Le pire n'est plus à venir

khalil

Une variation sur le réel, et sur ce qu'il a de plus intenable pour l'homme.

Ils me haïssent. Ils me veulent mort, je leur obtiendrai bien mieux. Ils veulent que je n'aie jamais été, mais ils auront davantage encore. Leur souhait le plus cher est d'écarter jusqu'à l'hypothèse même de mon advenue, et je les contenterai au-delà de tout contentement. Je leur fournirai matière intarissable à me haïr : car je serai pour eux cette peste qui jamais ne part. De celles qu'on suppute si peu avant qu'elle ne frappe. Au visage d'abord, pour ensuite descendre à leur cœur, dont je ferai des ruines. Haï par eux, par eux je le serai davantage – c'est là une promesse que je leur fais et à quoi je me tiendrai. Par ma faveur, leur détestation recevra une justification telle, que rien ni personne ne saura plus leur donner tort. Aussi l'objet de leur haine ne sera-t-il plus un homme ni ce qu'il aura fait, mais bien un fléau, à visage inhumain. Je ferai leur haine pure de tout sentiment de pitié, vierge de doutes, convaincue de son bien-fondé. Par égard pour leur haine, je l'élèverai à la hauteur où je veux la voir respirer un temps, et suffoquer ensuite, d'avoir jamais vu le jour. Car avec moi, elle ne verra que la nuit. Tuer leurs fils et leurs filles ? C'est encore hélas trop peu estimer leur haine. Quant à leurs convictions, à les faire chanceler, je serais taxé de révolutionnaire. Non, je ne serai rien de ce qu'ils chérissent ni de ce qu'ils haïssent impurement. Ils auront, avec moi, la sensation d'avoir affaire au pire, et à sa logique. Aussi bien m'appellerai-je à leurs yeux ébahis, "hasard". Je surgirai par hasard, emportant un fils, octroyant la richesse, faisant l'heure sur le pendule autre que celle qu'on désirait y lire ; et tout cela, par le fruit pur du hasard. Je serai à la fois sans logique et d'une logique impalpable, opaque et si peu à leur portée qu'ils la répudieront, la relégueront dans les catégories qui les rassurent, et que je minerai de l'intérieur. Je ne serai rien qui rassure. Tantôt la mort, tantôt la vie, je ne serai rien de précis, me contentant d'être ce que je suis. Et ils auront beau en appeler à leurs raisons respectives, ils auront beau me faire un habit de logique et de lumière, je resterai nu, à l'état brut de ce qui est, par la seule force de ce qui est : c'est-à-dire en dehors de toute force imaginable. Je réserve ainsi aux hommes le pire, dans ce qu'il a d'injustifiable. En somme, je serai l'après-coup, et le toujours-déjà-là. Et, croyant vivre dans mon présent, cramponnés à l'espoir d'un avenir, je les tiendrai captifs de mon passé. Le temps des hommes ne sera plus. Et il n'y aura plus que ce qui est, où je plongerai les hommes sans nul recours en dehors de moi-même. Leurs recours, quels qu'ils fussent, seront en moi tous contenus. Que feront alors les hommes ? Ils feront ce qu'il leur plaira de faire, mais demeurerons en ma demeure. Je serai l'absence d'issues. Se tueront-ils pour protester ? Je m'en moque, puisqu'ils mourront d'une mort qui ne leur appartiendra pas. Jusqu'à leur deuil, que je leur refuserai. Et ainsi de tout ce qu'ils clameront et proclameront : ce sera mien, et mien seul. Gare aux hommes, car les attend, autrement intenable, leur véritable châtiment : de n'être rien de plus que ce qui est. Ils parleront de défaite en leurs rangs, tirant de ma victoire un alibi. Mais en pleine face, je leur répondrai que jamais il n'y eut bataille... et que, par conséquent, strictement rien ne les a défaits. Je serai donc bel et bien la seule et unique matière de leur haine : le réel, en personne. 


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