Le roi du cirque

Christian Lemoine

Les chapiteaux se greffent un jour sur les places vides, dans les espaces libres. Un soir, l'esplanade déserte inanimée, herbes en déraison enchevêtrées à chaque écart de conduite des pavés disjoints. Sur ce désert la nuit s'endort et assoupit la grave dette comme la richesse insignifiante, toutes deux en sommeil le temps que dorment spéculateurs et indigents. Aube sonore des maillets et des piquets, des haubans dressant dans le jour levant des pylônes, colonnes métalliques d'un temple aux murs éphémères et mouvants, la place a inventé la curieuse géographie d'une montagne de toile entourée de piémonts cubiques aux cloisons à barreaux de fer, cages de fauves, roulottes rutilantes, caravanes oblongues ; et la faune désauvagée domptée pour des shows de vie dénaturée. Sous le chapiteau, sur une large plaque de fausse falaise raide, un acrobate repère au toucher un crochet de paroi sien, par où il mariera la corde du fil à plomb attaché à la terre qui l'attire et la grâce déliée de son vol palpitant sous les projecteurs affolés de son audace. Mais lui comme les autres artistes, les dompteurs, les écuyères, les gymnastes, et même les clowns pourquoi pas, tous les artistes inouïs du spectacle circassien ; et même les instruments bredouillants leur liturgie clinquante toujours inquiets de l'écart qui muerait la piste en scène tragique ; tous toujours restent pantois et incrédules face au jeu ébouriffant de l'illusionniste. La vie saltimbanque ombrée de routes de nuit ou de sommeils abrégés se fige dans la prestidigitation élégante faite de jeux de cape, de gants virevoltant dans les faisceaux lumineux, de voix douce et enjôleuse. Le public se tait, le public est ravi. Le spectacle l'emporte où il s'oublie lui-même, tandis que l'illusionniste le choie de mièvres paroles, de contes soporifiques, de légendes à venir où l'aube sera d'or et toute vie béate ; et le public applaudit l'artiste, tandis que les mains de blanc gantées fouillent les poches et vident les esprits.

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