Le programme inconnu

My Martin

MACHINES ONT INVENTE CRIMES DE NOTRE PROCES

Jean C 1939-1972 33 ans



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LA RELIGION A INVENTE UN PROGRAMME INCONNU ET PAR MACHINE A COMMANDER CERVEAU ET VOIR NOTRE VUE IMAGE RETINE



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Pyrénées-Atlantiques, Béarn. Environs de Lembeye (nord-est de Pau), village d'une centaine d'habitants.



Famille C.



Ils viennent du Nord, ils ont eu des problèmes. Joséphine, la mère, a deux frères à l'asile.

Alexandre et Joséphine.

Leurs enfants, Simone (vers 1925) et Paule, nées dans le Nord. Un enfant mort-né.

Jean (1939). Jean n'existe pas ; toujours diminutif "Jeannot".



Des gens pas du village -des étrangers. A la fin des années 1930, ils achètent une belle propriété, en contrebas du village : maison de maître, 40 hectares de terres -5 de vignes. Mur d'enceinte, puits, deux portails en fer forgé.

Seconde Guerre mondiale. Jeannot né en 1939, pour éviter la conscription à Alexandre, le père ? Les C ne sont pas du côté de la Résistance. Alexandre et Joséphine ne se lient pas facilement -des étrangers. Les voisins hébergent ceux du Maquis.



Enfance paisible pour Jean -Jeannot. Deux sœurs, Simone et Paule. Ils excellent à l'école. Jeannot est le seul de sa classe à obtenir le certificat d'études primaires. Après l'école, dur travail sur l'exploitation. Le père est violent.



Le curé veut inscrire Jeannot au séminaire. L'instituteur, à l'École normale primaire. Le père refuse : Jeannot reprendra la ferme.



25 ouvriers pour les moissons. Belle tablée, à boire, à manger. La nuit, les C travaillent, lient la vigne.

Jeannot est un beau gars, cheveux châtain clair, yeux bruns, musclé. "Vaillant, fort et tout le bazar".

Un copain d'enfance : de la monnaie. Voiture, tracteur Renault D22 orange. Nous, on labourait avec un cheval. Le dimanche, Jeannot nous sortait en Traction Avant. On allait au bal.



Jeannot amoureux. Alors les mariages sont arrangés : tant d'hectares d'un côté épousent tant d'hectares de l'autre. Embrouille. Jeannot éconduit, il n'en parle pas.



Service militaire. Fervent antimilitariste, il s'engage dans un régiment de parachutistes. L'Algérie -"les évènements" novembre 1954 - mars 1962.



1959. Retour. Jeannot (19 ans), Paule et la mère cherchent dans les bois. Le père s'est pendu dans la grange. Suicide inexpliqué.

Rumeurs. Paule aurait quitté le village pendant deux semaines, inceste, avortement ?



Jeannot est effondré. Il dit à la femme du menuisier qui assemble le cercueil : je ne peux plus m'engager dans l'armée, ils ne voudront pas du fils d'un pendu.



Jeannot devient chef de famille alors qu'il n'a que 20 ans. Responsable de l'exploitation, il doit subvenir aux besoins de sa mère et de sa sœur Paule.

Il reprend la propriété familiale.



Simone s'est éloignée de la famille, père incestueux ? Bisbille. Mariage, son mari veut la propriété. Simone : "il a tout fait pour les rendre fous."

Jeannot ne parle plus à personne, Paule l'empêche de sortir.



Avril 1966. Dans le village, la peur s'installe le jour où Jeannot (27 ans) menace de mort ses voisins et tire un coup de fusil dans leur salle à manger. Insultes. Incendie suspect.

Jeannot se sent persécuté, des voix lui ordonnent : tue les voisins.

Une antenne est installée sur la colline en face de la ferme : le pape les espionne, pensent Paule et Jeannot.

Jeannot ne quitte pas son fusil, il empêche quiconque d'approcher de la maison. De Gaulle, l'Église, le Maquis, lui veulent du mal.



Les voisins déménagent.

Le médecin local engage une procédure de placement d'office, à l'encontre du forcené. 30 gendarmes en planque, pendant 2 jours. Depuis le grenier, Jeannot hirsute les tient en joue avec son arme. Les gendarmes renoncent, lèvent le camp.

Le vide s'établit autour du trio hostile. Jeannot est le bouc émissaire de tous les problèmes.



La famille s'enfonce dans la pauvreté, Jeannot a des accès de démence. Délire paranoïaque. La mère ne sort plus. Paule descend parfois en tracteur au bourg voisin, pour le marché. Jeannot éructe, dans son monde.



Décembre 1971. Le vétérinaire vient, pour les bêtes. Lui, le seul, Jeannot (32 ans) ne le menace pas avec son fusil. Le vétérinaire entre dans la cuisine. La mère est assise au coin du feu, le menton sur la poitrine. Morte.



Jeannot refuse de laisser partir le corps au cimetière. Il obtient l'autorisation -rare- de l'enterrer sur la propriété.

