le roi des médisants

Christian Le Meur

Tonton rimeur

Une fois par an, pour redorer le blason de leur bonne conscience, moult citoyens font le don d'un paquet de nouilles aux restos du cœur. D'autres, plus investis dans la noble cause, aident un aveugle qui ne demandait rien, à traverser la route. Personnellement, attiré par des défis improbables, deux fois l'an, je rends visite à Tonton Rimeur. Par cette démarche, révélatrice de ma grandeur d'âme et du respect du aux rites de mes ancêtres, j' honore le culte païen des solstices d'été et d'hiver.


Je monte les deux étages qui mènent à son couvoir de goéland. Parvenu devant sa poterne je tire la chevillette et sa bobinette de flibustier décati apparaît. Immédiatement mes pauvres narines sont agressées par les effluves de putois sénile qui refoule de sa bauge. Tonton souillon, l'hygiène, il connaît pas. Lui c'est la rime; point barre!. Une fois mon odorat accoutumé et les convenances d'usage déballées sur le palier, je me risque dans les entrailles de son F2.

Des livres et des papiers partout; par terre, sur les meubles, dans les meubles, sur les tapis, sous les tapis, ça encombre,ça déborde. Il y en a partout , même sous les fessiers de ses deux greffiers vautrés dessus qui m'observent d'un air sournois. Tonton matou me conduit au cœur de son centre opérationnel qui lui fait office de bureau, bibliothèque, salon, salle à manger . Sur sa table , des liasses de feuillets griffonnés, un ordinateur portable, encore des piles de livres et son assiette de la veille que les chats ont léchouillé méticuleusement vu que c'est eux qui font la vaisselle.

En guise d'offrande, j'apporte un texte de ma composition, court si possible, pour le soumettre au maître. Tonton examinateur parcourt mon format A4 80 grammes dactylographié en faisant mine de s'intéresser, puis la sanction tombe, invariablement la même depuis des années.

- «Ouais, ouais ouais ouais (tonalité décroissante). Ne le prends pas mal, mais tu me connais, je déteste la langue de bois!. Tu nous avais habitué à mieux, et puis ce titre, ça signifie quoi ce titre? Madrigal convexe! Pourquoi pas concave? ...etc ,etc». Les amabilités terminées, je remercie tonton le tourmenteur pour le temps qu'il vient de m'accorder et pour ses observations hautement constructives.


Attention!!!: Avant l'aller de l'avant, une mise au point s'impose. Tonton-Péroreur, ce créatif de bazar n'est en réalité qu'un enfileur de mots. Il manipule ses vocables comme d'autres, des perles pour en faire un collier. Doté d'une maestria d'académicien, notre rimailleur prolixe produit à un rythme industriel des guirlandes de mots qu'il affuble d'un titre pédant du genre «Le nez de Cyrano» . Mais en réalité, ce condensé de circonvolutions qu'il tient religieusement dans ces battoirs de lavandières qui lui servent de mains pourrait tout aussi bien s'intituler: Pompe à vélo ou Poudre aux yeux.


D'un geste théâtral, notre troubadour de la tour numéro quatre, saisit un de ses textes.

Tonton-Comédien extirpe son quintal bedonnant de son trône et avec sa tessiture à la Barry Withe il entonne sa littérature, littéralement subjugué par son propre génie. Moi, simulant les beuglements orgasmiques d'une groupie en plein concert, je glousse du: ah quel talent!...subtil ce jeu de mots!... touchez ma bosse noble seigneur, Ça vous portera bonheur!(1)… bref tout un inventaire de flagorneries qui ne me coûtent pas un rond et propulse le Tonton, la mine réjouie dans les sphères stratosphériques du star système. L'envers c'est que ce goujat exulte, fait durer son plaisir et déclame dans la longueur, dans l'interminable.

Vingt minutes plus tard et enfin soulagé de son onanisme cérébral, nous passons aux distractions d'adultes. Tonton-Carnassier excelle dans l'art de la médisance, pas celle du petit roquet teigneux qui fuit la queue basse au moindre bruit, mais la vraie. Un talent shakespearien, une verve de mégère qui submerge d'un flot de vilenies tous les pieds-nickelés que je lui donne en pâture; Un régal festif, un concerto de vachardises qui me flatte les oreilles. A chacun ses petits plaisirs, sa petite gâterie, moi je me soulage par procuration. Dès que mon mentor montre des signes d'essoufflement, l'air de rien je lui persifle une petite saillie du genre:

«t'as apprécié le dernier texte d' Hannibal Lothaire dit Charlot D'os le bouffeur de curé?». Même si ce lascar n'est pour lui qu'un illustre inconnu, Tonton-Fangio repart sur des chapeaux de roue, à fond le turbo, il invective, il en bégaie son latin , il en suinte son cholestérol par tous les pores de son épiderme.

Finalement comme le chantait si justement le gros nounours Baloo, dans Le livre de la jungle: «Il en faut peu pour être heureux, vraiment très peu….»

  Mais il n'est de meilleure compagnie qui se quitte aussi est-ce sans regret que je sors de chez Tonton-Premier, le roi des médisants.

  «  il faut vous dire monsieur chez ces gens là, on ne cause pas monsieur, non on ne cause pas » (2)on rumine aigre sa frustration dans l'attente improbable de voir un jour une rue à son nom.

