Le dernier rôle

caiheme

Une femme derrière sa fenêtre, posée, dans le canapé, creusé par l’habitude, regarde un album de photographies.

Une femme derrière sa fenêtre, 
posée, 
dans le canapé, 
creusé par, 
l'habitude, 
regarde un album, 
de, 
photographies.

Story-board de vie. 

Le ronronnement du caisson d'enceinte tremble, les sons se diffusent, le sonotone éteint, la femme n'a que la vibration. Une tisane au miel de sommeil repose sur une table en bois vermoulu. Des renoncules assoiffées tremblent dans le vase de poussières.

Le tremblement se fait ventilateur. 
L'hélice devient projecteur. 
Masculin féminin. 

Des traits de lumière, 
chargés de, 
projectiles épineux,
diffractent la, 
spectatrice, 
en milliers de,
 moucherons.

Font imploser les,
oculaires vitreux, 
durant la, 
vision.

Emerge du regard, 
deux sphères de charbon,
suintant une,
 boue sanglante, 
imbibée de, 
nerfs optiques,
fragmentés. 

Des silhouettes ombrées glissent sur le mur ocre de la chambre.
Le papier-peint se décolle.
Contourne les ombres. 
Les moucherons cousent le, 
palpable. 
Puis l'impalpable, 
bascule. 

La femme aux photos abandonne ses rêves, s'offre au sensitif. Les cadrans de ses sens fissurent, le sonore craquelle comme le sol gelé d'un étang d'hiver.

Les souvenirs percutent sa mémoire à la vitesse de
gravillons sur pare-brise. 
Des étincelles de verre, 
imprègnent l'atmosphère. 
La vitre du regard se remplit,
 d'étoiles,
 brisés. 

Sa peau se fait vitre. Son corps se fait cube. Exploratrice des zones inavouables, elle s'observe à travers les parois transparentes de l'aquarium corporel. Espionne directe de son propre monde. Les ombres continuent de danser, ondulent, telles des algues agitées par un courant aquatique.

Les sphères calcinées de, 
son regard, 
s'engouffrent dans les, 
sables mouvants, 
de sa mémoire. 
S'enfoncent dans les, 
marécages, 
de sa pensée.

Un glissement lent, ininterrompu, inexorable, creuse le passé des présents figés.

Les sphères deviennent, 
cratères, 
qui muent en rectums, 
vaselinés. 
Sphincters-pupilles dilatées.

La vieille femme se rappelle de Joe le Guide, les élucubrations vaseuses du filmeur de chair. Ses yeux sauvages et son air craintif d'animal, piégé. Ses yeux gris et brillants qu'il copiait, sur les chats errants, qu'il croisait. Elle se rappelle la rencontre des inconnus aux corps athlétiques et sculptés. 

Ces beautés éphémères, 
qui pariaient sur le temps, 
en devenant immortelles, 
dans l'enregistrement.

Mais la femme a vieillie, les photos ont jaunies, la maladie a fait disparaitre les partenaires de ses scènes sans romance. Sur l'album, les photographies prennent des sourires,
                                sournois et méchants qui laissent, 
                                                    entrevoir, 
                                     des dents félines et pointues. 

Les visages se fripent, les rides parcourent les images de papier à la manière de branches d'arbres dénudées. La main tachetée se pose sur le livre.

Une main fatiguée et moite ,
sur le glacé lisse,
 des images.

La peau-bocal de la vieille femme transpire, le fluide coule à travers les pores cristallins et coupants de son être. 

La sueur prend de la vitesse, le courant emporte les algues qui s'écrasent mollement sur la moquette. Elles s'agitent, hoquettent et s'asphyxient dans leur nouvelle atmosphère. Le végétal s'animalise. 

Des anguilles gluantes, 
ondulent, 
sur la laine grisâtre, 
du tapis, 
cendré. 
Les corps longilignes, 
fourmillent, 
entre les mégots plats,
et les verres ébréchés. 

La tête d'une renoncule se détache de sa tige, la fleur s'est fanée. Le dernier amant de l'ancienne actrice en errance arrive. Elle enfourche le crépuscule et s'éloigne avec lui.



Chanson : Une femme; de Philippe Cataix

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