Le fouteur de nuit

leo

Drapé du poids des vices, le vieillard aux humeurs ridées, s’engouffrait dans la ruelle aux mille marches. Luisantes de pluie, cette nouvelle épreuve accablait l’errance du malheureux  pourtant aguerri aux efforts vains, depuis si longtemps maintenant.

Le calvaire à venir lui semblait insurmontable. Il dût donc puiser dans son triste réservoir à souvenirs. Puiser dans sa si terne…âme. Il devait sélectionner cette autre, dans ses méandres intimes. Il s’y prenait à la façon d’un apothicaire,  prélevant la plante médicinale qui répondrait à son urgence, cachant son imposture et sauvant sa pseudo crédibilité en matière de courage. Les charlatans nomment les choses en latin, afin de décourager les esprits les plus vifs, capables de démanteler leurs savoirs, d’une incommensurable indigence. Il choisit donc avec soin Coraline.

 Elle sera celle qui lui permettra de relever ce nouveau parcours. Il n’avait fait que survoler ce réservoir intérieur de références humaines, car à chacune de ses difficultés, c’est l’âme de Coraline qu’il s’appropriait. Un froncement de sourcil survenait alors à chaque fois, comme s’il s’étonnait du résultat ; comme pour exorciser son obsession maladive que lui prodiguait le souvenir de cet être aux pouvoirs étonnants. Paré de sa vérité implacable : Coraline était mortelle et faible ne pouvant exister qu’au travers de ses seuls yeux, lui, Dieu de sa déperdition…

Le vieillard se fuyait lui-même en cet exil contraint, par manque d’empathie, par mépris et surtout par lâcheté. L’errance est le symbole d’un mal incompris, lui, Géronte, mâle incomplet, tenta la première marche dans un rictus mal contrôlé.

Il avalait sa souffrance, chargeant le fardeau de Coraline : schizophrénie de circonstance pour assumer la solitude de son châtiment. La fantasmant suppliciée à sa place, il se remémorait les qualités de la jeune femme qu’il broyait dans son effort. Il se délecta d’affliction en traître parfait qu’il était, mis au ban de tout sentiments humanistes.

Chaque marche d’amertume, il transposait Coraline en lui, ricanant de haine, d’amour dégoulinant de  fausseté, pour ne pas admettre dans le silence, l’admiration qu’il lui vouait secrètement. Cet effort sado-masochiste vînt à manquer d’air, il était résolument plus faible qu’elle, n’en déplaise à son orgueil. L’agiter tel un pantin dans son psychisme, ne réglait rien.il le savait mais il recommençait à chaque fois. S’épargnant toutes remises en cause, il masturbait son égocentrisme périmé, crachait ses poumons décrépits, persiflait des « salopes » dans sa quinte.

Il fît une halte à mi parcours, les pieds baignant dans une mare d’urine, dans laquelle il pouvait se mirer tel Narcisse l’eût fait avant lui. Ses inspirations saccadées, décomposaient les particules de pisse qui finissaient de lui écorcher ses alvéoles rachitiques. Ce napalm urinaire attisait en lui la haine des chiens, sa haine de lui.  Il aurait voulût crever sur place, dans cette flaque jaunâtre, ondulant au clapotis de ses spasmes, souillant un peu plus à chaque salve ses chaussures, rognées par l’asphalte.

Quand on perd la mort, on ne peut perdre la vie. Il était astreint à errer, contemplant sans y prendre part, la joie et les peines des hommes et des femmes…de Coraline. Il s’éparpillait dans les heures, se déplaçait dans les mois, s’évaporait dans les siècles, dans l’attente d’une hypothétique fin des temps…

Rien ne pouvait plus l’extraire de sa condition, il n’avait pas extirpé lui-même le fils de Dieu, du sang dont il était maculé, allant jusqu’à surenchérir le drame en lui crachant dessus de mépris. Ironie du sort, il croupissait, le temps de son interminable pose, dans ce liquide organique extrait du sang par les reins.

Sa situation émétique, l’encourageait à reprendre l’ascension. De déicide, il fût coupable, pourfendeur d’âmes il demeurerait. Il éclaboussait les rêves d’aujourd’hui des cauchemars d’antan. Il rappelait chacun à la faute, souhaitant mettre aux fers les libertés acquises. Il se hissait en ses dernières marches, la haine en oriflamme, rampant de tout son être. Il heurtait les arrêtes à chaque brassées, s’infligeait des stigmates de honte, des ecchymoses étendues de détresses. Etre déchu, se vautrant dans la fange de cette Terre honnie….