Le fossoyeur creuse un trou sous l'escalier. Joséphine est descendue, avec son tricot et des fruits. Le trou est comblé, les tomettes reposées. Le menuisier remonte l'escalier.



Jeannot, assis sur les marches de la maison, dépenaillé, fusil à portée de main. Son copain d'enfance passe dans la rue, il ne lui fait plus un signe de la main. "Il était récupérable. Il fallait le sortir de là".

Jeannot aménage sa chambre dans la pièce attenant à l'escalier, la salle à manger.


Les crises s'aggravent. Jeannot s'enferme dans sa chambre, n'en sort plus. Il ne s'alimente plus. Nuit et jour, il grave ses angoisses dans le bois du plancher, autour de son lit. Des trous au poinçon, reliés à la gouge pour former les lettres. Il suit les lignes du bois. Un labeur de forçat. Paule l'entend.



Un plancher rustique de 16 m2, poinçonné de 80 lignes de lettres majuscules. Le texte énigmatique sans accents ni ponctuation, attaque la religion avec violence.

Les maladies mentales sont traitées depuis une vingtaine d'années. Jeannot schizophrène jamais diagnostiqué, extrême souffrance.



1972. Plancher, fin du texte, les points ne sont pas reliés. Illisible.

Michel Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique. “De l'homme à l'homme vrai, le chemin passe par l'homme fou.”

Cinq mois après le décès de sa mère, Jeannot (33 ans) meurt de faim.



Cartables sur le dos, les enfants rentrent de l'école. En passant devant le portail en fer forgé, ils hâtent le pas et frissonnent : la maison de la Sorcière, celle avec la Mémé sous l'escalier.

Paule veut enterrer Jeannot à la maison. Injures à la bouche, corps frêle. Refus. Jeannot est enterré au cimetière, sa mère est transférée à ses côtés. Tombe de terre, pas de plaque.



1972-1993, vingt-et-un ans. Paule demeuré seule dans la bâtisse à l'abandon.



Elle s'habille avec des sacs de pommes de terre, une ficelle en ceinture. Elle se nourrit de bouillie de maïs, ramasse de châtaignes. Elle refuse le pain du boulanger, les colis alimentaires de l'assistante sociale. Crainte d'être empoisonnée.



Le maire lui rend visite. "J'allais la voir régulièrement. Elle était au courant des nouvelles du village, écoutait la radio. Au bout d'un quart d'heure, elle divaguait." Elle va partir chez Farah Diba, loin de l'antenne qui cause tant d'ennuis. Elle laisse mourir, pourrir les bêtes. Elle est maigre, sale.



1993. Un voisin trouve son corps dans la soue à cochon.



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Le toit est tombé. Des détritus encombrent la maison. Odeur d'œuf pourri.

1993, les brocanteurs viennent de Pau. Un héritier -descendance de Simone- souhaite vendre les meubles, après le décès de sa belle-sœur Paule.

Tour rapide. Dans une chambre, la brocanteuse s'arrête : du pied, elle écarte les déchets. Le Plancher. Gravé de part et d'autre du lit. Un long texte couvre les lattes de chêne.

Elle décroche son téléphone : "on a trouvé un truc dément."

Son père est le Dr Guy Roux, ancien psychiatre à Pau, qui s'intéresse à l'art brut -production des malades mentaux, théorisé par Jean Dubuffet.



Spécialiste en neuropsychiatrie, amateur d'art singulier. Il recherche et étudie l'expression des patients psychiatriques, dont il s'efforce de préserver les œuvres.



1er août 2005, le docteur écrit un livre au sujet du Plancher de Jeannot. Il ne révèle pas le nom de la famille C, ni celui du village, par respect pour Simone, l'autre sœur de Jeannot, toujours en vie.



Le Dr Roux. "A l'instant où j'ai vu le Plancher, j'ai su que j'étais face à une œuvre majeure."

Un exemple de "psychose brute". "Cet homme n'est pas différent des patients schizophrènes que j'ai suivis au cours de ma carrière. La solitude absolue dans laquelle il s'est enfoncé, nous interpelle."

Le texte n'a pas d'intérêt particulier ; des psychotiques adressent des missives semblables au président de la République, aux juges, aux journaux. Ils dénoncent les complots dont ils se croient victimes, ainsi Jeannot, l'existence de "machines électroniques à commander le cerveau".

Rare témoignage sur la schizophrénie. " Il fallait avoir les yeux de la foi, tellement tout était sale autour. Je n'ai pensé qu'à le sortir de là."



Le psychiatre propose à l'héritier d'échanger le Plancher contre un parquet neuf. Il accepte. Ainsi commence l'histoire publique du "Plancher de Jeannot".



2002. Le Plancher est acquis par le laboratoire américain Bristol-Myers Squibb, exposé régulièrement.

Le Plancher de Jeannot, convoité par la Collection de l'Art Brut à Lausanne, est présenté dans cette ville en 2004.



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Art Brut. Jean Dubuffet 1901-1985

peintre, sculpteur et plasticien français. Le premier théoricien d'un style d'art auquel il donne le nom d' « Art Brut » en 1945. Oxymore -aigu, piquant / sot, fou. Un oxymore rapproche deux termes que leur sens devrait éloigner, dans une formule en apparence contradictoire : "une obscure clarté".

