Le vide

Möly Mö

"Du vide, une sensation de vide interne, du creux, de l'absent.  Du rien. Même au milieu de la foule, même dans le bruit externe, même dans le brouhaha des gens. Du vide."

Un vent, doux, froid, je ne sais plus mais présent, je le sens se glisser autour de ma nuque comme une écharpe d'air. L'incessant remue ménage des autres m'a fatigué, j'ai pris la fuite ici. Je suis fatigué par le temps, par les gens, par le Monde. Pas le journal, le monde dans lequel on vit...J'ai encore un peu d'humour, ce n'est pas si vide que ça à l'intérieur.

J'aime le vent car il me fait sentir que j'existe, en le sentant frôler ma peau comme une main glisserait le long de mes bras, pour me rappeler que je suis vivant. Le vent cogne contre mon dos, me fait balancer; il pourrait me faire flancher. Sa puissance massive parfois, son incroyable douceur aussi; un paradoxe étonnant qui le rendrait presque plus existant que moi.


Je suis un vide. Le vent me balance de gauche à droite si facilement car je suis vide de l'intérieur, d'une étrange légèreté. Je suis fatigué. 


Mon visage reste impassible, une tempête ne me ferait même plus réagir. Sauf si elle venait de l'intérieur. Un ouragan terrestre ne m'effraierait pas, ne me ferait rien. Un ouragan dans mon cœur, ma tête; dans tout mon corps et je n'aurais même pas le temps de m'accrocher à mes propres branches pour m'empêcher de m'envoler. Et je ne le voudrais pas, rester accroché. Je ne demande qu'à m'envoler. Mieux, qu'à exploser!


Je veux briser le vide, le silence en moi et en faire des éclats, du bruit, du palpable. Je veux être de la matière vivante, de la chaire sensible et malléable. Je voudrais "être"...


Je n'ai pas défailli après une rupture, un décès. Il n'y a pas eu un événement soudain qui a bouleversé ma vie. J'aimerais tellement...Non, je suis comme ça depuis toujours. Je n'ai jamais été bouleversé, chahuté par la vie, je n'ai jamais été chamboulé, pris aux tripes. J'ai toujours marché dans le vide de moi-même. Derrière mes propres pas, je me regarde errer dans la vie et plus j'avance et pire c'est. Je ne suis plus que l'ombre de moi-même. J'ai dissocié mon âme et mon corps et il n'y a que grâce au vent qui me souffle dans le cou, que je raccroche ces deux morceaux de moi.


Je ne sais pas ce qu'est l'amour ou du moins je n'en suis pas certain, l'amitié, les sentiments. Je ne sais pas ce qu'est la passion, la folie, la déraison. Je ne sais pas ce que c'est qu'être animé, décontenancé, ému. Je suis là, un être vivant -enfin je crois- parmi les gens qui vivent. Je suis mon propre pantin et je ne suis pas capable de tenir mes propres ficelles, je ne l'ai jamais su.


J'aimerais moi aussi sentir les liens forts, beaux et touchants que sont l'amitié, la fraternité et cet esprit de solidarité qui unissent des gens entre eux. J'aimerais tellement éprouver un amour unique pour une personne unique. Ressentir la peur de perdre la vie car elle est trop belle et trop précieuse, car je la sens battre en moi car elle me remplit et me donne l'envie d'exister. 


Mais je n'y arrive pas, j'ai essayé et j'ai échoué. Je suis juste vide, je me suis cru insensible, inhumain mais ce n'est pas ça. Je suis juste absent de l'existence, une présence humaine parmi tant d'autres mais une présence creuse. Je résonne dans le vide. 

Alors peut-être qu'en chutant, je résonnerais pour de vrai, pour de bon dans la vie et au sein de ma propre existence. Peut-être qu'en tombant, je prendrais un sens et que ce vide sera comblé, qu'à travers les yeux des autres; je deviendrais. Et alors, mon existence perdue prendra tout son sens. Et je ne l'aurais pas perdue pour rien, en m'en détachant je redonne à ce passé vécu comme un fantôme de l'éclat, du vivant, du consistant.


En quittant ce monde, je nourrirai ma vie et mon existence d'avant sera, aura été. Plus besoin d'essayer, être absent au présent ne vaut plus le coup et m'absenter de la vie pour devenir présent, vaut plus la peine.


Ce vent m'a toujours guidé et réconforté, c'est dans ses bras que je me laisse aller, c'est à son contact bienfaisant que je veux m'abandonner.

Je chute, dans l'air violent, je chute dans l'air du temps, je chute et je me sens libre de vivre, je chute et à ce moment, je suis vivant. Je hurle, je sens ma peau, mes os et mon cœur battre. C'est la peur et l'excitation qui se mélangent. La chute est lente dans ma tête mais si fugace en réalité, j'ai le temps de revoir mes parents, ma famille, les gens qui m'entouraient que je ne voyais pas comme des amis, ces filles qui m'auraient donné leur main, leur corps, leur cœur.

Cette fille qui aurait pu briser le mien...Je pleure. C'est si bon. Je ne suis plus vide. Elle m'a brisé le cœur, oui, même si elle ne l'a jamais su. Je ne l'ai jamais su non plus.

La mer, ses vagues, mon être de chair et d'os, si fragile, s'en rapproche et je termine cette chute en me sentant moi, être fragile mais puissant car vivant.


Puis, je ne suis plus. C'est fini. La chute, cette longue descente vers la fin, a fini de m'achever.

Dans les flots, je serais un corps mort, un cadavre heureux. Un visage béat, un sourire empli de tout; je serais existant pour toujours dans ma tête, et ce sera d'autant plus marquant sur mon visage mort."


  • C'est vraiment émouvant et terrible cette sensation de vide. La vie est pourtant là, il faut la goûter pour s'imprégner de ses sensations fortes. Nous sommes en vibrations avec la terre le cosmos, le Vivant.

    · Il y a plus de 7 ans ·
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    Colette Bonnet Seigue

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