Le château

aile68

J'habite un château avec dix pièces et dépendances, je suis la fille du jardinier. J'astique les sols et reçois les invités de Madame. Je m'occupe des bouts de choux quand leurs parents sont de sortie. Je les emmène au square et ils jouent avec les autres enfants. Le jeudi est mon jour de congé, je vais alors en ville m'acheter deux, trois colliers et autres colifichets, j'ai hérité des vêtements de ma mère. Mon père je le vois tous les jours par la fenêtre quand il s'occupe des plantations et de l'entretien du jardin. On se fait de petits signes discrets et on s'envoie des baisers. Même si c'est une chipie, je suis amie avec la lingère du château, on se moque du majordome et de ses airs pincés. Le château est un état à lui tout seul, il y règne une douce odeur de cire. Mon patron est diplomate à l'ambassade de Chine, ma patronne elle, court les expos et les musées à la recherche du phénomène artistique du moment. Ils ne voient pas beaucoup leurs enfants, y en a déjà un en pension à dix ans! Pour les vacances je prépare les valises, je vais avec eux en Normandie. Trois semaines à la mer c'est fabuleux! On fait des châteaux de sable avec les enfants et on se promène sur la plage avec la poussette.

Aujourd'hui j'écris au petit qui est en pension. Il a la bronchite. Je le réconforte avec une jolie carte, un lion, son animal préféré. Il aime bien s'occuper du jardin avec mon père, ses parents voient cela d'un mauvais oeil, ce n'est pas de son rang comme ils disent en cachette. Mon père n'est pas un mécréant. C'est une noble personne même s'il a les bottes toute crottées et les mains rugueuses d'un travailleur. Il n'entre jamais au château. Peu importe, notre maison est coquette et sent la lavande. J'y viens faire le ménage après mon travail. La propreté est notre credo, notre marque de fabrique. Ma mère me l'a enseignée dès l'âge de cinq ans, avec amour et douceur. Quand je me lave les mains avec du savon, je pense à elle, quand la jolie mousse me caresse les mains, c'est doux comme une peluche. 

J'habite un château avec dix pièces et dépendances, je suis la fille du jardinier, une soubrette de peu de valeur sur l'échelle sociale, n'empêche que c'est vers moi que les enfants courent quand ils ont besoin de quelque chose. Ce que les enfants donnent vaut autant que le sourire de ma mère dans mes rêves la nuit quand je dors dans mon petit lit à côté du landau du petit dernier. C'est comme si j'étais mère à mon tour. L'amour m'entoure et me couvre telle une couverture au milieu de la nuit.

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