores pour diminuer l'effet que provoque la nouvelle, mais dans le fond, ça ne change rien, ça ne diminue rien du tout, ça retarde juste le moment où je comprendrai que je ne reverrai plus jamais mon grand-père. On l'appelais l'ancêtre, parce qu'il était vieux et que, d'après mon père, il a toujours fait vieux, con rajouteraient certains. J'entends des bribes de phrases, des morceaux de mots qui viennent séparer des sons incompréhensibles. J'entends parler de crise cardiaque, d'héritage, de paradis et de mort affreuse. Je l'aimais bien moi, l'ancêtre. Il n'a jamais vraiment été aimable ou affectueux, mais c'était quand même mon grand-père, il ne méritait pas l'infarctus qui l'a déséquilibré quand il fumais sa pipe, ni même la chute qui lui a rentré ladite pipe à travers la gorge. C'est vrai que c'est horrible comme mort. Tous les vieux devraient mourir dans leur lit, sans douleur ni tourments... En même temps, c'est un peu marrant aussi. Typiquement le genre de mort que j'aurais pu imaginer. Je souris, une seconde, et la seconde passé, mon sourire s'efface. Je me demande ... si je ne l'ai jamais imaginé cette mort. Il est certain que j'ai déjà élaboré dans ma tête plusieurs manières pour l'ancêtre de mourir, mais celle-là... Je ne sais pas, c'est probable... C'est bizarre, j'ai peur, et le sentiment de malaise s'accroît, la goutte d'acide devient une rivière. Suis-je responsable ? C'est impossible, on ne peut pas tuer qui que ce soit en rêvassant, ce n'est pas possible. Je me ressaisis. Puis je défaillis à nouveau. Le petit chien, Kenny... Lui aussi a trouvé la mort dans d'étranges circonstances. Qu'est ce qui se passe. Je ne comprend rien. C'est moi ou c'est pas moi ? Nan, parce que, si je suis à l'origine de ces...évènements, ça fait de moi un meurtrier mystique et un sacré connard qui s'en prend aux vieux et au chiens. En revanche, si il ne s'agit là que de coïncidences, ça veut dire que je suis un paranoïaque avec un passe-temps bizarre. Je ne sais pas ce que je préfère. Il faut que j'arrête, c'est la meilleure solution. Si j'arrête d'avoir ce genre de fantasmes, si je trouve un vrai hobby, je n'aurais plus à paniquer pour ça, je ne serai, dans tout les cas, ni un meurtrier, ni un aliéné. Le temps de faire mes devoirs, de diner et de me coucher, je suis résolu. Je vais me mettre au basket ou au jeet kun do, mais dans tout les cas, j'arrête les rêves éveillés morbides et j'essaie d'oublier cette histoire.

     C'est une torture. Mes journées ne m'ont jamais parues très passionnante, mais depuis le sevrage, c'est infernal. Ça ne fait qu'une semaine et je n'en peux déjà plus. J'ai essayé le basket, et j'ai découvert que j'étais vraiment nul ; ça paraissait nettement plus simple dans les mangas ou sur la console. J'ai voulu tenter la cigarette, mais ça coûte vraiment trop cher, je n'ai clairement pas les moyens. Alors j'attends que les jours passent, je remplis le néant de ma vie avec du vide, et ça m'irrite, ça m'irrite beaucoup. Hier à peine, je me suis énervé contre Timothée, un ami, parce qu'il m'avait proposé de, je cite, « monter en haut ». Je ne sais pas ce qui m'a pris, ce pléonasme m'a mis hors de moi, j'ai failli le frapper, et puis je me suis dit que porter un prénom comme ça était une sanction ad vitam eternam suffisante, je n'allais pas en rajouter. En outre, son imposante musculature et sa ceinture noir de je-ne-sais-plus-quoi on peut-être influencé ma réaction. Je devrais être plus présent pour mes amis, surtout quand ils sont en train de me parler. En même temps, la théorie de Marion sur la portée philosophique des textes du chanteur engagé Booba, me laisse un peu perplexe, voire carrément indifférent. Je regarde le nuage de fumée, nostalgique. Je détourne rapidement les yeux vers Marion qui, à défaut d'être inintéressante, est assez captivante. Je ne m'étais jamais rendu compte qu'elle était aussi jolie, trop occupé à l'imaginer s'empoisonner en se piquant sur un rosier, et mourir dans l'aube écarlate que forme ses pétales. Ça aurait dû me mettre la puce à l'oreille, il n'y a qu'elle que je rêve de voir mourir aussi niaisement... Dommage qu'elle ait un copain. Dommage pour qui ? Pour moi, et pour tout les bouffons qui passent leur temps à la regarder. Ces quatre imbéciles de psœudo-gangsters putrides qui pensent s'affirmer en tant qu'homme en perdant leur humanité. Ces nuisibles qui ne viennent au lycée que pour racketter des pauvres malchanceux insignifiants, ces répugnantes créatures qui insultent les laides et qui traitent les moins moches de putes, sans comprendre que se faire rembarrer par une catin quand on a de l'argent, c'est terriblement humiliant, je les déteste. Je les déteste tous. Si je pouvais les faire taire, les faire fuir, les calmer à tout jamais, ces chiens... Je peux. Ce n'est pas impossible que je puisse les passer sous silence. Le puis-je ? Bien sûr que non, personne ne possède ce genre de pouvoir. Malgré tout, comment pourrais-je en être sûr ? Le sevrage ne résout rien. Ça ne m'avance pas plus, je ne sais même pas si c'était moi, et je ne le saurai probablement jamais si je continue comme ça. C'était une erreur. Il faut voir les choses autrement... Tout d'abord, je dois vérifier, être sûr. Si jamais je ne suis qu'un humain parmi tant d'autres, je pourrais reprendre mon passe-temps sans me soucier d'impossibles conséquences. Et si j'ai effectivement un don... Je pourrais m'en servir, faire le bien, sauver des gens... Si tel est le cas, si je suis une sorte de Dieu, je n'aurais qu'à me dire que les deux...échecs précédents n'étaient que des accidents. L'erreur est humaine. C'est con, parce que je suis convaincu que cette phrase doit être beaucoup plus percutante en latin, mais j'ai arrêté depuis trop longtemps, et plus personne ne parle le latin, sauf au Vatican, mais je ne vois pas pourquoi j'irai parler de ce genre de truc à un prêtre. Je crois que je divague. Il est temps de reprendre les rêves éveillés et de faire quelque chose de ma vie, et je sais par qui je vais commencer.

