LE PAPA QUI LISAIT TROP DE CONTES DE FEES

Hervé Lénervé

« Il était une fois, dans un pays lointain.»

Phrase envoutante qui introduit le récit hors de notre temps, hors de notre monde. L'histoire, racontée qui suit, n'est donc pas à prendre à la lettre, mais cela ne veut pas dire qu'elle n'a pas une certaine existence dans un monde parallèle. C'est du moins ce que croyait, tout blond, tout bouclé, le petit Julien.

Son père qui avait lu, étant jeune : « La psychanalyse des contes de fées. » de Bruno Bettelheim, était un adepte inconditionnel de la lecture de contes aux enfants. Il pensait, comme l'auteur du livre, que cela ne pouvait que développer une construction solide de leur personnalité. Ces histoires magiques structuraient le psychisme de l'enfant pour lui faire prendre progressivement place dans la réalité. Et même si toutes les théories psychanalytiques développées étaient certainement loin de l'élaboration des câblages synaptiques de notre cerveau, le papa de Julien se disait qu'au pire cela ne pouvait pas lui faire de mal. C'est pour cette raison que tous les jours que fées fassent, Monsieur papa de Julien lisait à son enfant autant de contes, que son temps lui permettait. Le petit Julien n'en perdait par une miette, écoutant les yeux comme des soucoupes, savourant chaque phrase, chaque mot comme s'ils étaient des bonbons.

Combien de contes lus par son père, combien d'histoires extraordinaires, l'enfant avait entendues, nul n'en tenait le compte exacte, nul n'aurait su le dire ? Si bien que si la lecture est certainement profitable au développement de l'enfant, peut-être, toutes raisons gardées, même dans ce domaine, une certaine modération s'impose, car le petit Julien, la tête pleine de ces chimères, vivait en permanence dans un déni des matérialités physiques. Chez lui tout était prétexte à se projeter dans son monde onirique et il négligeait souvent le principe de réalité objective, Il est difficile de savoir ce qu'il se passe réellement dans la tête d'un gamin.

Pour mieux comprendre comment régissait le petit Julien, rien de mieux que quelques anecdotes de son quotidien.

-         A la saison de la goutte au nez, le petit julien avait écouté son père lui conter l'histoire d'un petit garçon, vêtu d'un habit magique invisible qui avait la qualité de l'immuniser contre le froid. C'est donc nu comme un ver que Julien partit se promener dans la neige. Il s'en tira par un bref séjour à l'hôpital pour le soigner d'une pneumonie. Plus de peur que de mal. Le papa du petit Julien ne fit pas le rapport avec l'histoire qu'il lui avait lue la veille, était-il aussi peu perspicace que son enfant ?

 

-         Il était une autre fois, l'histoire de deux enfants dont les parents nommaient différemment les amas de poussières qui prospèrent sous les lits. Pour une famille elles s'appelaient des moutons, pour l'autre des loups. Et les enfants, tout enfant, qu'ils soient, savent pertinemment que moutons et loups ne font pas bon ménage (sans aucun rapport avec un laisser-aller domestique). Bref les deux petits se demandaient pourquoi les loups ne mangeaient pas les moutons, chaque fois qu'ils vérifiaient l'expansion de leur troupeau, le matin. Mais revenons plutôt, maintenant, à l'histoire du petit Julien. Une nuit pour comprendre ce mystère, il se glissa sous son lit, avec la ferme intention de tirer cette histoire au clair. Bien sûr, il finit par s'endormir sans avoir résolue l'énigme et c'est le matin que son père retrouva son fils, mort de froid, façon de parler évidemment, car il était encore vivant et n'avait attrapé  que seulement un rhume anodin, cette fois-ci. Ouf !

 

En fait, on pourrait multiplier ainsi, pendant longtemps, les anecdotes qui jouèrent des tours malencontreux à l'enfant par son mélange des genres. Pourtant, son père, malgré cette répétition, ne fit jamais le rapprochement entre ses lectures et les mésaventures récurrentes arrivées à son fils.

Puis un jour vint.

Le petit Julien jouait devant chez lui, une zone pavillonnaire tranquille située dans une impasse où seul de paisibles voisins se croisaient, une vie de quartier banale, du moins sans histoire connue. Les histoires se passent toujours derrière les murs des maisons, cachées dans les foyers, dans l'intimité des familles. Qui aurait soupçonné, par exemple, que le débonnaire sexagénaire du 54, plaisantant toujours avec tout le monde, frappait sa femme comme plâtre dès qu'il en avait le loisir et dès que les volets étaient fermés ? Bon, il faut bien se défouler un peu et comme le disait…  (On taira le nom de l'auteur de la citation, je ne suis pas un délateur, ou plus probablement je n'assume pas ma misogynie détestable.)  «  Il n'y a aucune raison particulière de battre sa femme… toutes les raisons sont bonnes. »

Bref, un jour donc, julien jouait tranquillement avec des figurines représentant, on s'en doute, des personnages magiques de contes, quand un homme vêtu d'un loden vert l'accosta.

