Le messager

Hervé Lénervé

Difficile métier que celui de facteur.

Au moyen-âge, le  porteur de mauvaises nouvelles n'avait pas bonne presse, ce qui rendait l'exercice de messager assez délicat et fort périlleux.

-         Messire, votre armée vous a fait honneur. Vos troupes se sont battues avec bravoure, brandissant haut et fort votre blason sur le champ de bataille. Jusqu'au bout, vos soldats ont inspiré le respect et la crainte et il m'a même été rapporté que dans les rangs ennemis s'élevaient de partout les expressions : « Par ventre saint Gris qui, Grand Dieu, a formé cet aéropage de démons sanguinaires !

-         Vient en au fait, messager ! 

-         Le fait est, Sir ! Que si l'ennemi n'avait pas été ignominieusement supérieur en nombre, je vous rapporterai ici, la Victoire. Mais la fourberie et la lâcheté de vos adversaires fit que, sans jamais reculer d'une enjambée, ni baisser les armes d'une coudée, votre armée n'a aucunement démérité, de toute part on entendait qu'eux au travers le tumulte des bruits de fers et les hurlements d'effroi des pleutres félons, crier haut et fort votre renommée et la grandeur de votre seigneurie.      

-         Au fait, messager !

-         Le fait est, Sir ! Que vos soudards se sont faits étripés jusqu'au dernier la tête haute et le regard fier et il ne serait pas étonnant que cette bataille entre dans l'Histoire comme le fait le plus glorieux de ce siècle dernier, ne retenant pour mémoire que la valeur de votre famille, votre domaine, votre magnificence.

-         Au fait, messager !

-         Le fait est, Sir ! Que sur le papier, on ne pas prétendre que vous ayez théoriquement gagné, certes, maintenant, d'un autre côté, moi, personnellement, pour y avoir assisté, du début jusqu'à la fin, au péril de ma propre existence, je vous rapporte que l'ennemi ne fut pas grand, ce jour et que toujours personnellement, je n'aurais pas aimé être du camps de ces vainqueurs-là, vainqueurs, si l'on peut dire, d'ailleurs, car de vaincre sans gloire…

-         Garde ! Egorgez-moi ce pourceau après l'avoir travaillé un peu.

Bon, le messager aura fait ce qu'il pouvait, mais parfois la nouvelle emporte sur l'éloquence.

***

Aujourd'hui les temps ont quelque peu changés… Dring…dring…dring.

-         Oui !

-         Madame Joubert ?

-         Oui ?

-         Bonjour madame, Gendarmerie Nationale !

-         Oui !

-         Mademoiselle Nathalie Joubert est bien votre fille ?

-          Oui ?

-          Mademoiselle Nathalie Joubert est décédée à quatre heures zéro trois, ce jour du lundi 18 janvier 2017.

-          Oui…

-          Passer à la gendarmerie dans la matinée pour identifier le corps. Bonne journée, madame !

-          Oui…

***

Entre ces deux extrêmes, comme toujours rime encore avec amour, il y a des nuances. Deux amis d'enfance conversent ensemble.

-          Tu as pu parler à Marie ?

-          Oui ! Enfin, disons que j'ai esquissé le sujet. Tu sais, ce n'est pas facile pour moi, elle peut, très bien, me dire de m'occuper de mes affaires.

-          Attend ! Vous êtes très proches. Tu peux lui demander innocemment, ce qu'elle pense de moi, non ?

-          Certes, mais vois-tu, généralement nous ne discutons pas de cela entre nous.

-          Tu es mon meilleur ami, tu sais combien j'ai confiance en toi et je sais également que Marie t'aime beaucoup. Je ne vois pas en quoi il serait indécent de lui dire que je me consume d'amour pour elle, qu'elle est ma vie, mon espoir et ma seule espérance en un avenir radieux. Sans elle, je ne suis rien, sans elle mon existence n'a aucun sens sur cette Terre, sans elle, je n'ai plus de place, ici-bas.

-          Je sais tout cela, tu m'en parles sans cesse. Je sais que ta passion dévorante pour elle est sincère, mais vois-tu Marie est une fille sensible, elle ne veut pas te blesser et de ce qu'elle m'en a rapporté, je n'ai pas l'impression qu'elle brûle de la même flamme à ton égard.

-          Elle te l'a dit, exactement ?

-          Non, pas exactement ! Mais je sens bien qu'elle hésite à te faire de la peine, car elle semble t'apprécier plus en tant qu'ami qu'en tant qu'amant.

-          Elle te l'a dit ?

-          Non, pas exactement ! Pourtant, elle laisse supposer qu'elle aimerait être ta complice pas ta conquête, ni ta maîtresse.

-          Mais, enfin que t'a-t-elle dit exactement.

-          En fait, elle se pose la question de savoir comment envisager de te faire part de ces projets.

-          Mais enfin ! De quels projets me parles-tu ?

-          Elle voudrait que tu acceptes d'être son témoin à notre mariage.

***

Quelquefois une lettre peut servir de « go between ».

Cher papa chéri,

J'aurais aimé ne pas te désespérer, j'aurais aimé te rapporter des nouvelles plus réjouissantes, maintenant, je ne peux commander aux faits, ils sont ce qu'ils sont et je te les énonce tel quels. Je suis amoureuse, papa chéri, comme jamais je ne le fus. On ne commande pas aux sentiments ce sont eux qui nous commandent, pourtant je sais, pour connaître ta sensibilité par cœur, que mon choix déchirera le tien. Mon dévolu s'est porté sur une personne de couleur, je sais ce que tu penses des unions mixtes, je sais que tu me diras que les différences de culture font que ces mariages ne durent que le temps que ne durent les coups de foudre et qu'il vaut mieux attendre avant de prendre des engagements définitifs. Aussi, crois-moi, papa chéri, nous attendrons un peu avant de nous unir pour la vie. D'ailleurs mon amie pense un peu comme toi à ce sujet, je ne doute pas qu'avec le temps, tu l'aimeras toi aussi. Elle s'appelle Mounir Abella et elle est belle à mourir, sa peau me fait penser à ces nuits sans étoiles dans lesquelles nos yeux se perdent à l'infini vers un lointain sans limite. Quand nous sommes unis, moi si blanche, elle si noire, c'est le jour et la nuit qui se font l'amour dans une étreinte universelle.

Allez, papa chéri, je te faisais marcher, excuse mon espièglerie, j'ai juste légèrement froissé l'aile de ta voiture adorée.

Ta fille chérie qui t'aime.

***

Allez, une petite dernière pour la route et le messager pour la circonstance est votre Hervé dévoué. Je viens d'apprendre que notre site a des ennuis financiers qui le contraignent à fermer ses portes. Dommage les amis, mais l'économie est ainsi faite, froide et sans chaleur pour cause de température. Aussi, si vous voulez sauver du naufrage notre vaisseau, versez la modique contribution de 6553 € sur mon compte, RIB en pièce jointe.

Merci à vous. Tous pour un, tout pour moi. Ha, ha, ha ! (Rire sardonique qui résonne en écho sur les circuits huilés de nos échanges synthétiques informatisés.)

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