Productions de solitaires, de marginaux et de pensionnaires d'hôpitaux. Peintures, sculptures, calligraphies, dont il s'est largement inspiré, reconnaît-il.

Les auteurs sont des personnes autodidactes, qui créent hors de tout cadre institutionnel, et en dehors de toutes règles et de toutes considérations artistiques.

« Pas d'art sans ivresse. Mais alors : ivresse folle ! que la raison bascule ! délire ! »



« Le vrai art, il est toujours là où on ne l'attend pas. ... Sitôt qu'on le décèle […], il se sauve en laissant à sa place un figurant lauré,

qui porte sur son dos une grande pancarte où c'est marqué Art,

que tout le monde asperge aussitôt de champagne

et que les conférenciers promènent de ville en ville, avec un anneau dans le nez. »



Dubuffet souhaite que sa collection reste à Paris. Devant les atermoiements de l'administration française, Dubuffet accepte l'offre de la ville de Lausanne qui propose des conditions idéales de conservation. Le 28 février 1976, l'installation est inaugurée à Lausanne au château de Beaulieu, hôtel particulier du XVIIIe siècle.



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En 2005, exposition à la Bibliothèque Nationale de France.

En 2007, à la demande du Pr Jean-Pierre Olié, psychiatre, le Plancher est cédé par le laboratoire au Centre Hospitalier Sainte-Anne (14e arrondissement), à Paris.

Pr Olié. « Imaginez un jeune type, tout seul à quatre pattes dans sa piaule, en train de graver ses délires dans le sol : Jeannot s'est crucifié lui-même sur ce Plancher. »



2 juillet 2007. Le Plancher est présenté à l'entrée, sur la façade nord-est de l'hôpital, 7 Rue Cabanis. 3 panneaux de chêne verticaux, protégés par une plaque de verre.



Pr Olié. L'institution a changé. La majorité des personnes soignées à Sainte-Anne viennent uniquement en consultation. Les maladies psychiatriques ne sont pas honteuses. Combattre la honte et les préjugés qui pèsent sur les maladies mentales.

Lazare Reyes, adjoint au directeur. Des travaux importants sont en cours pour davantage ouvrir l'institution sur la ville. Abattre les hauts murs d'enceinte, époque révolue de l'enfermement.


Michel Foucault, Surveiller et punir. “Quoi d'étonnant si la prison ressemble aux usines, aux écoles, aux casernes, aux hôpitaux, qui tous ressemblent aux prisons ?”

“Jamais la psychologie ne pourra dire sur la folie la vérité, puisque c'est la folie qui détient la vérité de la psychologie. ”


Le Plancher est installé à l'entrée principale de l'hôpital. Il symbolise la volonté d'ouverture de l'institution.

Remous au sein de l'hôpital. Le psychanalyste Bertrand Ogilvie dénonce l'ambiguïté du texte sur la schizophrénie qui accompagne le Plancher, véritable affiche publicitaire pour le laboratoire mécène.



Depuis les années 1950, des ateliers d'art-thérapie sont organisés, l'institution possède une collection unique d'œuvres composées par ses patients.

Docteur Anne-Marie Dubois, directrice du Centre d'étude de l'expression. Le Plancher est une œuvre artistique, par sa beauté et un témoignage personnel, par son contenu. Se méfier de l'analyse du texte : ce que quelqu'un produit, n'est pas forcément ce qu'il est.



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Antennes. Les échanges laissent des traces conservées, compilées, hors de contrôle. Dessiner la carte des relations d'une personne, étudier la fréquence des échanges, rechercher les mots-clés. L'analyse des recherches d'une personne permet de le connaître intimement, plus profondément qu'aucun de ses proches ne le connaîtra jamais. Cerner ses centres d'intérêt, ses intentions. Ainsi le mettre en cause, l'inculper préventivement.

Ce qu'une personne a construit, une autre personne peut le détruire. Les systèmes comportent des failles. Aucun système n'est inviolable. La porte résiste ? Passer par la porte du garage, la fenêtre, le toit.

Un objet communique. Il transmet des informations, utiles immédiatement ou à terme. En retour, il peut recevoir, exécuter des ordres.

Une personne qui ne laisse pas de traces, est suspecte. Une personne dont on ne connaît pas tout, cache des informations, a quelque chose à cacher, à se reprocher.

La vie privée est un leurre. Un oripeau. Le pouvoir sait tout. Qui n'est pas Pour est Contre. L'innocence est une culpabilité différée. Penser est déjà désobéir. Le pouvoir est toxique.

Privilégier l'instant, l'éphémère, le Chaos -faille, béance.



Jean de La Fontaine, fable "Le Loup et l'Agneau", 1668

La raison du plus fort est toujours la meilleure.





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NOUS JEAN PAULE SOMMES INNOCENTS NOUS N AVONS NI TUE NI DETRUIT NI PORTE DU TORT A AUTRUI

MACHINES ONT INVENTE CRIMES DE NOTRE PROCES



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