Le métro.

Jean Marc Kerviche

Moyen de transport quand on ne peut en utiliser un autre.

Le métro.


Un monde en sous-sol sans humanité, plus inhospitalier qu'il ne soit possible et que, tous, nous cherchons à fuir est effectivement envoûtant.


Le métro est un moyen de transport comme un autre et il ne viendrait à l'idée de personne de le considérer autrement que pour son utilité. Que ne doit-on pas à Fulgence Bienvenue ?


Mais à bien y regarder et à s'y attarder, on se prend à découvrir un autre monde.


Il suffit pour s'en convaincre de se placer à la sortie des bouches de métro déversant ses marées de voyageurs par vagues successives soulagées d'avoir échappé au pire (se souvenir de l'incendie de Couronnes en 1903, des attentats de Saint Michel plus près de nous et du gaz sarin répandu dans le métro de Tokyo en 1995). On pourrait même se laisser aller à se les imaginer fuyant les enfers, alors que, dans la réalité, ce qu'ils ont vécu ne représente qu'un moment d'une absolue nécessité pour se rendre d'un endroit à un autre. Enterrés pendant un moment, juste un moment dans un monde sans âme ou l'acier côtoie les matériaux synthétiques, faïences, plastiques, caoutchoucs, respirant les odeurs fétides de graisse et d'huile des machines et des moteurs, mêlées aux transpirations humaines et au souffle chaud des bouches d'aération, oui,  enterrés vivants, volontairement dans un monde hostile s'il en est. On est pris de vertige avec tous ces voyageurs qu'on voit l'espace d'un instant et qui disparaissent aussitôt floutés dans nos mémoires, sans identité, ressemblant à s'y méprendre aux limbes, ces spectres de la religion catholique qui se situent aux marges des enfers quand chacun d'entre eux cherche à rendre son obligatoire migration quotidienne la plus furtive possible au point qu'il n'en veuille garder aucun souvenir, ni pendant sa journée ni pendant sa nuit.


S'enterrer seulement pour un moment dans ce monde déshumanisé parce qu'on y est contraint, agressé par le bruit lancinant des machines, aveuglés par la froide lumière des néons, dérangés par les vociférations des imprécateurs en tout genre et de toute église, désœuvrés, désinhibés par l'herbe ou l'alcool à la recherche d'une écoute, d'un regard, voire d'une reconnaissance.


Et ces sols jonchés de salissures, ces parois recouvertes d'affiches encollées, barbouillés de traces suspectes, badigeonnés à la va vite et ces mains imprimées à même les murs comme autant de signes désespérés de notre passage ici-bas et qu'on retrouvera dans mille ans à l'instar des peintures rupestres des grottes de Lascaux. Tous ces objets jetés sur le sol inanimés, oubliés sur un banc, avez-vous donc une âme serait-on tenté de leur dire. Il paraitrait que le métro est l'endroit qui alimente le plus le Service des Objets Trouvés de la rue de Dantzig.


Bref, un univers où les rencontres heureuses pourraient se faire mais qu'on évite soigneusement habité que nous sommes par la crainte que celles-ci ne deviennent justement… malveillantes.


Cette foule compacte en attente sur les quais, s'engouffrant comme un troupeau ou chacun doit être en condition d'accepter le contact avec l'autre en taisant sa gêne. Oui, le métro, seul endroit où se réalise les contacts non désirés, donnant à certains l'occasion d'approcher la gente féminine avec l'excuse de la situation. 


Et puis dans ce monde hostile où chacun court à sa perte, comment trouver cet autre quand cet autre n'a comme objectif que d'abréger son passage en ces lieux. Alors peut-être l'obliger à s'arrêter.   Au détour d'un couloir, à la rencontre de plusieurs galeries, un espace, un ilot, une oasis, une surprise, un musicien vous arrête. Amateur ou chevronné, discordant ou sublime, il vous enchante, vous tire d'où vous êtes l'espace d'un instant.


Puis chacun reprend sa course continue. Ils sont tous dans leurs pensées de ce qu'ils ont fait, sur ce qu'ils vont faire, chacun avec ses rêves, ses craintes, ses obsessions, inaccessibles au monde qui les entoure, anesthésié par le bruit, la cacophonie ambiante et répétitive entre ceux du matin qui n'auront jamais fini leur nuit et ceux qui la commence à peine. Chacun vaque à son occupation, programmé, habité par une urgence personnelle. Quelqu'un peut défaillir près d'eux, ils ne le perçoivent pas, l'ignore, ou pire, l'évite. Chacun son malaise, son mal-être, sa destinée. Chacun pour soi, même les bonheurs sont tus. Nul sourire ici, chacun est de passage.

  • Parisien de naissance, j'ai pris le métro pendant des décennies avant de m'engager dans l'aventure de l'expatriation.
    Votre métro n'est pas tout-à-fait celui de mes souvenirs mais votre texte m'a tout de même touché.

    · Il y a presque 8 ans ·
    Lange02b

    Johann Christoph Schneider

    • Parce que nous nous obligeons tous à parcourir ces voyages éphémères, nous ne nous attardons bien heureusement pas trop dans la contemplation de ces sous sols.

      · Il y a presque 8 ans ·
      Rerefaite d%c3%a9finie

      Jean Marc Kerviche

  • Mais le Métropolitain est aussi un monde fascinant, de par les gens qui s'y pressent. Et si l'usage en a fait une pétaudière, c'est aussi une grande performance technique de l'époque.

    · Il y a presque 8 ans ·
    Cavalier

    menestrel75

  • C'est tout à fait ça ! Heureusement je vis en province et tente au maximum d'éviter le métro quand je suis à Paris.

    · Il y a presque 8 ans ·
    Image

    Ana Lisa Sorano

  • Ce texte m'avait été inspiré par le film “Le sommeil de la foule” d'Antoine Janot.

    · Il y a presque 8 ans ·
    Rerefaite d%c3%a9finie

    Jean Marc Kerviche

  • Tellement bien décrite cette atmosphère lourde et poisseuse, déshumanisée, avec ces milliers d'âmes qui y traînent leurs pensées, leurs angoisses. Pour l'avoir emprunté des années, je ne supporte même plus le signal, lorsque je suis obligée d'en passer par là ...

    · Il y a presque 8 ans ·
    Louve blanche

    Louve

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