Le sursaut de l'ange (1/2)

leo

J’ai soigneusement mis en boule mes sanglots dans la trousse à pharmacie. C’est idiot un nécessaire de premier secours, lorsque l’on a plus aucun espoir. C’est symbolique aussi, de pouvoir constater que rien n’est jamais prévu pour les âmes écorchées vives. Je viens de clore ma liste. Non pas de ce que je ne serai plus mais de ce que je ne porterai plus comme un fardeau. Tout ce qui me rattache à la mort y est consigné. Ça y’est, je me suis fait la malle. Au sens propre comme au figuré. Je la charge difficilement dans le coffre de la voiture : une vingtaine de boîtes de raviolis, ça pèse donc ça leste.

Je remonte à l’étage, les yeux embrumés. Je marque une pause dans le couloir. Même la veilleuse ne semble plus pouvoir faire face durablement aux ténèbres…

Je pousse de l’index la porte entrebâillée, allume la lampe de chevet. Il est beau,  paisible. Les cauchemars ont battus en retraite cette nuit. Il nous faut profiter de l’accalmie pour les semer une bonne fois pour toute. Je  passe le revers de ma main sur la joue de Niels. Ce même revers de main qui lui a chassé les larmes, lorsqu’elles ont tenté de l’étouffer de chagrin. Il ouvre ses yeux inquiets et murmure :

-          C’est maintenant qu’on doit y aller papa ?

-          Oui mon chéri, nous en avons déjà parlé…

-          T’es sûr que nos cauchemars vont partir ?

-          Je te le promets mon ange.

Par-dessus le pyjama, je l’habille chaudement, il fait si froid dehors. Nous descendons sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller Olaf, assoupi dans la cuisine. Je referme anxieux la porte quand Niels s’agrippe à ma manche.

-          Papa, Olaf…

-          On ne peut pas l’emmener mon amour. Il va nous faire repérer en aboyant. On ne doit réveiller personne !

-          Pourquoi ? C’est grave de réveiller les gens ?

-          Vois-tu mon fils, lorsque l’on est quelqu’un de bien, on ne doit pas briser les rêves des hommes, tu comprends ?

Il me sourit péniblement, je le convaincs définitivement :

-          Olaf est un bon chien de garde. Il doit rester guetter nos rêves à nous. Au cas où ils reviennent… S’il n’y a personne ils pourraient bien repartir. Allez, grimpe vite dans la voiture !

Nous démarrons. Les platanes nous poursuivent un temps. Leurs squelettes finissent par ralentir avant de disparaître complètement.

-          Papa ?

-          Oui mon chaton ?

-          Même les enfants peuvent devenir des anges pour de vrai ?

-          Surtout les enfants mon cœur…

Les balais d’essuie-glace ne me sont d’aucune utilité, mes yeux pleuvent à tout rompre. Niels me propose son doudou kamikaze. Je ne dois pas exploser maintenant. Je me ressaisis et refuse la précieuse aide proposée. Mon sourire le rassure. Il embrasse sa peluche. Une nouvelle fois, elle a montré toute son importance. Elle seule survivra ce soir.

Les quais de Seine sont déserts à cette heure tardive. Par ce froid, les clochards sont imbibés d’alcool ou de mort. Je sors la malle, la traîne jusqu’au bord du fleuve. Je retourne au coffre me saisir de la corde, résigné. Je fais les nœuds coulants.

-          Tu fais quoi papa ?

-          Des nœuds qui ne pourront pas s’enlever mon chéri.

-          Pour quoi faire ?

-          Tu vas le savoir très vite Niels. Bon, tu es prêt ? Il va nous falloir pousser ensemble la malle ! Je vais compter jusque trois. A trois on va faire disparaître nos cauchemars. Tu dois compter aussi. C’est très important !

Il me fixe concentré. Il a compris, il est au bord des larmes. Je l’embrasse pour lui donner du courage. Nous comptons, arrimés à nos regards respectifs.

-          Un…….deux…..TROIS !

La malle fracasse la surface de l’eau  glaciale. Nous faisons corps avec elle. Nous nous enfonçons autant qu’elle s’enfonce, nous mourrons autant qu’elle meurt. Nous nous noyons dans notre ultime chagrin. Je le prends dans mes bras, le serre. Je sens son cœur battre aussi fort que mes regrets. Je suis un assassin. Je ne peux plus revenir en arrière. Qu’y a-t-il après cette fichue mort ?

A SUIVRE

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