Le vieil homme et l'amer

petisaintleu

Un ami m'a rapporté cette anecdote lors d'un entretien avec un recruteur :

Le recruteur :

—     Je vois que votre dernière expérience est de deux ans. C'est un peu court, non ?

Suivi quelques instants plus tard d'un :

—     Vous êtes au chômage depuis deux ans ? (!!) C'est long, non ?

Il a près de trente ans d'expérience, un parcours impeccable sur 87 % - (1-(4/30))*100 – de sa vie professionnelle.

En l'espace de deux minutes de petite mort, il a vu défiler six lustres où il n'a pas compté ses heures. Il s'est remémoré ses premiers mois dans le monde de l'emploi. Il était chaperonné par un vieux de la vieille qui lui transmit avec amour toutes les ficelles de son métier.

Il a souvent culpabilisé. Son papa était veuf depuis longtemps et souffrait d'Alzheimer. Combien de fois lui avait-il promis de lui rendre visite et annulé à la dernière minute pour un dossier urgent à finaliser ? Ses enfants sont désormais adultes. Il a payé ses absences en leur donnant les moyens de faire les meilleures études. Il pourrait profiter de sa liberté imposée pour les visiter. Mais  c'est loin le Canada et l'Australie. Alors il jongle avec les décalages horaires et leur peu de disponibilité entre leur carrière à construire et leurs sorties entre potes  pour discuter sur Skype.

Il s'est levé, calmement. Avant de le quitter il a pris la main de son interlocuteur et a perçu dans son regard un malaise kinesthésique d'avoir à lâcher son smartphone pour lui citer du Georges Sand : « Vieillesse de l'esprit, que tu es difficile à concilier avec la jeunesse du cœur ».

Trois mois plus tard, il reçut une carte postale en provenance des hauts plateaux andins de Bolivie où il était écrit : « Ma mère est décédée le lendemain de notre rencontre. J'ai tout plaqué pour aider les enfants qui ne sont pas nés du bon côté de la planète. Vivez en paix, vous méritez bien mieux que les petits cons de ma trempe ».

Signaler ce texte