     Ça doit faire plus d'une semaine que personne n'est mort, je suis déçu. Je ne devrais pas penser ça, mais personne ne peut m'entendre. Ah si, il y a bien eu ce moustique... Mais bon, je l'ai écrasé, je suppose que ça invalide le décès mystique. Plus que quelques minutes et je serai chez moi. Tiens, voilà la maison de feu Kenny. La dame me sourit, je la salue en retour. Elle est gentille. Un peu froide certes, mais c'est assez agréable en réalité. Elle ne te demande jamais si ça va, parce qu'elle s'en fiche probablement. Elle a le mérite de le reconnaître, et même de l'assumer. Des interactions sociales réduites au nécessaire, voilà ce que j'aime sur ce chemin. D'autant plus que si le chien n'aboie plus... Est-ce de la nostalgie ? Non, juste de l'habitude je présume, ce genre de trajet est un point fixe dans ma vie, quelque chose qui ne change jamais, qui s'y refuse. Mais aujourd'hui, c'est différent. Il y a des gens. Des gens que je n'aime pas. En fait, je les hait. Toujours quatre. Ils me lancent un regard mauvais. Ils sont en train d'importuner une jeune femme. Au vu de son visage et de sa proximité avec celui du plus grand des caïds, j'en déduis qu'il n'y a pas que son regard qui est mauvais. J'aimerai tellement que ces violeurs en puissance soit punis, que justice soit faite, et que ce soit fun si possible. Ce qui serait drôle par exemple, ce serait que la fille soit ceinture noire de quelque chose, qu'elle étale les quatre gaillards en trois coups ou moins. Ils se débattent, elle se prend une violente mandale. Elle s'énerve, décroche la mâchoire du grand puant. Le petit se relève, sort un couteau, la menace. Le moyen, sûrement le plus lâche, insiste pour que leur pote soit vengé, il lui crie dessus, le provoque, lui gueule qu'il ne sera jamais un homme si il ne peut même pas se défendre contre une gonzesse. Est-ce que les racailles utilisent encore le mot gonzesse ? Qu'importe, la fille semble se marrer, le grand gémit, le grand perd patience, le petit ricane et murmure que son père a raison de le battre, et le dernier reste toujours immobile, tétanisé. Le petit pousse le grand, qui dans sa course ivre tranche la gorge de l'homme statue, qui s'effondre. Le grand le regarde, hurle et fonce sur la fille qui retourne son arme contre lui. À la vue de son ami poignardé, le petit se met à courir. Mais la fille attrape le couteau, le lance, et ... Et il semble que, perdue dans mes pensés, je n'ai pas cessé de les regarder. Ça a dû les vexer, parce qu'il m'encerclent en fait. Je ne vois plus la fille. D'ailleurs, vu qu'ils ne sont que quatre, je dirai plutôt qu'ils m'encadrent. Je baisse la tête. Le grand me dit : « C'est moi que tu regardes ? » Je ne répond pas. Il répète : « C'est moi que tu regardes ?  Répond moi ! » Cruel dilemme, soit je reste mutique, et ils y verront un acte de faiblesse, débouchant assurément sur une violente rouste, soit je leur répond, et percevront ça comme un manque de respect, ou une insulte, et ... et ça revient au même ; je vais passer un sale moment. Pendant que le grand m'attrape par le col, en me fixant, les 2 moyens me vident les poches et le petit me colle des petites baffes. Des baffettes. Des baffounnettes. Des baffounnettes qui font vraiment très mal. Si j'avais su que je ferai parti des pauvres malchanceux insignifiants... C'est ironique, ça me fait rire, un tout petit peu, assez pourtant pour qu'il s'en aperçoive et me décroche la mâchoire. Ça fait plus mal que je ne l'avais imaginé. Merde, ça ne devait passer comme ça, ça ne devait pas être moi. Je pleure ça les fait rire. Ça a également dû les inspirer, ils m'ont ordonné de leur donner mes vêtements. Je pourrais courir, ils sont tous en face de moi, je pourrais m'enfuir, filer aussi vite que le vent. Mais je m'exécute. Et je leur donne mes vêtements, tout mes vêtements. Ils me regardent à nouveau, de long en large, se moquent et s'en vont comme si de rien n'était. Le retour va être long.

