Le talent, parlons-en.

Alice Neixen

Le talent,

Parlons-en. 

Mot déchu, espoir promis, échec raté, victoire démodée. 

Le talent, 

Parlons-en. 

Celui que d'autres vous prêtent alors que vous n'en avez pas le moindre, celui que l'on vous retire alors que vous l'exercez à chaque instant, celui que l'on vous attribue à chaque exercice alors que vous en êtes dépourvus, celui qu'on aimerait que vous ayez, ou celui que l'on vous offre en corrigeant chacune de vos erreurs de style. 

Le talent,

Parlons-en.

Celui que vous laissez grandir depuis des années, à l'exercer, l'étirer, l'épuiser, le contraindre, le faire évoluer, s'améliorer, à tenter de le prouver.  

Celui à qui vous avez consacré d'innombrables nuits blanches, à qui vous avez avoué toutes vos plus belles faiblesses, à qui vous avez confié vos plus sourdes douleurs et vos regrets amers.

Celui qui vous a aidé à traverser chaque épreuve, qui vous a accompagné partout dans les victoires comme dans les échecs, dans les jours heureux comme les moins heureux, celui qui vous a permis d'écrire ces lettres d'amour dont elle se souviendra toute sa vie, celui qui vous a gratifié des meilleures notes en fac de lettres, celui qui vous a offert le sourire ébloui de votre femme ou de vos parents, celui qui a séché les larmes incomprises d'une inconnue. 

Le talent, 

Parlons-en. 

A quoi servent les critiques positives quand elles sont pipées, celles auxquelles on n'est que trop habitués, celles qui n'ont pas de valeur parce qu'elles ont un prix, celles qui n'ont pas d'importance parce qu'elles ont un nom, celles qui ne viennent que des gens que l'on aime et qui refusent de nous blesser ? 

A quoi servent-elles, même constructives, si c'est pour vous faire devenir un autre, adopter un style qui n'est pas le vôtre, ou celles qui vous font perdre de vue que l'écriture est un art. Un art qui s'exerce, qui se vit, se dissimule et s'apprend. 

Et même pire, à quoi servent-elles si c'est pour vous perdre le goût même des mots que vous écrivez ?

Le talent,

Parlons-en.

Qu'est-ce que c'est d'abord, le talent ? Ce mot rêvé, idôlatré, jalousé ? Est-ce un texte qui nous fait vibrer, un style auquel on est sensible, une histoire qui trouve un écho dans la nôtre ? Est-ce simplement un coup de coeur, un coup au coeur, un coeur tout court ?  Est-ce que ce n'est pas justement cette histoire de coeur, qui ne s'explique pas, mais se vit intensément, simplement ?

"L'imagination, ce n'est pas le mensonge", écrivait Pennac. 


Mais la véritable écriture, ce n'est pas le mépris de soi pour gagner la reconnaissance des autres. De ces autres qui n'en veulent pas. 

Signaler ce texte