Le venin du soir

Ferdinand Legendre

J'écris depuis les hauteurs, les jambes pendantes, de chaque côté d'une barre de métal au-dessus d'éclats vaporeux. D'en bas les bruits peinent à remonter, tant et si bien que le béton froid laisse à portée son chant de silence. Depuis l'errance, je n'en prendrais  pas ombrage, mais j'ai blanchi des pages à trop traîner mes guêtres là où seul l'alcool fait de moi l'homme que je veux être.



Il y a de l'amour, dessous le bois verni.  Et nos cercles de verre viennent se faire menottes. On partage un poison, la corde autour des coups , les lèvres au bord du gouffre, oraison déraison, quelques mélodies sottes. Pour d'infinis soupirs qui viennent s'échouer, là où l'éther est sire, en reine conspuée, elle pourrait sans égard, glisser ses braies de soie jusqu'au sol qui colle, pour le dernier des rois. Elle ferait table rase afin d'y mieux monter, elle tiendrait bien le bar, se mettrait à genoux quand entre sa poitrine glisserait une rivière, d'essence, de platine et de gouttes d'ivoire.

Et nos têtes ballantes, nos épaules vont choir, ballottées par la houle et le ballet des corps, Et le rouge qui coule et quand le serpent mord, c'est le venin du soir. Écrin à ritournelles et langues déliées, Il y a ce double fond que l'on pourrait toucher, il recèle des mots, petits et repliés, qui cacheraient chimères et fragiles secrets, mémoire de poussière pour lettres de liqueur, moires et sorcières, créatures sans cœurs, Ce que l'on voudrait taire mais qui sous influence sortirait de la terre à la faveur d'ambiances, de fumées et de bières, de nombreuses nuances au gré des lampadaires.

Il y a ce que l'on garde, ce dont on se souvient mais surtout de l'oubli par pleines poignées, des lendemains sans aube où il faut se soigner pour pouvoir être prêt quand la vague revient.

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