Le portrait

Yeza Ahem

De la variété des regards sur les images projetées...

Ce matin, j'ai mieux regardé ce drôle de portrait. Il était là, un peu trop écrasé à mon goût, avec son éclairage zénital et brutal. Le cadre, ovale, ne laissait que peu de place au décor derrière ce visage. Il était vu de face, avec un regard qui semblait vous fixer. C'était un regard de femme, scrutateur, intrigué et fatigué. Elle avait des cheveux longs qui semblaient dégouliner sur son front et ses tempes. Séparés de part et d'autre de ses épaules, ils ne semblaient pas réellement coiffés, juste pendants et luisants d'humidité. Ces cheveux encadraient un visage somme toute commun : ni vraiment attirant, ni vraiment repoussant. Seul son regard m'empêchait d'en détourner les yeux. Ils étaient bleus, tâches claires cernées et entourées de quelques marques que le temps avait commencées à laisser. Les pommettes et le nez étaient rehaussées d'une teinte irrégulière rosée. Et puis venait la bouche et ses commissures, légèrement relevées et marquées par la répétition des rires et sourires qu'elles laissaient deviner. Le visage semblait hésiter à sourire, mais l'intention y était.

Alors que je m'approchais pour mieux voir l'image, je ne pus me résoudre à déjà appeler ces marques rides. Sûrement parce que ce visage m'était sympathique et que l'on m'a toujours dit qu'il valait mieux taire la présence de rides sur une femme, surtout entre deux âges comme elle l'était. La surface du portrait montrait quelques défauts, des zones comme floutées par des tâches d'humidité, anciennes gouttes d'eau séchées.

Je ne sais combien de temps je suis restée ainsi, figée, à me demander ce que cachait chaque marque du temps décelée. Soudain, on m'a appelé. Je tournais la tête. Mon œil perçut un mouvement subreptice du côté du portrait. Je ne bougeais plus un cil... Et puis si, car il fallait que je regarde à nouveau, cette fois plus de côté. Le portrait avait bougé, changé.

Cela faisait longtemps que je n'avais pas vu d'instantané de mon visage. J'éteignis la lampe de la salle de bain. Je souris. J'aime ces rides : elles sont les traces de ma vie. J'aime ces espaces encore vierges : ils sont les promesses des futurs coups de pinceau que feront mes expériences et émotions. Je repars.

Licence CC : BY-NC-SA

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