    Enfin chez moi. Humilié, blessé, souffrant. Je suis en colère, terriblement en colère. C'est la fin du calvaire. Pendant que je monte les escaliers, je remercie la chance de n'avoir mis personne sur la route. Mon secret restera à jamais ... secret. Oui mais ma mère. Ma mère qui a dû entendre le bruit des clés dans la porte. Ma mère bien aimé qui me regarde interloqué. Qui me regarde avec pitié, avec chagrin. Elle dit quelque chose. Je n'écoute pas, je me réfugie dans ma chambre, ferme la chambre à clef. Juste le temps de me calmer. De me calmer et d'enfiler des putains de vêtements. Elle me demande si je vais bien, elle me dit s'inquiéter. Comme si j'avais l'air d'aller bien. Je lui crie de me lâcher. Elle insiste pour me conduire à l'hôpital. Je n'ai vraiment pas envie que qui que ce soit, qui que ce soit d'autre soit témoin de ma déchéance. Elle tambourine la porte. Je lui hurle de ma laisser. Si seulement elle pouvait arrêter de mer raviver la honte qui me brûle de l'intérieur. Qu'elle brule elle, qu'elle soit dévoré par le chat, qu'elle aille tout droit en enfer, qu'importe tant qu'elle s'en aille. Je ne peux pas rester dans cette maison, je ne peux plus. Je n'ai pas vraiment d'ailleurs où aller. Tant pis, je trouverai. Je déverrouille la porte, pousse la femelle mortifère et dévale les escalier. Je n'ai rien pris. C'est vraiment débile comme idée. Je me hâte, elle me demande de m'arrêter. Elle pleure semble t-il. Rien ne saurait moins m'importer. Et descend apparemment l'escalier à son tour. Une marche, deux marches, six marches seize marches...elle descend beaucoup trop vite. Le temps que je me retourne, elle est déjà allongé par terre, au pied de la première marche. Elle est tombée. Qu'est-ce que j'ai fait. J'accoure vers elle, lui parle, la prend dans mes bras. Fais quelque chose d'intelligent. Je prend son pouls. En réalité, je ne prend pas grand chose, il n'y a rien à prendre.Je pleure, lui présente mes excuses. Je suis sincère en plus. J'imagine cependant que la culpabilité joue aussi. Il faut que j'aille prévenir quelqu'un. Non, mieux, il ne faut pas que je reste là. Ils ne doivent pas découvrir que c'est moi, que c'est de ma faute. Je n'étais pas là, je n'ai jamais été là. Je me retourne vers la porte, l'ouvre, et me mets à courir comme j'aurais dû le faire tout à l'heure. Je cours vite dans la rue déserte, me retourne pour vérifier que je ne suis pas suivi ; je ne suis pas suivi, puis me retourne à nouveau pour prendre le virage et voir la voiture arriver sur moi. Je suis au croisement de la rue des chrysanthèmes et de celle des coquelicots, et je vole. Et je tombe. C'est vraiment la mort la plus moisie que j'avais imaginé. Mais c'était la seule sont il était sûr d'être responsable.

     Des gens, tous habillés en noir, déambulent dans le cimetière. Nul ne parle, même les brins d'herbe se taisent. Les proches se recueillent. Le père est affligé. Trois décès en moins de deux mois, ça commence à faire beaucoup. C'est trop pour un seul homme, pour un homme seul et éploré. Les gens défilent pour lui dire qu'ils sont désolé, qu'ils compatissent, enfin, toutes sortes de banalités. Sauf une, une dame qui apparemment connaissait quelque peu son fils. Qui lui parlait parfois. Elle, elle n'a pas perdu son temps à se lamenter et à se plaindre. Elle voulait juste dire que Kenny allait mieux.

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