Le Silence

Christian Lemoine

Le silence est une ankylose. Une main happée par une fissure griffue, une portée vertigineuse arquée entre équateur et pôle, où l'impalpable gel propage les frimas dans le fouillis tendre des fleurs d'estive. Le silence est un froid sans parfum. Le silence est une noix d'amertume, une muscade corsée. Cette onctuosité presque létale qui atrophie la gorge, l'œsophage écœuré, la liquescence morose d'une désolation trop mâchée pour que des sucs encore y restent piégés. Le silence est un visage. Une bercale devinée sur la lente procession des nuages lancés en littoral changeant, ces îles dans le ciel découpant et livrant des archipels où vient se greffer le souffle d'un sourire, la paréidolie itérée en chaque esquisse suggestive. Le silence est un chant. Des voix braquées sur le vide, leur faisceau distendu balayé dans le noir, où ne se manifestent guère que des grains de poussière, drap de neige sur les octaves. Le silence est un cri. Un Münch encollé de vernis et de siccatif, écrasé sur les blancs de Meudon, sur le dessin tendu d'une jetée qui ne sait rien des môles ni les écueils. Le silence est. Une insensée dérive.
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