Le cirque est en ville

Kanon Gemini

Aujourd’hui, pour changer, je vais vous parler d’un évènement local, qui illustre bien l’état de délitement de notre pays.


     Aujourd'hui, pour changer, je vais vous parler d'un évènement local, qui illustre bien l'état de délitement de notre pays. La première page du quotidien « La presse de la Manche » nous met l'eau à la bouche en nous expliquant que 350 collégiens n'ont pas pu faire leur rentrée au collège Jules Ferry de Querqueville, bloqué par une grève de l'équipe pédagogique. Cette petite commune de 5000 habitants est rattachée, suite à la fusion de communes intervenue en 2016 (vous savez, ces super communes censées faciliter la vie des citoyens, mettre en synergie les services, baisser les impôts et obtenir de meilleures dotations de l'Etat) à Cherbourg-en-Cotentin (que celui qui a trouvé ce nom moisi se dénonce). Elle ne pensait surement pas se retrouver sur le devant de la scène pour un évènement de cet ampleur: du jamais vu. Une rentrée annulée!! 


     Alors on va commencer avec le factuel. Qu'est ce qui s'est passé pour que les enseignants en arrivent à ce point? Encore une fois, ce qu'ils dénoncent est un manque de moyens pour mener à bien la mission qui leur est confiée: des classes bondées, un manque de personnel. Les chiffres sont éloquents: les 3 classes de 6ème comptent 30 élèves, dont 2 doivent inclure 6 élèves de classe Ulis, qui n'auront qu'un seul AESH, soit jusqu'à 32 personnes assises. « Il faut parfois installer les élèves devant les sorties de secours » s'inquiètent les parents d'élèves. L'inspectrice d'académie, sentant que la situation commence à refouler sérieusement, fait celle qui tombe des nues, mais promet qu'elle va écouter les enseignants ( à mon avis, elle va juste les entendre, comme un bruit de fond, quasi annuel depuis 20 ans).


     Pour évacuer les rageux (ouin, ouin, les profs ils ont rien branlé pendant 2 mois et ils se mettent en grève. Ouin Ouin comment je vais faire pour garder mes enfants), on va chiffrer un peu tout ça. Donc niveau salaire, l'enseignant débute à 1200€ pour finir à moins de 3000€ en fin de carrière (comptez 20 ans). Le temps de travail d'un enseignant tourne autour de 40H ( environ 20H avec les élèves, 16H en activités pédagogiques, 3H d'activités avec la communauté éducative, 3H autres tâches). On est bien loin des clichés des 20H de travail hebdomadaire. Ce temps varie évidemment tout au long de la carrière: Il est plus important en début de carrière (à 1200€ je vous laisse faire le calcul, mais on est largement en dessous du SMIC horaire), moindre à l'arrivée de la famille, et plus important en fin de carrière pour grimper les échelons. Puis bon, soyons honnêtes. Pour ceux qui sont parents, des fois notre progéniture nous tape sur le système, et si on peut s'en débarrasser avec un smartphone, un kinder ou du calvas dans le biberon (rayez la mention inutile), on ne se prive pas. Alors imaginez s'occuper de 30 gamins, qu'il faut garder éveillés et concentrés, et non pas jouer avec… Sans parler des sorties d'école où tu as Marie Catherine qui vient te les briser menues parce que tu as mis une punition à Kevin, qui est casse couilles parce qu'il est surdoué/ hypersensible/mal élevé (Attention piège: il n'y a qu'une mention à garder). Enfin, pour les plus chanceux, on les enverra tourner la suite de Robocop dans une ZEP où leur prime (de risque?) leur servira juste à payer leur fusil à pompe ou gilet pare-balles. Bref, on peut dire que l'on a affaire à des passionnés.


     Bon, maintenant, revenons en aux faits. Une énième grève du corps professoral pour dénoncer des conditions de travail extrêmes. Alors oui, ils ont frappé le jour de la rentrée car ils alertent depuis février de la situation, et que, comme toujours dans ce cas, les ministres comme les directeurs d'académie se retranchent dans « tout va bien, la rentrée s'est bien passée » et reprennent des petits fours avec une grande tape dans le dos. Car ce qui est valable pour les professeurs, l'est aussi pour les autres fonctionnaires. Citez moi un seul corps de métier de la fonction publique qui ne dénonce pas ses conditions de travail? Je n'en ai qu'un: Bercy (les impôts). Ça situe bien les priorités du gouvernement: prendre toujours plus, donner toujours moins. Car on en est là. Nos services publiques étaient réputés comme étant les meilleurs il y a 40 ans. Aujourd'hui, ils sont un état de délabrement total. Ils avaient la réputation d'être « gratuits » (payés par la collectivité pour le bien commun en fait). Ils coutent extrêmement chers aujourd'hui pour le service rendu. Magie du calendrier, une amie m'a appelé ce matin pour m'expliquer que sa fille entrant au lycée n'avait pas de place dans les lycées de son affectation. En gros, elle a trouvé une place à 40 minutes de chez elle, par piston, et sa fille va devoir se lever aux aurores ou loger chez ses grands parents. On peut aussi noter la dégringolade au classement PISA. Entre 2000 et 2018, le score de la France a chuté de 12 points en lecture, 22 en mathématiques et 7 en sciences. Comme sur beaucoup de choses, la France vit sur ses acquis et refuse de se remettre en question, vivant sur un passé glorieux. Mais voilà, le monde a bougé. La mondialisation existe, c'est un fait. Et la refuser en se refermant sur soi comme une huitre ne donne pas forcément foi en l'avenir. Il ne faut pas s'y tromper d'ailleurs: ce n'est pas pour rien que les jeunes partent de plus en plus à l'étranger et y restent durablement. 