Je le dis sincèrement, il la mériterait sa petite ruelle car Tonton vient de loin. D'après radio fouine, la radio FM qui sait tout, Tonton bambino était né avec une case vide. Un jour de pleine lune, alors que l'alignement des planètes lui était bénéfique ( Astrologiquement Saturne formait un carré avec Jupiter) une muse de l'espèce poetria parasiteuse qui passait par là vint lui phagocyter le ciboulot. Depuis ce jour Tonton-la-Vérole se traîne avec cette alienne vorace, autoritaire et jalouse qui le condamne à rimer à toute heure et en tout lieu sauf entre 16 heures et 19 heures!(Pose syndicale: «non aux cadences infernales!»)

A la sortie de son premier recueil, une œuvre hors norme, génialissime, s'intégrant dans une mouvance de contre-culture puisque novatrice tant dans son concept aride , que dans sa recherche structurelle ponctuée de délire surréaliste mais orné d'un entrelacs d'envolées lyriques puisé dans le néo-réalisme italien de l'après guerre. Tonton-La-Gloire connut un franc succès d'estime, des critiques dithyrambiques de son pote journaliste. Cette soudaine notoriété lui assura une place dans le sérail des artistes référant du bourg de Croc-Lès Sur Noisettes; Cette charge honorifique, il l'assume façon ancien combattant, avec dignité et une ténacité à toute épreuve. De même qu'au premier frimas de l'hiver on nous ressuscite l'abbé Pierre ou lors des festivités vélocipédiques de juillet Yvette Horner et son accordéon magique, la municipalité, elle, Mars venant, nous dépoussière son Tonton-Joker pour animer et commémorer la fête de la poésie.

Ce premier chef d'œuvre Tontonien s'intitulait «La Daumol» en hommage au poème symphonique de Smetana intitulé La Moldau. Tonton-Sylfide nous entraînait dans une dérive onirique et contestataire au fils du courant survolté d'un fleuve imaginaire. La plume de Capt'ain- Tonton embarquait son lecteur au niveau l'estuaire, parmis les flamants roses pour remonter, sauf abandon du navire, jusqu'à la source. D'où,vous l'aurez deviné, ce subtil verlandisme du titre.

Tous les jours à 16 heures précises , profitant de sa pose syndicale, Tonton l'Hermite aux APL, en guise d'ablutions, humidifie ses dessous de bras et quitte temporairement sa cahute pour rejoindre son Qg, l' incontournable sanctuaire des intellos en tout genre, le bar «Le Barbare est là».

 Dans l'arrière salle, un ersatz de maison du peuple, s'agitent les chantres de l'humanisme,de la gauche plurielle et de la tolérance universelle à condition de penser comme eux. Une table est réservée à Tonton et tout ce que le canton compte de cultureux, d'artistes, de contestataires et de paumés, viennent s'y retrouver et s'y montrer pour accomplir ce pour quoi ils ont été enfantés: Refaire le monde. Entre 2 demi-pressions,Tonton-Houblon, avec sa figure rougeoyante, écoute les délires de cette joyeuse assemblée qui se déchire entre les partisans du y'aka et ceux du faut-k'on. Se détachant du zinc, ils viennent à lui comme pénitents à confession, car l'abbé Tonton, avec le soutien de ses trois bedeaux, conseille, rassure et tempère cette faune en ébullition. Assis à ces cotés, le couple Tronchon, avec dame Cloé, érudite celtique, artiste granitique et druidesse accompagnée de son cocker lacrymale, un bipède neurasthénique nommé Guy, ancien prof d'histoire géo dépressif dont l'unique fonction consiste à meubler l'espace et à nous payer le godet.

L'autre enfant de choeur ce nomme Gaëtan Loustic, globe trotteur nonchalant, séducteur hormonal, ex-éducateur social, ex-trotskyste, ex-Mézièriste, ex mari de Josie puis de Sylvie et enfin de Jean François, ex fan des séventines. Le coco occupe aujourd'hui, grâce à l'entre-jambe d'une relation coîtale, le poste peu stressant et bien payé par le Cnrs de chercheur étudiant l'incidence de la disparition de la coiffe bigouden sur la libido des matelots pêcheurs de morues.

Dans cette caz'ami , épicentre des théories farfelues, s'invente en permanence des expos qui ne verront jamais le jour, des projets fous et joyeux, des manifs qui ne dépassent pas le seuil de la porte, des philosophies de comptoir aux effluves alcoolisés. Ce microcosme pétitionne, révolutionne, se cocufie, s'écoute parler vu qu'ils ont la gouaille facile, le bagou intarissable et un amour inconditionnel pour leur nombril. Faute de pomper, ces fils spirituels des Shadocks brassent tellement d'air que le taulier a investi dans une éolienne de comptoir, s'assurant ainsi l'autonomie énergétique

Bien évidement, si un jour, ethnologue aventureux, il vous venait la curieuse idée d'aller étudier la faune indigène de Croc lès sur Noisette, inévitablement vos recherches scientifiques vous conduiront au bar «le barbare est là», interrogez l'incontournable Tonton-Vizir . Un conseil d'ami: Évitez de lui dire que vous venez de ma part.


Pour toi lecteur : un bonus:

Je t'offre gracieusement un extrait du 14 ème recueil de Tonton Rimeur intitulé: Ligne de nuit


On doit aimer

A chevaucher la rose

Dans la rosée

Des atmosphères dénudées


Éloignée,

La raison s'abîme

D'avoir oublié les parfums antiques

Les cœurs en attente...


... Et ainsi de suite, comme je vous le disais un enfileur de mots le Tonton.


(1) Extrait des dialogues du film « Le bossu» d'André Hunebelle

(2) Extrait de «  Ces gens-là » de Jacques Brel

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