-         A quoi joues-tu, mon petit ?

Julien regarda l'homme, il ne lui disait rien. Son papa l'avait prévenu qu'il ne fallait jamais parler aux inconnus. Donc il se tut… normal. Cependant, ce manteau vert lui rappelait fortement le conte du haricot magique avec ce géant vert qui finalement était beaucoup plus gentil qu'on aurait pu le croire et si l'homme faisait partie de ce monde fantasmagorique, il n'était pas, à proprement parlé, un inconnu.

-         Tu vois, je joue avec mes personnages de contes.

-         Tu aimes bien les histoires de contes de fée.

-         Bien-sûr ! J'adore.

-         Tu voudrais que je t'en raconte une.

-         Je les connais toutes, mon père me lit plusieurs fois les mêmes.

-         C'est bien ! Mais, tu vois, je suis certain que tu ne connais pas celle du lutin de la forêt.

-         De quelles forêts ?

-         En fait ce n'est pas réellement une forêt, c'est juste un bois et figure-toi qu'il se trouve juste au bout de ta rue.

-         C'est pas vrai !

-         Si, car en fait c'est le lutin, lui-même qui me l'a raconté cette histoire est la sienne.

-         Les lutins ça n'existent pas vraiment !

Dit Julien, en sachant que c'était ce qu'il fallait répondre communément, mais évidemment qu'il savait que les lutins existaient bel et bien.

-         Ecoute ! Si tu ne me crois pas, je peux te le présenter et tu verras que je ne mens pas. Quand dis-tu ?

-         Je n'ai pas le droit, mon papa ne veut pas que je bouge de là.

-         Ecoute, il n'en sera rien ton papa, c'est juste à côté et le lutin vit à l'orée du bois, on ne sera absent que deux minutes.

C'était vrai que ce n'était pas loin et deux minutes ce n'était pas long, c'était à peine le temps qu'il fallait pour se mettre en pyjama et puis parler avec un lutin en chair et en os, c'était quand même autre chose que de jouer avec ses effigies en plastique. En résumé, c'était tentant, qui aurait pu résister à cela, un enfant moins bercé par les contes, peut-être, enfin ce n'était pas le cas de Julien, donc il se laissa tenter et céda.

-         Bon ! Rien qu'une minute alors !

-         D'accord, allons-y pour une minute.

 

Il faut croire que la minute s'éternisa et que lutin était plutôt un croque-moutards, car de cet instant plus personne ne revit jamais l'enfant qui aimait tant les contes de fées. Il avait suivi le géant vert dans son monde parallèle… celui de l'au-delà.

 

FIN

  • Ça est revenu !

    · Il y a environ 5 ans ·
    Gaston

    daniel-m

  • Il n'est pas mort en vrai, il est prisonnier de la princesse samouraï et partage sa cellule avec Michael Jackson, je les ai vus puisque c'est moi qui nettoie les vitres blindées des geôles, faut bien vivre, ya plus de boulot dans le monde normal, alors on va voir ailleurs..

    · Il y a environ 5 ans ·
    Default user

    martinet

    • Super ! Dans le Monde d'à côté, c'est le plein emploi ! :o))

      · Il y a environ 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

  • Je me souviens d'une chanson où l'enfant se prenait pour Superman. Comme lui, il s'envola d'un immeuble très, très haut.....et d'un proverbe arabe qui n'a rien à voir d'ailleurs : "Bat ta femme chaque jour, si tu ne sais pas pourquoi, elle, elle le sait."

    · Il y a environ 5 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Bats

      · Il y a environ 5 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • chaque époque à ses héros, nous, on avait Zorro, c'est moins dangereux. :o))

      · Il y a environ 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

    • ...et je suis certaine que Tornado nous aurait laissé grimper, tout en douceur, sur sa croupe !

      · Il y a environ 5 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Je ne monte que des chèvres, autrement j'ai le vertige. :o))

      · Il y a environ 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

    • ça m'étonne pas.....

      · Il y a environ 5 ans ·
      Louve blanche

      Louve

  • C'est un conte défait oui!

    · Il y a environ 5 ans ·
    P1000170 195

    arthur-roubignolle

  • Les contes de fée d'hiver finissent mal en général.

    · Il y a environ 5 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

Signaler ce texte