Le jour précédent

aile68

On a lu et relu cent fois le même texte, au moment de la répétition on est tout bloqué, on se dit qu'on ferait mieux de vendre des glaces avant la projection des films au ciné. On se refait la scène dans nos têtes, on avait pourtant bien appris notre texte. C'est rageant mais on n'ose dire quoi que ce soit, on en perd notre latin. Le directeur artistique remercie, on court dans les vestiaires en pleurant, mais qu'est-ce qui s'est passé? Moi et ma partenaire on essaie de se consoler, non on n'ira pas pointer au chômage demain! On va se battre contre les fantômes qui nous aliènent sur scène. C'est comme dans la vie de toute façon, on se promet d'être à la hauteur et on échoue pitoyablement. On va courir le cachet encore et encore, non les bâtons de glace dans les fauteuils ce n'est pas pour nous, et pourtant il faut bien vivre. Demain on  retrouvera notre caisse au supermarché, dans le silence de notre esprit on se répétera le texte qu'on aurait dû déclamer haut et fort. "Pardon madame?" me dira une cliente étonnée.

- Quoi? Oh pardon!

Et puis parmi tous les articles que je verrai défiler sur mon tapis je passerai le code barre d'une boîte de glace, en disant d'un ton assuré:

"Il y a tellement de choses qu'on voudrait avoir faites hier et si peu qu'on a envie de faire aujourd'hui" (Mignon Mac Laughlin).

Quel aplomb dans ma diction que je regretterai de ne pas avoir eu le jour précédent!

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