      D'un point de vue personnel, je trouve ça complètement stupide de ne pas investir dans le futur de notre pays, tout ça pour des règles comptables faites au doigt mouillé. Car il n'y a pas 36 manières de penser: soit tu investis massivement dans ton enseignement pour te tourner vers le futur, soit tu le sacrifies discrètement mais c'est une politique à court terme. Tu perdras de plus en plus d'emplois qualifiés, de recherches sur les nouvelles technologie (Sanofi en est un exemple pour le vaccin contre le covid), il ne restera que des boulots mal payés, donc moins de rentrées d'argent, moins de consommation, plus d'aides à fournir pour que ta population subsiste (et non vive), mais comme tes rentrées d'argent sont moindres, tu empruntes, pour finir en banqueroute. Généralement, ça se termine par une inflation galopante, une monnaie qui ne vaut plus rien, des révoltes et du sang. La liste des pays glorieux qui se sont effondrés lentement mais surement est longue. On nous parle souvent de la Suisse avec ses salaires mirobolants. Alors oui c'est vrai. Le coût de la vie va avec néanmoins. Mais il faut surtout retenir que contrairement à l'idée reçue, ce n'est pas son secteur bancaire qui lui donne un PIB aussi élevé mais bien son industrie de pointe.


     De manière plus terre à terre, il faudra m'expliquer la logique de crier à la pandémie mais de tout faire pour qu'il y ait plus d'élèves par classe. Tout comme pour les hôpitaux avec les urgences engorgées mais où l'on supprime des lits. Ou encore faire fermer administrativement les petits commerces qui voient assez peu de clients après leurs avoir fait faire des investissements pour la sécurité, et de laisser les grandes surfaces ouvertes, brassant beaucoup plus de monde avec des distanciations rarement respectées (je vous laisse mesurer la largeur d'un rayon) et n'appliquant aucune jauge si ce n'est fictive. La seule logique que j'y vois, c'est de pousser les parents à se tourner vers l'enseignement privé, pour continuer de dégarnir le public. Une privatisation de l'enseignement pour faire simple, mais sans dire son nom, en toute hypocrisie. Et puis, une population mal éduquée est plus malléable, a moins d'idéaux de liberté. On assiste à cette privatisation d'ailleurs dans la santé également: moins d'argent pour l'hôpital public, des maternités fermées, moins de remboursement de la sécurité sociale (avec pourtant une augmentation des coûts) au profit des assureurs. Cette vision pourrait s'entendre si elle n'était pas aussi hypocrite, c'est à dire si l'Etat stoppait de prélever des services qu'il ne rend plus, et laissait les gens s'assurer selon leur convenance (out les mutuelles obligatoires) et fournissait des chèques éducation/ santé aux plus démunis. Au moins, ça serait clair. Mais en France, l'Etat a peur du privé, car si un secteur est privé, l'Etat n'a plus la main mise dessus, donc c'est moins de pouvoir. C'est avoir confiance dans les acteurs et les clients, bref, sa population. Et ça, ça n'arrivera jamais.


     Bref, tout ça pour dire que ces enseignants peuvent être fiers de leur action. Déjà, le nom du collège , Jules Ferry, qui est celui qui a eu une vision d'avenir pour son pays en misant sur l'éducation était prédestiné. Et que ces enseignants se soient levés, en risquant leur carrière, pour dire non aux comptes d'épicier, pour sauver ce qui peut encore l'être et envisager un avenir pour nos enfants, est la plus belle preuve que c'est en refusant d'avoir l'Etat pour maître, mais pour serviteur, que notre pays n'est pas définitivement foutu. Maintenant, aux parents de ne pas donner du grain à moudre à l'Etat en suivant majoritairement ce mouvement, sans se retrancher dans le traditionnel: Oui, mais c'est la galère pour mon travail. Tu ne veux poser des jours que pour tes congés, fais des économies, et achète des capotes! A bon entendeur…


Pour plus d'informations: https://actu.fr/normandie/cherbourg-en-cotentin_50129/rentree-annulee-au-college-de-querqueville-nous-avons-pris-la-decision-de-ne-pas-accueillir-vos-enfants_44563166.html

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