C’est l’histoire d’un mythe, celui du juif errant…d’une réalité surtout, qui oblige le lâche, le méprisant, à porter le visage d’autrui, à vivre les histoires des autres. Réceptacle d’imposture pour combler son manque de vie, son plein de vide. Ces tristes personnes qui refusent d’assumer le drame qui est le leur, qui s’improvisent laborantins, encourageant les autres à faire ce qu’elles ne sont pas capables de faire elles-mêmes. Jalousant la force cachée, de ceux qui s’en sortent,  alors qu’ils les croyaient recouvert de merde à n’en plus s’en dépêtrer. Fantasmer l’autre dans le malheur, l’aimer là, embourber à n’en plus bouger afin de l’y retrouver à sa propre convenance pour soigner son égo déficient, pensant valoriser ainsi sa propre existence, qui n’est bien souvent qu’une très pâle copie de ce qu’ils exècrent…

« Qui maîtrise les odeurs, maîtrisent le cœur des hommes », écrivait Suskind. Les apprentis Dieux, au nez encombrés du mensonge qu’ils profèrent, se rabattent sur les maux d’autrui. Ils incitent à la confession des faiblesses pour mieux en maîtriser leur auteur. La chirurgie esthétique est au corps ce que le mensonge est à l’âme, le plus grand des malheurs étant que ce dernier soit gratuit. Avant d’être ce médecin légiste disséquant le cœur des autres, il faut tâcher de connaître la composante du sien.

Ce qui différencie l’authentique de l’imposteur, c’est l’acte, qu’il associe aux mots, si faciles d’usages…

  • je relis (je dis relis) ce texte, le commentaire monte, enfin...t'as un sens du récit, des images qui servent à le booster - fort. Faut creuser là dedans. Le thème, qui reste préférable comme "difficile", convient à notre époque...Qui parle du "Parfum" ne peut qu'être bonnard. Bisous

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Crater orig

    gun-giant

  • tout est déjà dit ....j'adhère j'adore

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Iphone 19novembre2011 013 orig

    Manou Damaye

  • Un texte qui "aile" les neurones ouvre et aère aussi les cœurs.

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Avatar orig

    Jiwelle

  • Un texte magnifique, avec une moralité qui devrait faire réfléchir certains ... Bravo Léo ..Il est toujours appréciable de te lire !

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Photo profil orig

    confessions-dune-ame

  • Non seulement je lis très fort, mais j'acquiesce en toute chose.

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Burton 1 orig

    inta

  • fouteur de nuit ... brr qui me fout la trouille

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Img 0012

    ristretto

  • Bravo Léo un texte puissant et fort comme un cri. En écho à nos échanges je trouve que votre écriture se distingue sur WLW. On ne peut pas vous lire entre deux portes. Vos écrits pénètrent dans l'âme, y déposent des strates de sens et poésie. J'y reviendrais donc plus tard car cette prose me touche physiquement. Amitiés.

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Marker jetee2 orig

    raudry

  • voilà c'est bien dans ces écrit là que je retrouve une écriture tres personnelle qui m'accapare merci

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Default user

    la-louve

  • Des vieillards de ce type, ça court les rues, malheureusement...J'aime beaucoup ta phrase finale, si vraie! Bravo Léo!

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Dsc03683

    ellyelly

  • Sublissime. De grande envergure, une écriture soignée, précise et juste. Encadrée par un profonde réflexion dans laquelle on se reconnaît. Chapeau Léo. Coup de Cœur !

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Dargon d absinthe orig

    Lézard Des Dunes

  • Quelle force Léo dans ce nouveau texte ou un pauvre être se bat malgré lui contre le néant, une parcelle de vie Coraline qui le hente dans sa schizophrénie l'aidera t'il à retrouver la lumière ? Sincèrement Léo, un copyright de tous tes textes est nécessaire. Ta plume est unique...Amitié Jeanne

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Images 6  orig

    Jeanne S.

  • Raffiné, dense, admirable. On croirait ce texte écrit par un Etre Humain justement.

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Mcs btndown orig

    .

  • Texte particulièrement dense et réaliste. Tu as utilisé ta très jolie écriture pour élaborer le portrait d'un personnage vide de vie qui effraie. Bravo Léo.

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Extraterrestre noir et blanc orig

    bibine-poivron

  • Quelle belle écriture! La force d'un poids lourd et la vitèsse d'un poids mouche, super Léo, vraiment génial.

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Mn 35 orig

    lapoisse

  • Remarquable!

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Atchk orig

    yunahreb

  • Style personnel et profondeur du contenu sont les deux mamelles de ton écriture.

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Photo chat marcel

    Marcel Alalof

  • ... Léo?

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Bambou orig

    ko0

  • "Humain trop humain..." et avec Coraline une tentative de rédemption ? A la page 2 j'ai compris la direction, profond, Léo, celui ci va loin, celui ci parle d'un chacun... (Au fur et à mesure, je trouve l'écrit, l'esprit de plus en plus affiné, pensé et retranscrit)

    · Il y a plus de 13 ans ·
    E amoureuxdeparis vi orig

    interlude

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